La
mesure spectaculaire et inouïe comporte des risques politiques et
sociaux importants pour le gouvernement chinois dans un contexte tendu à
l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Nous pourrions nous croire dans un scénario de science fiction. Alors
que la Chine connaît depuis décembre la propagation d’un virus rare
affectant le système respiratoire, les autorités ont décidé de mettre en
quarantaine trois villes de la province de Hubei, épicentre du virus.
Il s’agit de Wuhan (11 millions d’habitants), de Huanggang (7,5
millions) et d’Ezhou (1 million). Les aéroports, gares ferroviaires et
routières ont été fermés et les communications fluviales et les
autoroutes bloquées par l’armée. Les autorités n’avaient pas prévenu la
population et n’ont pour le moment pas communiqué combien de temps cette
mesure restera en vigueur.
Ce virus rappelle l’épidémie de SRAS qui avait touché la Chine en
2003 et qui ensuite s’est propagée dans d’autres régions du monde. Pour
le moment plus de 500 cas ont été détectés, la plupart dans la région
autour de Wuhan mais aussi quelques cas dans des pays voisins tels que
le Japon, la Thaïlande mais aussi un cas dans les États-Unis. On a
enregistré 18 morts pour le moment, un seul en dehors de Wuhan. Les
scientifiques n’arrivent pas encore à détecter l’origine exacte du virus
bien que l’on estime qu’il soit d’origine animale. Ces derniers jours
on a constaté qu’il se transmettait aussi d’humain à humain.
Une mesure spectaculaire
La mesure est impressionnante. Mais pour le moment, rien ne peut
garantir son succès. La réalité, c’est que les autorités chinoises ont
pris une mesure inédite, peut-être dans l’histoire de l’humanité. Mettre
près de 20 millions de personnes en quarantaine relève presque d’un
projet pharaonique. Les images qui nous sont parvenues pour le moment
montrent des foules se ruer vers les hôpitaux pour faire des tests ; des
militaires empêcher des gens de rentrer dans les gares et aéroports. Le
tout dans une période très particulière, car samedi prochain, c’est le
nouvel an chinois, date pour laquelle d’habitude des millions de
personnes se déplacent dans tout le pays.
Il y a plusieurs raisons pour comprendre les raisons d’une mesure
d’une telle magnitude. Selon Howard Markel, enseignant d’histoire et de
médecine à l’Université de Michigan, cité par le Washington Post : « la
pression de la communauté des affaires internationales, qui a un énorme
intérêt économique en Chine, est probablement en partie responsable de
la réponse radicale du pays. Un autre facteur est l’histoire. Lors de
l’épidémie mortelle de syndrome respiratoire aigu sévère, ou SRAS, au
début des années 2000, le gouvernement chinois avait mis des mois à
faire connaître les premiers cas. Cette fois les responsables veulent
envoyer un message différent ».
En effet, dans un contexte social et politique très agité à Hong Kong
et une pression de plus en plus forte de la part notamment des
États-Unis, le gouvernement chinois veut absolument éviter d’ouvrir des
brèches et se voir encore décrédibilisé et affaibli. C’est en ce sens
qu’il a décidé de se montrer plus « transparent » que lors de la crise
de 2003 et d’agir vite et fort.
Possibles conséquences économiques
Cependant, ce plan comporte aussi des contradictions qui pourraient
d’une autre façon affecter le gouvernement. En effet, d’un point de vue
économique, Wuhan et la province de Hubei sont une région très
importante pour l’appareil productif chinois. Comme on peut le lire dans
Stratfor : « Wuhan
est un important centre de transport chinois ainsi qu’un centre de
recherche scientifique, de l’industrie automobile et de l’industrie
lourde. Les mesures d’urgence perturberont considérablement le trafic de
biens qui dépend du transport routier, ferroviaire et maritime via le
Hubei. Ces perturbations, à leur tour, pourraient avoir des effets
collatéraux sur les principaux ports - en particulier sur Shanghai, qui
se trouve en aval du fleuve Yangtze à partir de Wuhan. Mais comme pour
le SRAS, l’impact sur les entreprises se fera probablement sentir à
travers le pays, sinon dans le monde, si les mesures d’urgence restent
en place pendant une période considérable, en particulier à l’ère d’une
très forte interconnexion nationale. Ailleurs, la propagation
internationale de la maladie menace de perturber la circulation des
personnes et des biens alors que l’Asie de l’Est entre dans la saison
des fêtes du Nouvel An lunaire ».
En effet, cette situation est inquiétante aussi bien pour la Chine
que pour les multinationales étrangères qui ont des intérêts dans le
pays. Il suffit de rappeler que l’épidémie de SRAS en 2003 avait
provoqué des pertes de 40 milliards de dollars au niveau mondial et
l’épidémie d’Ebola en 2014-2016, 53 milliards de dollars. Certains
économistes considèrent que l’épidémie actuelle pourrait coûter beaucoup
à l’économie chinoise. Comme l’indique Stratfor, la pression
financière extérieure des investisseurs poussait les autorités chinoises
à agir très vite pour cantonner l’épidémie et y remédier, cependant la
radicalité de la mesure pourrait aussi avoir des conséquences négatives
pour ces intérêts-là.
Risques sociaux et politiques
Mais les pertes économiques ne sont pas les seuls risques face
auxquels se trouve le gouvernement chinois. En effet, la situation
sociale tendue à Hong Kong défie l’autorité de Pékin. Pour le moment,
les dirigeants chinois ont réussi à laisser la révolte hongkongaise en
dehors du continent. Cependant, la situation sociale en Chine est loin
d’être aussi calme que l’on ne pourrait le croire. Depuis plusieurs
années, on rapporte une augmentation de la conflictualité ouvrière et ce
malgré des conditions de répression gouvernementale et patronale très
dures. Cependant, cette mesure radicale pourrait provoquer une réaction
populaire.
Tout d’abord parce que l’efficacité de la mesure est loin d’être
prouvée et la crédibilité du gouvernement chinois est faible, malgré une
action plus rapide que lors de l’épidémie de 2003. Ensuite, il faut
prendre la mesure de ce que signifie une quarantaine imposée à près de
20 millions de personnes sans aucune information sur la durée de
celle-ci. En effet, la quarantaine sert à isoler des individus le temps
de l’incubation, or ce virus a une période d’incubation de 14 jours. Il
s’agirait donc d’empêcher 20 millions de personnes de quitter leur ville
pendant au moins deux semaines ; 20 millions de personnes vivant dans
l’anxiété de ne pas savoir exactement ce qu’il se passe ni si elles vont
être contaminées ou si elles le sont déjà, avec des hôpitaux saturés.
Le gouvernement devra également assurer le ravitaillement d’aliments et
médicaments mais aussi d’autres biens de consommation.
Par son ampleur, il s’agit effectivement d’une sorte « d’expérience »
sociale et politique jamais vue dans l’histoire. Au Libéria, en 2014,
lors de l’épidémie d’Ebola les autorités avaient aussi pris des mesures
drastiques mettant en quarantaine les habitants de certains quartiers,
entre 60 000 et 100 000 personnes. Cette mesure avait conduit à des
révoltes. En ce sens, on peut s’interroger sur les conséquences sociales
d’une telle mesure en Chine. Rappelons qu’elle a été prise sans
prévenir la population et qu’elle intervient à une période de l’année où
des millions de personnes voyagent pour voir leurs parents. À cela, il
faut ajouter que le caractère radical et arbitraire de la mesure
gouvernementale peut encourager des personnes à cacher des symptômes de
la maladie, à vouloir s’enfuir. Pour toutes ces raisons, le risque de
mécontentement et de révolte sociale est bien réel.
RP.
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