31.10.19

Les mobilisations au Liban et en Irak défient la politique régionale iranienne


Le régime théocratique iranien ne promeut aucunement une politique favorable aux classes populaires. La répression que ses alliés mènent au Liban et notamment en Irak contre les manifestants n’en est qu’une preuve supplémentaire.
Philippe Alcoy

Cela fait deux semaines que le Liban connaît des mobilisations historiques ; des mobilisations qui dépassent les divisions confessionnelles et réunissent la jeunesse précaire, les travailleurs, les classes populaires des villes et même certains secteurs des classes moyennes inférieures. En Irak le mois d’octobre a été traversé par des manifestations massives, brutalement réprimées faisant plus de 200 morts et des milliers de blessés. Ces deux mouvements de contestation ont beaucoup de points en commun, notamment qu’ils remettent en cause des régimes politiques corrompus, des politiciens incapables de répondre aux besoins des classes populaires, et un fort contenu « dégagiste ». Cependant, il y a un autre point en commun très important : dans les deux pays des alliés politiques et militaires de l’Iran ont gagné un poids déterminant dans l’appareil et dans les institutions d’Etat.

En effet, le Hezbollah au Liban et les différentes milices et partis politiques chiites en Irak sont des éléments-clefs dans la politique régionale iranienne, aux côtés du gouvernement syrien de Bachar al-Assad et des rebelles Houthis au Yémen. Après l’échec de l’invasion nord-américaine en Irak et la guerre civile syrienne Téhéran a élargi son influence et renforcé ses positions dans la région.

Or, les mobilisations massives au Liban et en Irak sont en train de poser défi à la politique régionale iranienne. Car en remettant en cause l’ensemble de la « classe politique » cette contestation remet en cause aussi les alliés de l’Iran, qui désormais ont intérêt à préserver les régimes en place. En effet, la stratégie iranienne dans ces pays n’a pas été de provoquer un renversement des régimes mais de s’y infiltrer et gagner de l’influence depuis l’intérieur. En Irak, après la chute de Saddam Hussein en 2003, l’Iran a collaboré étroitement avec l’impérialisme nord-américain pour « stabiliser » la situation, profitant du « vide de pouvoir ». Ses milices ont ensuite gagné une grande légitimité en combattant Daesh. Au Liban, le Hezbollah a su gagner une grande popularité parmi les classes populaires chiites en résistant contre les offensives israéliennes, notamment lors de la guerre de 2006 où Tsahal a dû repartir vaincu.

Cependant, la situation sociale et économique des classes populaires dans ces pays et dans la région, notamment parmi les jeunes, est devenue désastreuse avec des taux de chômage et de pauvreté très élevés, beaucoup de travail informel, des services publics désastreux, des niveaux de corruption aberrants. C’est-à-dire que l’Iran et ses alliés, au-delà d’une rhétorique pseudo anti-impérialiste, gouvernent en réalité pour des secteurs de la bourgeoisie chiite ou alliés. Comme on peut le lire dans un article de Foreign Policy : « Pour les communautés chiites d’Irak et du Liban, Téhéran et ses alliés n’ont pas réussi à traduire les victoires militaires et politiques en une vision socio-économique. Autrement dit, le récit de la résistance iranienne n’a pas ramené le pain sur la table ».

Le Hezbollah, un force contre-révolutionnaire

 

Alors que jusqu’à présent le Hezbollah était épargné par les mobilisations populaires dénonçant la corruption de la « classe politique » libanaise, cette fois ce n’est pas le cas. Tout le pays est ébranlé par des mobilisations, y compris les régions chiites où le Hezbollah reste fort. Ces manifestants veulent le départ « de tous les politiciens » ; ils scandent explicitement « tous c’est tous » en s’adressant directement au Hezbollah.

En effet, cela est lié en partie à la politique du parti qui, suite aux coûts de la guerre en Syrie et aux sanctions nord-américaine contre l’Iran, a dû imposer des mesures d’austérité sur les salaires, les services publics, etc. En outre, bien que le Hezbollah ne soit pas vu (totalement) comme un parti corrompu en général, il se trouve en alliance avec des politiciens très contestés par les manifestants. A tout cela, il faut ajouter le rôle néfaste des combattants du Hezbollah en Syrie qui y ont été responsables d’atrocités, le fait que des milliers de combattants recrutés dans les quartiers populaires y sont morts tandis que des chefs de guerre s’enrichissaient.

Dans ce contexte, et voyant le danger que les mobilisations actuelles constituent pour son propre pouvoir, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a appelé ses partisans à quitter le mouvement, se plaçant clairement du côté du régime tant décrié. Des militants du Hezbollah et d’autres forces chiites se sont même attaqués aux manifestants. En effet, à la différence de l’Irak la répression policière et des milices chiites est beaucoup moins forte au Liban, le régime essaye (pour le moment) de ne pas provoquer une réaction encore plus forte des manifestants. Cependant, Nasrallah a mobilisé des brigades de choc entraînées spécifiquement pour faire face à la contestation interne.

  

Face à la poursuite du mouvement on ne peut pas écarter la possibilité d’une accentuation de la répression. Mais nous ne pouvons pas non plus exclure que l’image et l’influence du Hezbollah se dégrade davantage notamment parmi les travailleurs et classes populaires chiites, et avec, l’image de l’Iran.

En Irak les manifestants crient leur rage contre l’Iran

 

Mais c’est en Irak que les manifestants défient le plus fortement et le plus profondément la politique iranienne dans leur pays. Cela est accentué par le fait qu’à la différence du Liban, où les manifestants appartiennent vraiment à toutes les confessions, en Irak le mouvement est composé majoritairement par les chiites. Dès le début de la contestation, la réponse gouvernementale a été brutale : des centaines de morts et des milliers de blessés en quelques jours seulement. Les forces spéciales de la police et les milices pro-iraniennes ont tiré à balles réelles sur la foule ; des snipers visaient les manifestants à la tête ; des scènes de répression littéralement sauvage ont été enregistrées.

Ainsi, très rapidement le mouvement s’est dirigé contre ces milices pro-iraniennes et même contre la présence de l’Iran dans le pays. Les manifestants ont brûlé les sièges des partis et milices pro-iraniennes, des drapeaux iraniens et ont même manifesté devant un consulat iranien dans le sud du pays où ils ont accroché un drapeau irakien. Pour autant, contrairement, à ce que la propagande réactionnaire iranienne peut affirmer, le mouvement des jeunes précaires, des jeunes scolarisés et des travailleurs irakiens n’est nullement teinté de nationalisme xénophobe anti-iranien.

En réalité les manifestations en Irak ont largement commencé contre le régime hérité de l’invasion impérialiste, contre une caste politicienne corrompue ; elles ont pris un tournant de dénonciation de l’Iran dans le sens que les alliés iraniens dans le pays sont embourbés dans une corruption endémique et les chefs miliciens se sont enrichis sur le dos des classes populaires d’un des plus importants exportateurs de pétrole au monde. Et, cerise sur le gâteau, ces mêmes milices tuent impunément les manifestants qui ne font que réclamer ce à quoi ils ont droit : une vie digne !

  

Le régime théologique iranien et ses alliés sont en effet en train de dévoiler leur vrai visage contre-révolutionnaire. Le régime iranien est tout aussi réactionnaire que ses rivaux régionaux tels que l’Arabie Saoudite et les pétromonarchies du Golfe. Ces puissances régionales se trouvent dans une lutte réactionnaire pour l’hégémonie de la région. Hégémonie qui ne signifie rien d’autre que devenir le principal interlocuteur des puissances impérialistes. En ce sens, comme l’accord sur le nucléaire l’a démontré, le régime iranien n’a rien d’anti-impérialiste, ni de favorable aux travailleurs et aux classes populaires.

Hier encore les combattants iraniens aux côtés de l’armée syrienne et des milices du Hezbollah menaient (en réalité mènent encore) des crimes atroces contre les populations civiles. La jeunesse, les travailleurs, les femmes qui se mobilisent aujourd’hui en Irak et au Liban contre leurs dirigeants corrompus, capitalistes, trouveront leurs alliés du côté des opprimés et des exploités en Syrie, en Jordanie, en Egypte, en Palestine, au Yémen mais aussi en Arabie Saoudite et en Israël. C’est cette alliance internationale de classe qui pourra exploser les plans réactionnaires des dirigeants iraniens et des différents régimes réactionnaires de la région mais aussi et surtout des puissances impérialistes.

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