Après
 une gestion catastrophique de l’épidémie de Coronavirus, le désastre 
dans les pays occidentaux permet à la Chine de dicter un récit 
triomphaliste sur sa lutte contre le virus, notamment à travers l’aide 
internationale.
Les premiers cas du nouveau Coronavirus ont été détectés en 
Chine en novembre dernier. Dès lors, le premier réflexe du pouvoir 
chinois a été de couvrir et nier l’existence du virus. Les autorités ont
 même condamné, persécuté et réprimé les médecins qui ont osé lancer 
l’alerte sur la gravité de la situation. L’un d’entre eux est même 
décédé des suites de la maladie, nommée depuis Covid-19, devenant un 
martyr. Il y a eu ensuite un virage à 180 degrés et le 23 janvier le 
gouvernement mettait en quarantaine d’abord la ville de Wuhan (épicentre
 de l’épidémie) puis toute la province de Hubei. Au total, plus de 50 
millions de personnes se sont trouvées dans une situation de confinement
 strict ; certains travailleurs se trouvant sans aucun revenu, forcés de
 vivre de leurs maigres économies.
Selon les chiffres officiels, et on a des raisons de s’en méfier 
(tout comme en France), plus de 80 000 personnes ont été contaminées et 
il y a eu plus de 4000 morts. Bien qu’il serait ridicule de rejeter la 
faute de cette pandémie à la Chine, il est indéniable que les 
négligences de la gestion de l’épidémie par le gouvernement de Xi 
Jinping ont favorisé la propagation du virus à travers le monde. Le 
mécontentement de la population vis-à-vis de la gestion de la crise 
était tel que certains analystes commençaient à se demander si le 
gouvernement chinois, voire le régime, allaient passer cette épreuve.
Cependant, depuis quelques semaines l’épicentre s’est déplacé vers 
l’Europe, notamment l’Italie, l’Espagne et la France elle-même. Les 
Etats-Unis eux aussi sont en train d’être touchés très fortement, et 
certains analystes estiment que ce pays pourrait devenir rapidement le 
nouvel épicentre de la pandémie. A cette situation dramatique et 
catastrophique, il faut ajouter l’irresponsabilité des dirigeants 
occidentaux. Certains ont opté pour le confinement massif et autoritaire
 de la population, mais pratiquement sans prendre aucune autre mesure 
pour contenir l’épidémie comme les tests massifs ; et cela sans parler 
du manque incroyable de masques, de blouses, de gel, et de respirateurs.
 D’autres gouvernements, comme celui de Trump aux Etats-Unis ou celui de
 Boris Johnson en Grande Bretagne, n’ont pas opté pour le confinement de
 la population, mais dans une position totalement négationniste. 
Evidemment, cela n’exclut en rien que ces mêmes gouvernements puissent 
décider d’opérer un tournant à 180 degrés et d’appliquer des mesures de 
confinement autoritaire.
L’aide internationale chinoise, une arme géopolitique
Un autre élément important dans les pays occidentaux c’est le manque 
total de solidarité entre eux. Alors que nous sommes en train de parler 
des pays les plus riches de la planète, l’appel d’aide urgente lancé par
 l’Italie n’a trouvé aucun écho parmi ses voisins et « partenaires » les
 plus proches, la France et l’Allemagne. Et ce n’est pas du côté des 
Etats-Unis que cette aide va arriver de si tôt.
Dans ce contexte, et favorisé par le fait que l’épidémie semble plus 
contrôlée en Chine, le gouvernement chinois a décidé de déployer son 
« soft power » en venant en aide à l’Italie ainsi qu’à plusieurs autres 
pays européens mais également à l’ensemble des pays d’Afrique. Le tout a
 commencé quand le président serbe, Aleksandar Vučić, dénonçait dans un 
discours les fausses promesses de solidarité de l’Union Européenne et 
lançait un appel presque désespéré à la Chine. Comme l’analyse le Financial Times : « C’était
 exactement ce que la Chine recherchait - une occasion de commencer à 
changer son image, de celle du pays qui a accéléré la propagation du 
virus par des dissimulations, à celle de la puissance mondiale magnanime
 qui offre un leadership à un moment de panique et de péril dans une 
grande partie du reste du monde ».
Ainsi, au moment où l’Italie était en train de devenir le pays le 
plus affecté par le Coronavirus, et face à l’égoïsme des puissances 
européennes, la Chine y a envoyé des milliers de masques, des 
respirateurs et surtout une équipe de 300 médecins spécialistes en soins
 intensifs et ayant lutté contre le Covid-19 dans leur pays.
Mais l’aide chinoise ne s’est pas limitée à la seule Italie. Le 
gouvernement chinois ainsi que le milliardaire Jack Ma, ancien PDG 
d’Alibaba, ont décidé de venir en aide à l’ensemble du continent 
Africain, très exposé et vulnérable face à la pandémie. Ils ont annoncé 
que chacun des 54 pays du continent recevraient 20 000 kits de tests, 
100 000 masques et 1 000 combinaisons de protection pour le personnel 
soignant.
Il est clair que le régime chinois est en train de mettre cette 
solidarité à profit de ses objectifs géopolitiques. Et ce n’est pas le 
seul. La Russie tente elle aussi de profiter de la faible réponse des 
puissances occidentales pour se repositionner sur l’échiquier 
international. Et cela de façon beaucoup plus maladroite que la Chine. 
En ce sens, le premier ministre italien a dénoncé que le matériel envoyé
 par la Russie à l’Italie était inutilisable à 80% et que leur aide (que
 l’Italie n’a pas sollicitée) apparaissait comme un prétexte pour 
envoyer des militaires dans le pays (tous les médecins russes sont en 
fait militaires). Quoi qu’il en soit, c’est l’affaiblissement de 
l’hégémonie nord-américaine qui laisse libre ce terrain à la Chine et 
dans une moindre mesure à Poutine.
Approfondissement de la crise d’hégémonie nord-américaine
La pandémie de Covid-19 est en train d’exposer les contradictions du 
capitalisme devant les yeux de millions de personnes et sur le terrain 
international elle accélère les antagonismes entre les Etats et les 
tendances en œuvre depuis plusieurs années. L’une de ces tendances, qui 
deviennent de plus en plus évidentes, est la perte de vitesse de 
l’hégémonie nord-américaine dans le monde. Et même si cela est le 
résultat de dynamiques profondes antérieures, la politique ignorante et 
erratique de l’actuel gouvernement joue un rôle important dans cette 
crise. Comme le dit Elisabeth Braw du Royal United Services Institute 
dans le Washington Post : « Dans
 les crises internationales, l’Amérique a toujours été le pays vers 
lequel les autres pays se sont tournés pour prendre le leadership et 
diriger le navire. Et maintenant, quel pays se tourne vers les 
États-Unis ? Aucun ».
En ce même sens nous pouvons lire dans Foreign Affairs : « Le
 statut de leader mondial des États-Unis au cours des sept dernières 
décennies s’est construit non seulement sur sa richesse et sa puissance,
 mais aussi, et c’est tout aussi important, sur la légitimité qui 
découle de la gouvernance nationale des Etats-Unis, de 
l’approvisionnement de biens de consommation mondiaux, ainsi que de la 
capacité et de la volonté de rassembler et de coordonner une réponse 
mondiale face aux crises. La pandémie de coronavirus met à l’épreuve ces
 trois éléments du leadership américain. Jusqu’à présent, Washington est
 en train d’échouer dans ce test (...) Alors que Washington vacille, 
Pékin s’efforce de profiter rapidement et habilement de l’ouverture 
créée par les erreurs des Etats-Unis, comblant ainsi le vide pour se 
positionner comme le leader mondial de la réponse à la pandémie ».
D’un point de vue géopolitique, économique et militaire, la Chine est
 loin encore de pouvoir se substituer aux Etats-Unis en tant que 
puissance mondiale. Cependant, cette gestion catastrophique de la 
pandémie de Coronavirus de la part des nord-américains lui permet 
d’améliorer son rapport de force sur l’arène internationale. Et cela 
pourra être un levier important à l’heure de négocier face à Washington.
Le gouvernement des Etats-Unis est conscient de cela et sait qu’il 
doit commencer à répondre. En termes d’aide matérielle, la Chine a pris 
un avantage considérable. Non seulement elle est en train de passer le 
pire de cette phase de l’épidémie, mais elle possède en outre les 
capacités industrielles de produire les biens nécessaires pour faire 
face à la crise sanitaire, ce qui n’est pas forcément le cas des 
Etats-Unis. Cependant, là où Washington espère tirer un avantage 
déterminant, c’est dans le développement d’un vaccin efficace contre le 
Covid-19. Si les chercheurs nord-américains arrivent à trouver un vaccin
 rapidement, les Etats-Unis pourraient le partager avec l’ensemble de la
 planète et se repositionner dans l’arène internationale comme le leader
 mondial indiscuté. En ce sens, la concurrence entre l’Allemagne et les 
Etats-Unis pour trouver le vaccin n’a pas seulement des visées 
financières mais surtout géopolitiques.
En Chine, la crise n’est pas encore finie
La Chine est donc en train de gagner la bataille pour construire un 
récit sur la lutte contre le Coronavirus. Le régime de Pékin est parti 
perdant, soumis à d’énormes critiques pour sa gestion désastreuse de la 
crise, mais a réussi à se rédimer, notamment aidé par les non moins 
désastreuses et catastrophiques gestions des pays impérialistes 
occidentaux. Maintenant Pékin est à l’offensive dans la voie de la 
construction d’un récit triomphaliste et ses agences de propagande 
travaillent jour et nuit à cela. Au point qu’un porte-parole du 
ministère des affaires étrangères s’est fait remarquer pour véhiculer 
des théories complotistes accusant l’armée étatsunienne d’avoir créé le 
coronavirus.
Pour le moment le régime, et notamment la figure du président Xi 
Jinping, sont en train de se renforcer, ce qui n’est pas anodin si l’on 
prend en compte la situation dans laquelle ils se trouvaient il y a 
seulement quelques semaines. Mais comme on peut lire dans Geopolitical Futures : « Xi
 et son entourage sortiront de la crise sanitaire intacts - et peut-être
 même plus forts (...) Mais si Xi est en sécurité sur son trône, son 
royaume ne l’est pas. L’économie chinoise est, en clair, en très mauvais
 état. Presque tous les problèmes que Pékin n’a pas pu résoudre ont été 
aggravés par la crise des coronavirus. Et si la mondialisation du virus 
peut être un coup de fouet pour la machine chinoise, sa propagation 
pourrait très bien fermer les voies les plus prometteuses du pays vers 
une reprise rapide ».
Autrement dit, si le gouvernement chinois est en train de tirer 
profit de la crise dans les pays occidentaux, le prolongement de la 
crise pourrait faire plonger l’économie mondiale, ce qui est une très 
mauvaise nouvelle pour l’économie chinoise hautement dépendante de la 
demande internationale. En outre, il est possible qu’après cette 
pandémie beaucoup de pays développés se posent la question de rapatrier 
certaines productions, au moins partiellement, chez eux.
Enfin, à tout cela il faut ajouter un élément très important : la 
situation sociale en Chine. Le pays n’est pas encore complètement 
débloqué ; des millions de personnes restent soumises à des formes de 
confinement. Parmi elles beaucoup de travailleurs et de petits 
commerçant qui commencent à rencontrer de véritables problèmes 
financiers. En ce sens, les images de contestation des mesures de 
confinement se font de plus en plus fréquentes. L’autre volet que le 
gouvernement de Pékin devra gérer c’est précisément la fin du 
confinement et le redémarrage de l’économie. Ce test social sera très 
important pour tester la solidité du régime et sa capacité à sortir 
vraiment « intact » de cette crise.
 

 
 
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