21.10.19

Liban. Une mobilisation historique pour le « départ de la classe dirigeante »


Après cinq jours de mobilisations les manifestants à travers le pays ne veulent rien entendre des manœuvres du gouvernement et continuent à exiger le départ d’une caste politicienne néolibérale.
Philippe Alcoy

Tout a commencé le 17 octobre dernier. Le déclencheur des mobilisations a été l’annonce de l’imposition de nouvelles taxes notamment sur les couches populaires de la société. Parmi ces taxes on trouvait un impôt de 6 dollars par mois pour passer des appels via WhatsApp. Dans un pays où les services de télécommunications sont parmi les plus chers au monde et où les riches jouissent de larges exonérations d’impôts, cela a constitué la goute d’eau qui a fait déborder le vase.

Ainsi, des centaines de milliers de personnes ont rapidement pris les rues de Beyrouth mais aussi de tout le pays. Du nord au sud. Parmi tous les groupes confessionnels dans un pays où les classes dominantes utilisent l’appartenance confessionnelle pour diviser la population. Face à la massivité des manifestations, très rapidement le gouvernement a fait marche-arrière et a annoncé l’annulation de l’imposition des nouvelles taxes. Cependant, rien n’y a fait. C’était trop tard. Les nouvelles taxes n’ont été qu’un déclencheur. Au moment où le gouvernement reculait les manifestants étaient déjà en train de remettre en cause l’ensemble du régime et de la « caste politique néolibérale ».

En effet, ce que les centaines de milliers de manifestants sont en train de contester ce sont les politiciens et les politiques néolibérales qu’ils appliquent depuis plus de 30 ans. Ils exigent le départ de l’ensemble des politiciens du régime qui sont incapables d’assurer des services publics essentiels comme l’eau potable et l’électricité de qualité, sans coupures quotidiennes. On dénonce également la corruption et le clientélisme. Ils dénoncent les politiques d’austérité dans une société où il y a de plus en plus d’inégalités, de misère et de chômage. Enfin, la population a trouvé intolérable la gestion désastreuse des grands feux de forêt qui ont touché le pays récemment.

C’est pour toutes ces raisons que depuis cinq jours les manifestations massives, les blocages de routes tout au long du pays ne cessent pas. Le premier ministre Saad Hariri a présenté une liste de réformes accordées avec les autres partis du régime pour essayer de calmer la situation. Parmi les mesures proposées on retrouve la baisse des salaires de politiciens et d’anciens président et ministres, la création d’une agence anti-corruption, mais aussi la privatisation du secteur des télécommunications. Ces mesures ont été reçues avec beaucoup d’hostilité de la part des manifestants qui déclaraient poursuivre leur mouvement exigeant la démission d’Hariri et de tous les politiciens du régime.

La mobilisation se poursuit donc. Il faut voir comment elle va évoluer mais il y a déjà des analystes qui parlent d’une mobilisation historique. Une mobilisation qui a réussi à rassembler des manifestants de confessions différentes. Celle-ci rassemble également les travailleurs, les chômeurs et les couches inférieurs de la société avec des secteurs de classes moyennes inquiètes par la perte de pouvoir d’achat avec la dévaluation de la monnaie nationale.

La mobilisation au Liban rentre tout à fait dans cette vague de lutte de classes qui traverse le monde ces derniers jours. Cependant, il faut que les travailleurs et les couches populaires s’organisent dans les lieu de travail, dans les lieu d’étude, dans les quartiers populaires, alliés aux mouvements des femmes et autour de revendications de classe, progressistes. Car si ce sont les secteurs petit-bourgeois et classes moyennes qui donnent la teneur politique à la mobilisation on ne peut pas exclure que celle-ci soit déviée vers des revendications réactionnaires comme commence déjà à s’entendre avec des manifestants demandant la constitution d’un « gouvernement technique » ou encore « l’intervention de l’armée ». Comme le démontre l’expérience notamment dans la région, l’intervention de l’armée dans la politique ne signifiera qu’un recul et un danger pour les travailleurs et les classes populaires. Au contraire, la mobilisation au Liban pourrait devenir un levier pour les opprimés et les exploités de la région contre les régimes réactionnaires ; un levier pour la lutte du peuple kurde qui se bat contre l’offensive turque au nord-est de la Syrie !

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