11.11.20

Haut-Karabakh. Les conséquences de la capitulation arménienne

 
Le cessez-le-feu tripartite ratifié par la Russie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan qui acte la suspension des hostilités dans le Haut-Karabakh a provoqué un mouvement de colère à Erevan. L’accord entérine en effet la défaite de l’Arménie.

Philippe Alcoy

Le cessez-le-feu signé par l’Arménie et l’Azerbaïdjan sous l’égide de la Russie ce lundi 9 novembre met fin à six semaines de combat au Haut Karabakh. Le constat est sans appel : l’accord marque la défaite arménienne et l’Azerbaïdjan ressort grandement renforcé du conflit. En effet, celui-ci non seulement met fin aux combats mais oblige les forces arméniennes à quitter les territoires qu’elles occupaient depuis les années 1990 ; les forces azéries pourront rester sur les territoires repris depuis le début de leur offensive fin septembre, y compris à Shushi, deuxième ville de la région, et sur une partie du Haut-Karabakh lui-même. A cela il faut ajouter l’obligation pour l’Arménie d’assurer un corridor entre la république autonome de Nakhtchivan (territoire azéri coincé entre l’Arménie et la Turquie) et l’Azerbaïdjan. Enfin, près de 2 000 soldats russes seront déployés dans le Haut-Karabakh en tant que force de maintient de la paix.


Autrement dit, cet accord de cessez-le-feu n’est autre chose qu’une énorme victoire pour l’Azerbaïdjan qui aura comme conséquence le renforcement de la figure du président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev et de son régime. Dans une situation de crise économique globale et de chute des prix du pétrole et du gaz, cette victoire militaire représente un bol d’air très important pour le régime de ce pays hautement dépendant de l’exportation des hydrocarbures. Pour le gouvernement arménien il en va tout autrement.

Une défaite presque totale de l’Arménie, un gouvernement affaibli

En effet, l’Arménie a subi une dure défaite. Le gouvernement de Nikol Pachinyan a été contraint de signer un accord de cessez-le-feu humiliant pour éviter que les forces azéries finissent par conquérir tout le Haut-Karabakh. Et c’était effectivement cette dynamique qui était à l’oeuvre sur le champs de bataille, notamment après la prise relativement rapide de Shushi au cours du weekend par l’Azerbaïdjan. La conquête par les forces azéries de la deuxième ville du Haut-Karabakh, située à quelques kilomètres seulement de la capital du territoire disputé, Stepanakert, a marqué un moment charnière de la guerre et précipité la chute des forces arméniennes.

Aussitôt l’accord signé, le gouvernement arménien a dû faire face à un mouvement de colère profond, notamment à Erevan, la capitale, où des manifestants se sont rassemblés devant le siège du gouvernement, certains y ont même pénétré et provoqué quelques dégradations. Le parlement a subi le même sort. Le lendemain des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale arménienne pour exiger la démission du gouvernement. L’opposition pour sa part tente de chercher des voies pour annuler la signature de l’accord.

Mais la supériorité militaire de l’Azerbaïdjan est trop importante et les forces arméniennes se sont montrées incapables de faire face aux armes ultra technologiques de Bakou. La communication mensongère du gouvernement arménien apportant au quotidien de « bonnes nouvelles » du front n’a fait qu’augmenter la surprise et la colère de la population après la signature de l’accord. Tout cela pose des questions sur le futur du gouvernement de Pachinyan ; il en sort très affaibli et on ne peut pas exclure la possibilité de sa chute. L’Arménie pourrait en même temps rentrer dans une situation de beaucoup d’instabilité et agitation sociale et politique. Il est plus que probable que les tendances politiques nationalistes réactionnaires et autres formations politiques bourgeoises tenteront de capitaliser le mécontentement populaire.

Un accord qui permet à la Russie de limiter les dégâts

Si Moscou a joué un rôle prépondérant dans la signature de ce cessez-le-feu, il est clair que la Russie ne peut au mieux que se contenter d’avoir limité les dégâts. Depuis fin septembre, l’ouverture d’un conflit armé ouvert dans cette région du Haut Karabakh n’a pas manqué d’embarrasser Moscou, coincé entre son rôle de présumé « stabilisateur » de la région, son alliance avec l’Arménie et sa volonté de ne pas détériorer outre mesure ses relations avec l’Azerbaïdjan et la Turquie, qui a été le principal soutien des forces azéries.

La Russie a en effet été incapable d’empêcher l’éclatement d’un conflit armé dans le Caucase. Mais dans un contexte très « agité » dans plusieurs pays de sa « zone d’influence », Moscou réussi à arriver à un accord de cessez-le-feu avant que la guerre n’échappe complètement à son contrôle. Ainsi, la Russie a évité habilement d’être forcée à intervenir directement ou que d’autres puissances régionales soient impliquées directement risquant de voir un conflit d’ampleur régionale éclater à quelques kilomètres de sa frontière. En outre, Poutine apparaît comme un « médiateur régional » imposant le cessez-le-feu et déployant près de 2 000 soldats dans le Haut-Karabakh, ce qui permet à la Russie d’avoir une présence militaire dans les trois pays du Caucase.

Cependant, de nombreuses questions se posent quant à la position de la Russie en tant que puissance hégémonique dans la région, voire dans la périphérie post-soviétique. En effet, la population arménienne voit la Russie comme l’un des fossoyeurs des revendications arméniennes ; il y a un risque réel que parmi la population se développe un certain ressentiment national antirusse. Moscou devra en ce sens tenter d’offrir quelques gages à l’Arménie. Et cela non seulement pour préserver ses liens avec Erevan mais aussi pour envoyer un message aux autres Etats alliés de la Russie qui pourraient perdre confiance vis-à-vis de Moscou en tant que garant de leur sécurité, notamment les Etats membres de l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective).

L’autre gagnant : la Turquie

L’autre source d’inquiétude pour la Russie dans sa périphérie est la Turquie. Ankara a été le principal soutien de l’offensive azérie et cette victoire de son allié renforce Erdogan en Turquie et approfondit son influence dans le Caucase et dans les pays turciques d’Asie centrale. Même si finalement des soldats turcs ne participeront pas à la mission de maintient de la paix avec la Russie, ils seront présents dans le centre de monitoring de l’accord de cessez-le-feu dont le siège ne se situera probablement pas au Karabakh mais à quelques kilomètres. Et cela constitue déjà une inquiétude pour la Russie. Comme l’explique Clara Ferreira Marques dans Bloomberg : « il est incontestable que le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est installé dans le Caucase, et a peut-être obtenu un accès à la mer Caspienne et, finalement, à l’Asie centrale par l’Azerbaïdjan. Les soldats turcs, mentionnés par Bakou mais pas dans la déclaration officielle, sont un coup pour Ankara et un casse-tête pour le Kremlin - même s’ils restent dans un centre de surveillance du cessez-le-feu en dehors de l’enclave. C’est une complication sans précédent, comme le souligne Maximilian Hess du Foreign Policy Research Institute, et la Russie sera réticente à l’idée d’avoir des troupes d’un membre de l’OTAN n’importe où dans l’ancienne Union soviétique ».

La Turquie et la Russie dans une sorte « d’alliance pragmatique » même si opposées dans plusieurs conflits (Syrie, Libye). Cependant, les intérêts de ces deux puissances sont en conflit à long terme. Cette avancée de la Turquie ne peut qu’augmenter les inquiétudes de la Russie dont l’influence dans sa périphérie est en train de subir des coups importants depuis plusieurs années. Même si la Russie garde une position hégémonique dans le Caucase, maintenant la Turquie est devenue un acteur régional plus qu’important.

Une autre question que nous devrions mentionner ici c’est l’énorme victoire pour l’industrie de l’armement turque et israélienne. Toute la planète a pu assister aux « prouesses » militaires des drones de haute technologie azéris fournis par ces deux pays partenaires. Il n’est pas anodin que l’Ukraine ait manifesté son intérêt pour les drones turcs  encore un facteur d’inquiétude pour la Russie. Mais ces avancées militaires, géopolitiques et technologiques de la Turquie et d’Israël représentent un signal d’alarme également pour l’Iran ; Téhéran voit d’un très mauvais œil le rapprochement entre Israël et l’Azerbaïdjan, pays limitrophe de l’Iran.

Un nouveau statu quo réactionnaire

Avec cet accord c’est un nouveau statu quo réactionnaire complètement favorable à l’Azerbaïdjan qui s’installe. Encore une fois ce sera le droit à l’auto-détermination des populations du Haut-Karabakh qui en payeront le prix. Une situation qui est aussi le résultat de la politique réactionnaire de l’Arménie qui à son tour a su procéder à des « nettoyages ethniques » dans les districts azéris qu’elle avait conquis dans les années 1990. Les gouvernements successifs, d’un côté comme de l’autre, ont également attisé les haines nationalistes au sein des deux peuples. C’est la politique agressive de l’Arménie contre les Azerbaïdjanais et les expulsions de leurs terres qui a servi de justification et de légitimité à l’offensive réactionnaire d’Aliyev.

Alors que ce nouveau statu quo ne va faire qu’accentuer les haines nationalistes préparant le terrain pour de nouveaux affrontements, nous considérons que seul un grand mouvement démocratique pour l’auto-détermination du Haut-Karabakh dans la perspective révolutionnaire de la création d’une fédération libre de républiques socialistes du Caucase peut résoudre définitivement cette question et permettre la coexistence pacifique et fraternelle entre tous les peuples de la région.

RP

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