Philippe Alcoy
Source: Courant Communiste Révolutionnaire du NPA
Lundi 17 juin, la justice grecque a suspendu la
décision d’Antonis Samaras, leader de Nouvelle Démocratie (ND) -
principale composante du gouvernement de coalition au pouvoir en Grèce,
de fermer la radio-télévision publique (ERT). Elle ordonne la reprise de
sa programmation jusqu’à la décision définitive qui aura lieu fin
septembre. C’est sans doute une première victoire des masses depuis le
début de la crise en 2010 contre une attaque brutale du gouvernement et
une défaite importante pour Samaras et ND. Cependant, cela ne veut pas
dire qu’il faut relâcher la pression contre les plans du gouvernement,
du patronat et de la Troïka. Non seulement la survie de l’ERT n’est pas
encore assurée, mais d’autres attaques, non moins brutales, continuent à
menacer les conditions de vie des travailleurs, de la jeunesse et des
couches populaires.
Une situation difficile à tenir
Cette défaite pour ND avait en quelque sorte déjà
commencé à se profiler dès mardi soir, après l’annonce de la fermeture
de l’ERT par Samaras, lorsque des milliers de personnes se sont
mobilisées devant le siège de l’ERT. Ensuite, les centrales syndicales
avaient appelé à une grève générale de 24h, les salariés de l’ERT
avaient occupé l’immeuble et une grève de solidarité de cinq jours a été
déclenchée dans les médias privés. A cette pression populaire il faut
ajouter celle, très hypocrites, d’institutions internationales et de
responsables politiques européens, ainsi que celle de ses partenaires de
gouvernement (PASOK et DIMAR -Gauche Démocratique) qui s’étaient
opposés à la fermeture de l’ERT.
Ainsi, ND était dans une situation très compliquée.
Samaras pouvait difficilement tenir. C’est pourquoi il avait commencé à
lâcher du lest vendredi en proposant une réouverture (très partielle,
certes) de l’ERT. Durant le week-end, ni DIMAR ni le PASOK n’ont accepté
cette alternative car ils voyaient une opportunité d’apparaitre en
opposition à ND et d’essayer de décoller un peu dans les sondages.
Cependant, en adoptant cette posture ils jouaient avec le feu car ils
menaçaient de faire éclater la coalition et de provoquer un appel à des
élections anticipées, ce qu’aucun parti au pouvoir ne veut.
L’autre risque pour le gouvernement était une
capitulation trop ouverte de ND, ce qui l’affaiblirait trop fortement,
sans pour autant renforcer forcément les autres composantes de la
coalition. Autrement dit, le gouvernement dans son ensemble pouvait
sortir affaibli de cette crise.
Dans ce contexte, le fait que le Conseil d’Etat ait
annulé la décision de Samaras est certes une défaite pour lui, mais en
quelque sorte c’est une « défaite honorable » dans le sens où il n’a pas
été obligé de capituler ouvertement. Au contraire, il peut même faire
semblant de rester ferme dans sa position tout en « respectant les
décisions de la Justice ». On peut dire que la décision de la Justice
grecque a peut-être permis aussi bien à ND qu’à ses partenaires de
gagner un peu de temps. Combien ? Là est toute la question.
De la « radicalité » patronale
La fermeture de l’ERT était un pari très risqué, mais nécessaire pour la bourgeoisie. Ainsi, le journal conservateur Kathimerini regrette ce matin, dans un article d’opinion, qu’après trois ans et demi de crise « le système politique [ait] échoué dans la simple tâche de se mettre d’accord sur la fermeture d’au moins une entité étatique. On déterre des arguments juridiques pour empêcher une telle chose de se produire, en s’appuyant sur le fait que le cadre constitutionnel et juridique, conçu par le système politique lui-même, laisse peu de place pour des
changements radicaux (…) Certes, la fermeture de l’ERT a été effectuée
de la pire façon possible du point de vue de son effet sur l’opinion
publique et de sa symbolique politique. Mais le problème est encore plus
évident. Quelqu’un doit rompre le tabou et prendre la décision de
restructurer au moins un service public » [1].
Autrement dit, le gouvernement devait essayer d’être
plus « radical » (notons que dimanche Merkel a apporté son soutien à
Samaras dans ses « efforts de réforme »). Mais là, il est en train de le
perdre son pari. Cela pourra même lui coûter un remaniement ministériel
(un peu plus favorable au PASOK et à DIMAR ?). Certains parlent même du
remplacement de Samaras, dans le but d’éviter des élections anticipées.
En ce sens, mercredi 19 juin se tiendra une autre réunion entre les
trois partenaires de la coalition au pouvoir pour essayer d’arriver à un
accord sur la question de la restructuration de l’ERT.
Il faut noter également qu’hier, alors que les trois
partenaires de la coalition se réunissaient, Syriza tenait un important
meeting devant le Parlement. Tsipras parlait de Samaras comme d’un homme
« politiquement fini ». Il est probable qu’il y ait un saut dans le
soutien électoral à Syriza après ce faux pas du gouvernement. Alors que
jusqu’à présent la relative stabilité politique des derniers mois avait
permis d’appliquer des attaques en règle contre les masses et à Samaras
d’être tête à tête avec Tsipras dans les sondages, on pourrait être
maintenant dans un moment charnière. Il faudra voir aussi comment Aube
Dorée essayera de tirer son épingle du jeu. Sans sous-estimer leur
poussée électorale provoquée par la crise profonde de la société
grecque, nous devons souligner le fait qu’eux aussi ont fait un faux
pas : en soutenant la mesure de Samaras dès le début, ils ont révélé au
grand jour leur caractère de classe.
La lutte doit continuer !
Évidemment la lutte n’est pas finie. Non seulement
Samaras maintient sa volonté de fermer l’ERT, mais il pourrait même
arriver à un compromis pourri avec le PASOK et DIMAR qui sont eux aussi
pour « l’épuration » de l’ERT et plus en général pour la suppression de
15.000 emplois dans la fonction publique. En outre, la décision de
Justice ne fait que suspendre la fermeture de l’ERT, mais ne remet pas
(encore) en cause le projet de licenciement massif dans la
radio-télévision publique. Il ne faut également pas écarter la
possibilité de coups médiatiques pour renverser un peu l’opinion
publique : Samaras menaçait hier de révéler les résultats d’une enquête
sur la corruption à l’ERT, ce qui donnerait soi-disant de la
« légitimité » à la fermeture de celle-ci ou au moins à sa
restructuration drastique. Cette manœuvre ne serait cependant pas sans
risques, car son parti a lui aussi participé à la corruption dans l’ERT.
Enfin, il faut aussi prendre en compte l’effet que
cette victoire partielle peut avoir sur le moral des travailleurs et des
masses pour les luttes à venir. Cette défaite du gouvernement se
produit après une grande vague de solidarité populaire, une grève
générale décrétée très rapidement (même si limitée à 24h comme la
bureaucratie syndicale sait si bien le faire), une grève de solidarité
des journalistes de cinq jours et surtout une occupation des locaux où
les travailleuses et travailleurs de l’ERT ont continué à transmettre,
défiant ainsi le gouvernement. Ce n’est donc pas le moment de relâcher
la pression, il faut au contraire profiter de ce recul de Samaras pour
aller de l’avant face l’ensemble des attaques contre les travailleurs et
les couches populaires.
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Notes
[1] Ekathimerini.com, « Not dodging the tough decisions », 18/6/2013.
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