Une
campagne réactionnaire visant une reconfiguration ethnique dans la
région et des calculs politiques internes pour un Erdogan en perte de
vitesse sur la scène politique turque. Hypocrisie et inquiétude parmi
les puissances occidentales.
C’était une question d’heures avant que le gouvernement d’Erdogan lance son offensive réactionnaire contre les forces kurdes au nord-est de la Syrie
après que le président nord-américain Donald Trump ait donné le feu
vert à son homologue turc dimanche soir. En effet, ce mercredi les
forces armées turques entamaient leurs opérations sur le sol syrien ;
des bombardements aériens et à l’artillerie lourde se sont abattus sur
des villes et villages kurdes proches de la frontière turco-syrienne.
Selon des rapports sur place, au moins deux civils seraient morts et
deux autres blessés. Sur des vidéos publiées sur les réseaux sociaux, on
peut voir des milliers de civils fuir les zones de combat en route vers
le sud.
Le gouvernement turc annonce cyniquement mener une « opération
pacifique » avec pour but d’empêcher l’installation d’un soi-disant
« corridor terroriste » dans la région. En effet, la Turquie accuse les
Unités de Protection du Peuple (YPG) kurdes d’être liés au PKK, qui
livre sur le sol turc une lutte armée depuis plusieurs années contre
l’Etat turc et pour les droits du peuple kurde. La Turquie et les
puissances occidentales considèrent le PKK comme une « organisation
terroriste ». C’est sur cette base qu’Ankara prétend fonder la
légitimité de toutes ses attaques contre les organisations politiques et
militaires kurdes.
L’opération actuelle vise officiellement deux objectifs :
l’instauration d’une zone de sécurité de plusieurs kilomètres tout au
long de la frontière turco-syrienne, ce qui permettrait de repousser les
forces militaires kurdes plus loin du territoire turc ; d’autre part le
gouvernement turc prétend réinstaller un million de réfugiés syriens
dans cette région et de cette façon y modifier artificiellement et
criminellement l’équilibre ethnique. Tout cela n’a rien à voir avec une
prétendue « lutte contre le terrorisme » mais avec une tentative pour
éviter que le peuple kurde renforce ses positions au nord-est de la
Syrie et que cela devienne un encouragement pour les Kurdes de Turquie
en lutte pour leurs droits nationaux.
Les réactions des dirigeants impérialistes ont exprimé un mélange
d’hypocrisie et d’inquiétude. D’hypocrisie d’abord, parce qu’alors
qu’ils ont financé à coups de milliards d’euros le régime turc, ils
s’alarment aujourd’hui qu’Erdogan passe à l’action dans la région à la
poursuite de la défense de ses intérêts. Ainsi, le président de la
commission européenne, Jean-Claude Juncker, a condamné l’offensive
turque et a déclaré que l’UE ne financerait pas une éventuelle zone de
sécurité à la frontière avec la Syrie. De son côté, Trump, qui dimanche
donnait le feu vert à Erdogan pour son opération, a déclaré dans un
communiqué : « Ce matin, la Turquie, membre de l’OTAN, a envahi la
Syrie. Les Etats-Unis ne soutiennent pas cette attaque et ont clairement
indiqué à la Turquie que cette opération était une mauvaise idée ».
Mais ces réactions expriment aussi l’inquiétude, car les forces
kurdes en Syrie ont été un pilier fondamental pour vaincre Daesh.
Actuellement, les milices kurdes sont responsables de la détention
d’entre 10 000 et 15 000 d’ex-combattants de l’Etat Islamique et près de
80 000 membres de leurs familles, femmes et enfants compris dont
certains sont ressortissants européens. Les occidentaux craignent que
l’offensive turque ne finisse par faciliter la libération de ces
combattants et le resurgissement de Daesh.
Et Trump craint cela aussi. Bien qu’il voit dans la Turquie un bon
allié pour contenir la progression de l’influence iranienne dans la
région, notamment avec l’Arabie Saoudite et Israël affaiblis
actuellement, il est conscient que l’opération d’Ankara pourrait avoir
comme conséquence un déséquilibre des forces qui permette le
resurgissement de Daesh ou d’autres forces hostiles aux intérêts de
l’impérialisme nord-américain. Cette situation expliquerait les
atermoiements du président nord-américain qui s’est montré d’abord
favorable à l’offensive turque pour ensuite la condamner. Ces
hésitations pourraient être coûteuses politiquement pour un Trump en
pleine campagne pour sa réélection.
Pour Erdogan il s’agit aussi d’un pari risqué de lancer cette
offensive. Car au-delà des menaces en l’air des puissances occidentales,
le gouvernement turc se trouve dans un certain isolement dans cette
opération.
Du côté des forces kurdes, il semblerait qu’après la « trahison »
yankee, ils aient décidé de chercher de l’aide du côté de la Russie et
du régime de Bachar al-Assad. Ainsi, l’administration kurde déclarait :
« nous considérons positives les déclarations du ministre russe des
Affaires étrangères Sergueï Lavrov sur la question du dialogue entre
l’administration autonome et le gouvernement syrien et nous attendons
que la Russie joue un rôle [...] en tant que soutien et garant ».
Il semblerait donc que l’administration kurde soit effectivement en
train de chercher un « sponsor » russe après que le « sponsor »
impérialiste l’ait lâché, comme il était prévisible. Mais la cause pour
les droits nationaux du peuple kurde n’avancera pas plus de la main de
Poutine et Assad que ce qu’elle n’a avancé sous la « protection » de
l’impérialisme nord-américain et européen.
Au contraire, c’est du côté des travailleurs et des classes
populaires de la région mais aussi de ceux des pays impérialistes que le
peuple kurde trouvera un vrai allié. Dans les pays impérialistes, il
faut exiger la fin de tout soutien financier et militaire au régime
d’Erdogan et le retrait immédiat des forces militaires impérialistes de
la région. Egalement, il faut exiger que le PKK soit retiré de la liste
d’organisations terroristes. Dans un esprit internationaliste il faut se
mobiliser pour la défense du Rojava et la défaite de l’armée turque.
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