23.1.20

Coronavirus. Le gouvernement chinois met près de 20 millions de personnes en quarantaine


La mesure spectaculaire et inouïe comporte des risques politiques et sociaux importants pour le gouvernement chinois dans un contexte tendu à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Philippe Alcoy

Nous pourrions nous croire dans un scénario de science fiction. Alors que la Chine connaît depuis décembre la propagation d’un virus rare affectant le système respiratoire, les autorités ont décidé de mettre en quarantaine trois villes de la province de Hubei, épicentre du virus. Il s’agit de Wuhan (11 millions d’habitants), de Huanggang (7,5 millions) et d’Ezhou (1 million). Les aéroports, gares ferroviaires et routières ont été fermés et les communications fluviales et les autoroutes bloquées par l’armée. Les autorités n’avaient pas prévenu la population et n’ont pour le moment pas communiqué combien de temps cette mesure restera en vigueur.

Ce virus rappelle l’épidémie de SRAS qui avait touché la Chine en 2003 et qui ensuite s’est propagée dans d’autres régions du monde. Pour le moment plus de 500 cas ont été détectés, la plupart dans la région autour de Wuhan mais aussi quelques cas dans des pays voisins tels que le Japon, la Thaïlande mais aussi un cas dans les États-Unis. On a enregistré 18 morts pour le moment, un seul en dehors de Wuhan. Les scientifiques n’arrivent pas encore à détecter l’origine exacte du virus bien que l’on estime qu’il soit d’origine animale. Ces derniers jours on a constaté qu’il se transmettait aussi d’humain à humain.

Une mesure spectaculaire

 

La mesure est impressionnante. Mais pour le moment, rien ne peut garantir son succès. La réalité, c’est que les autorités chinoises ont pris une mesure inédite, peut-être dans l’histoire de l’humanité. Mettre près de 20 millions de personnes en quarantaine relève presque d’un projet pharaonique. Les images qui nous sont parvenues pour le moment montrent des foules se ruer vers les hôpitaux pour faire des tests ; des militaires empêcher des gens de rentrer dans les gares et aéroports. Le tout dans une période très particulière, car samedi prochain, c’est le nouvel an chinois, date pour laquelle d’habitude des millions de personnes se déplacent dans tout le pays.

Il y a plusieurs raisons pour comprendre les raisons d’une mesure d’une telle magnitude. Selon Howard Markel, enseignant d’histoire et de médecine à l’Université de Michigan, cité par le Washington Post : « la pression de la communauté des affaires internationales, qui a un énorme intérêt économique en Chine, est probablement en partie responsable de la réponse radicale du pays. Un autre facteur est l’histoire. Lors de l’épidémie mortelle de syndrome respiratoire aigu sévère, ou SRAS, au début des années 2000, le gouvernement chinois avait mis des mois à faire connaître les premiers cas. Cette fois les responsables veulent envoyer un message différent ».

En effet, dans un contexte social et politique très agité à Hong Kong et une pression de plus en plus forte de la part notamment des États-Unis, le gouvernement chinois veut absolument éviter d’ouvrir des brèches et se voir encore décrédibilisé et affaibli. C’est en ce sens qu’il a décidé de se montrer plus « transparent » que lors de la crise de 2003 et d’agir vite et fort.

Possibles conséquences économiques

 

Cependant, ce plan comporte aussi des contradictions qui pourraient d’une autre façon affecter le gouvernement. En effet, d’un point de vue économique, Wuhan et la province de Hubei sont une région très importante pour l’appareil productif chinois. Comme on peut le lire dans Stratfor : « Wuhan est un important centre de transport chinois ainsi qu’un centre de recherche scientifique, de l’industrie automobile et de l’industrie lourde. Les mesures d’urgence perturberont considérablement le trafic de biens qui dépend du transport routier, ferroviaire et maritime via le Hubei. Ces perturbations, à leur tour, pourraient avoir des effets collatéraux sur les principaux ports - en particulier sur Shanghai, qui se trouve en aval du fleuve Yangtze à partir de Wuhan. Mais comme pour le SRAS, l’impact sur les entreprises se fera probablement sentir à travers le pays, sinon dans le monde, si les mesures d’urgence restent en place pendant une période considérable, en particulier à l’ère d’une très forte interconnexion nationale. Ailleurs, la propagation internationale de la maladie menace de perturber la circulation des personnes et des biens alors que l’Asie de l’Est entre dans la saison des fêtes du Nouvel An lunaire ».

En effet, cette situation est inquiétante aussi bien pour la Chine que pour les multinationales étrangères qui ont des intérêts dans le pays. Il suffit de rappeler que l’épidémie de SRAS en 2003 avait provoqué des pertes de 40 milliards de dollars au niveau mondial et l’épidémie d’Ebola en 2014-2016, 53 milliards de dollars. Certains économistes considèrent que l’épidémie actuelle pourrait coûter beaucoup à l’économie chinoise. Comme l’indique Stratfor, la pression financière extérieure des investisseurs poussait les autorités chinoises à agir très vite pour cantonner l’épidémie et y remédier, cependant la radicalité de la mesure pourrait aussi avoir des conséquences négatives pour ces intérêts-là.

Risques sociaux et politiques

 

Mais les pertes économiques ne sont pas les seuls risques face auxquels se trouve le gouvernement chinois. En effet, la situation sociale tendue à Hong Kong défie l’autorité de Pékin. Pour le moment, les dirigeants chinois ont réussi à laisser la révolte hongkongaise en dehors du continent. Cependant, la situation sociale en Chine est loin d’être aussi calme que l’on ne pourrait le croire. Depuis plusieurs années, on rapporte une augmentation de la conflictualité ouvrière et ce malgré des conditions de répression gouvernementale et patronale très dures. Cependant, cette mesure radicale pourrait provoquer une réaction populaire.

Tout d’abord parce que l’efficacité de la mesure est loin d’être prouvée et la crédibilité du gouvernement chinois est faible, malgré une action plus rapide que lors de l’épidémie de 2003. Ensuite, il faut prendre la mesure de ce que signifie une quarantaine imposée à près de 20 millions de personnes sans aucune information sur la durée de celle-ci. En effet, la quarantaine sert à isoler des individus le temps de l’incubation, or ce virus a une période d’incubation de 14 jours. Il s’agirait donc d’empêcher 20 millions de personnes de quitter leur ville pendant au moins deux semaines ; 20 millions de personnes vivant dans l’anxiété de ne pas savoir exactement ce qu’il se passe ni si elles vont être contaminées ou si elles le sont déjà, avec des hôpitaux saturés. Le gouvernement devra également assurer le ravitaillement d’aliments et médicaments mais aussi d’autres biens de consommation.

Par son ampleur, il s’agit effectivement d’une sorte « d’expérience » sociale et politique jamais vue dans l’histoire. Au Libéria, en 2014, lors de l’épidémie d’Ebola les autorités avaient aussi pris des mesures drastiques mettant en quarantaine les habitants de certains quartiers, entre 60 000 et 100 000 personnes. Cette mesure avait conduit à des révoltes. En ce sens, on peut s’interroger sur les conséquences sociales d’une telle mesure en Chine. Rappelons qu’elle a été prise sans prévenir la population et qu’elle intervient à une période de l’année où des millions de personnes voyagent pour voir leurs parents. À cela, il faut ajouter que le caractère radical et arbitraire de la mesure gouvernementale peut encourager des personnes à cacher des symptômes de la maladie, à vouloir s’enfuir. Pour toutes ces raisons, le risque de mécontentement et de révolte sociale est bien réel.

RP.

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