Philippe Alcoy
Source: Courant Communiste Révolutionnaire du NPA
Mardi 11 juin Antonis Samaras de Nouvelle Démocratie
(ND), principale composante de la coalition au pouvoir en Grèce,
décrétait la fermeture subite de l’agence de l’audiovisuel public, l’ERT
(Elliniki Radiofonia Tileorasi). Bien qu’il y ait eu les jours
précédents des rumeurs à ce sujet, cette décision a pris tout le monde
par surprise, à commencer par les presque 2700 salariés de l’ERT.
Cependant, la réaction populaire a elle aussi été subite : des milliers
de manifestants se sont rassemblés le soir même devant le siège de l’ERT
dans la banlieue Nord d’Athènes. Les travailleurs de leur côté ont
décidé d’occuper les lieux et de continuer à émettre en direct par
Internet et via la fréquence prêtée par la chaine télévisée du Parti
Communiste (KKE).
Le mécontentement
populaire a également poussé les centrales syndicales du public et du
privé (ADEDY et GSEE respectivement) à appeler à une grève générale de
24h pour le lendemain, jeudi 12 juin. Celle-ci a provoqué une forte
perturbation dans les transports, y compris dans les aéroports ; plus de
10.000 personnes se sont rassemblées devant le siège de l’ERTet les
syndicats de journalistes ont appelé à faire grève dans les médias
privés en solidarité avec leurs collègues du public. Cette grève s’est
même prolongée jusqu’à lundi 17 juin.
Le gouvernement a justifié cette mesure radicale en
mettant en avant la mauvaise gestion de l’ERT, les coûts très élevés, la
corruption et les « privilèges injustifiés ». Son idée c’est de fonder
un nouveau groupe audiovisuel public, plus « moderne », avec beaucoup
moins d’effectifs (autour de 1000-1200 salariés). Mais la radicalité et
la violence de la mesure est telle que même les partenaires mineurs de
la coalition au pouvoir ont pris leurs distances vis-à-vis de Samaras et
ND. Par contre le parti néofasciste Chryssi Avghi (Aube Dorée) a
exprimé son soutien à la mesure.
Bien plus qu’une lutte contre la fermeture de l’ERT
Il serait faux cependant de penser que la réaction
populaire provoquée par l’annonce de fermeture de l’ERT exprimerait
simplement « l’attachement à l’audiovisuel public ». En réalité, cette
décision arrogante et brutale de Samaras et son équipe s’inscrit dans
une très longue liste d’attaques contre les travailleurs, leurs
conditions de vie et de travail depuis au moins trois ans. La fermeture
de l’ERT n’est pas ressentie seulement comme une attaque contre ses
presque 2700 salariés, mais contre l’ensemble des salariés du pays.
Comme témoignait une institutrice devant le siège de l’ERT : « on est là parce que l’on pourrait être les prochains à perdre notre travail à cause d’une décision arbitraire du gouvernement » [1].
La lutte contre la fermeture de l’ERT est devenue
soudainement un symbole de la lutte contre l’austérité et les diktats de
la Troïka : « Samaras a (…) réussi, par cette action irraisonnée, à
faire d’ERT un pôle de combat anti-mémorandum, même pour ceux qui ne
portaient pas ERT dans leur cœur », déclarait un universitaire d’Athènes [2].
En effet, dans le cadre des différentes exigences de la Troïka
vis-à-vis du gouvernement grec pour le versement des tranches du plan
« d’aide » financière, 15.000 postes de fonctionnaires devraient être
éliminés d’ici 2014, dont 4.000 avant la fin de cette année. Avec la
fermeture de l’ERT, le gouvernement croyait ainsi s’enlever une belle
épine du pied, en balayant une bonne partie des postes de fonctionnaires
amenés à disparaitre en 2013.
Mais c’était sans compter sur la colère populaire,
que la fermeture de l’ERT semble avoir à nouveau réveillé. En effet,
depuis plusieurs mois le mouvement populaire était complètement
dispersé, réprimé par l’Etat et la police [3]
et trahi par les bureaucraties syndicales. Sans le vouloir, Samaras a
offert un élément unificateur pour la lutte des couches populaires de la
société. Ainsi, on a vu se rassembler autour de l’ERT les militants des
grandes centrales syndicales et des partis politiques allant de Syriza à
l’extrême-gauche, y compris le KKE-PAME. Pourtant, ce dernier a plutôt
l’habitude d’appeler à ses propres rassemblements et de manifester en
suivant un parcours indépendant, conséquent avec son orientation
auto-proclamatrice et divisionniste. Le coup de force de ND ouvre ainsi
une situation très dangereuse pour la bourgeoisie et pour l’UE, alors
que le « front grec » s’était un peu calmé depuis quelques mois (c’est
dans cet état d’esprit que Le Figaro titrait en Une le jeudi 13 juin « La Grèce replonge dans la tourmente »).
Un pari risqué de Samaras et de Nouvelle Démocratie
« Tout en insistant sur le fait qu’ils [les
dirigeants européens] ne sont pas à l’origine de la décision, ils
observent avec intérêt et inquiétude l’évolution du pari de Samaras. Si
ça passe, le premier ministre aura montré sa capacité à endosser les
habits de réformateur. Si ça casse, il risque d’entraîner le pays dans
une nouvelle période d’instabilité électorale, ce que les Européens
veulent éviter » [4].
En effet, la fermeture de l’ERT n’a pas seulement provoqué une forte
réaction populaire, elle a aussi révélé des divisions au sein de la
coalition gouvernementale. Depuis quelques semaines déjà, des frictions
étaient apparues entre ND, le PASOK et DIMAR (Gauche Démocratique) à
propos d’une loi « antiraciste », qui visait notamment Aube Dorée, à
laquelle ND s’était opposée dans un premier temps contre l’avis de ses
deux partenaires au gouvernement.
Aussi bien le PASOK que DIMAR déclarent qu’il faut
restructurer l’audiovisuel public, connu pour sa corruption et son
clientélisme, mais s’opposent à sa fermeture. Pour eux la
restructuration doit se faire sans fermer l’ERT. C’est pour cela qu’ils
n’ont pas signé le décret de Samaras et ont fait des déclarations
accusatrices contre ND dans la presse. « Samaras porte la responsabilité d’être en train d’amener le pays vers de nouvelles élections »,
déclarait un responsable de DIMAR ; Evangelos Venizelos du PASOK de son
côté, tout en affirmant ne pas vouloir des élections anticipées,
déclarait que son parti « ne les craignait cependant pas » [5] s’ils étaient obligés d’en arriver là.
En réalité, le vrai objectif de DIMAR et PASOK est de
ne pas disparaitre politiquement et électoralement, ce que leur
participation au gouvernement est en train de précipiter. C’est pour
cela qu’ils essayent de prendre leurs distances sur certains aspects par
rapport à ND, même s’ils soutiennent l’essentiel de sa politique. Pour
s’en convaincre, il suffit de se souvenir que la fermeture de l’ERT de
la part de Samaras « reprend des éléments du projet du gouvernement
socialiste de Georges Papandréou [PASOK], qui avait suscité l’opposition
des syndicats de ERT et... de Nouvelle démocratie » [6] !
Malgré leurs avertissements et leurs menaces, ni
DIMAR ni PASOK ne souhaitent d’élections anticipées pour le moment, car
au vu du peu d’enthousiasme qu’ils suscitent dans les sondages (on leur
attribue 3 à 6% d’intentions de vote), celles-ci pourraient s’avérer
contreproductives pour eux. Aujourd’hui, si des élections anticipées
devaient avoir lieu, elles bénéficieraient plutôt à Syriza et aux
néofascistes d’Aube Dorée ; et cela même si ND arrivait en tête !
Dans ce contexte dangereux et de possible
approfondissement de l’instabilité politique dans le pays, certains
secteurs de la bourgeoisie nationale et européenne conseillent à Samaras
de ne pas aller trop loin dans l’humiliation politique de ses
partenaires, au risque de faire éclater la coalition, car pour l’instant
ce sont les seules forces politiques sur lesquelles ils peuvent
s’appuyer. Mais en même temps, Samaras ne peut pas reculer d’une façon
trop désordonnée sur la fermeture de l’ERT car il sortirait trop
affaibli. En ce sens, ce lundi 17 juin se tiendra une réunion entre les
trois partis de la coalition, où ils essayeront d’arriver à un accord [7].
Non à la fermeture d’ERTet aux attaques contre les travailleurs !
Depuis quelques mois, le gouvernement grec multiplie
les méthodes bonapartistes pour appliquer des attaques contre les
conditions de vie des travailleurs et les couches populaires mais aussi
contre leurs résistances. De plus en plus souvent, comme cela a été
démontré lors des grèves du métro et des trains d’Athènes, celle du
transport marin ou encore la grève des enseignants [8],
le gouvernement envoie directement la police pour aller briser les
grèves, ou menace les grévistes de sanctions judiciaires. Et toutes ces
attaques s’appuient sur des législations datant… de la dictature
militaire des années 1960-1970.
C’est dans ce contexte que Samaras a décidé de la
fermeture brutale de l’ERT. En ce sens, empêcher cette mesure de passer
c’est commencer à mettre un frein à l’évolution de plus en plus
bonapartiste du gouvernement, voire l’affaiblir, ce qui permettrait
d’améliorer le rapport de forces en faveur des travailleurs et des
couches populaires.
Aussi, le mouvement de solidarité qui s’est développé
très rapidement autour de l’ERT, et l’occupation des locaux par les
salariés, qui continuent à transmettre malgré la décision du
gouvernement, sont des éléments très importants. Cela pourrait commencer
à faire avancer dans la conscience de certains travailleurs et
travailleuses l’idée qu’ils sont capables de s’opposer aux licenciements
et au gouvernement, et de prendre leurs outils de travail entre leurs
propres mains.
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NOTES:
[1] Financial Times, « Greeks strike over closure of state broadcaster », 13/6/2013.
[2] Le Courrier des Balkans, « Grèce : un coup de force contre les médias qui dégénère en crise politique », 14/6/2013.
[3] A propos de la répression du mouvement ouvrier, voir l’article « Grève des travailleurs du métro à Athènes », J. Martinez, 26/01/13 sur www.ccr4.org/Greve-des-travailleurs-du-metro-a-Athenes
[4] Le Monde, « Fermeture de l’audiovisuel grec : le pari risqué de Samaras », 13/6/2013.
[5] GreekReporter.com, « Samaras Rebuffs Partners on ERT », 12/6/2013.
[6] Le Monde, « Fermeture de l’audiovisuel grec… », article déjà cité.
[7] Au moment où nous écrivons ces lignes nous apprenons que le premier ministre grec, Antonis Samaras, a proposé à ses partenaires une réouverture partielle de l’ERT mais limitée à l’émission de documentaires et des rediffusions.
[8] Dans ce dernier cas, les enseignants ont décidé de défier les intimidations judiciaires du gouvernement et ont continué leur grève. Celle-ci regrettablement a été finalement trahie par les bureaucraties syndicales et des dirigeants de Syriza qui ont tout fait pour mettre fin à cette lutte.
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