28.10.19

En Irak, le mouvement d’une jeunesse courageuse qui n’a plus rien à perdre


Le mouvement a été lancé par les jeunes précaires et les travailleurs pauvres des villes. Maintenant, c’est la jeunesse scolarisée qui a rejoint le mouvement et entrainé avec elle les enseignants. Malgré la répression la mobilisation s’approfondit.
Philippe Alcoy

Les manifestations populaires contre la corruption, le chômage et pour des services publics de qualité avaient commencé le 1er octobre dernier. Mais entre-temps elles s’étaient calmées. Vendredi dernier cependant la contestation en Irak a repris avec beaucoup de force. Et la répression tout autant. On estime que depuis le début des mobilisations, plus de 200 personnes ont été tués dont 70 depuis vendredi dernier. On compte plus de 8000 blessés. Les forces de sécurité irakiennes tirent à balles réelles sur les manifestants, ils les frappent et mutilent avec des méthodes barbares. Certains manifestants ont été tués à la suite de tirs de projectiles de gaz lacrymogènes directement au visage ou sir la tête à bout portant. Des scènes littéralement de guerre avec l’armée, la police et les milices soutenues par l’Iran tirant à balles réelles sur la foule circulent sur les réseaux sociaux.

Cependant, malgré cette féroce répression les manifestants tiennent héroïquement. Ils font face aux gaz et aux balles car ils n’ont plus rien à perdre. C’est en effet surtout la jeunesse précaire ou au chômage qui est le moteur de la contestation, dans un pays où 60% de la population a moins de 25 ans. Ces jeunes dénoncent une classe politique, installée au pouvoir à la suite de l’invasion nord-américaine, totalement corrompue et incapable d’assurer du travail et des services publics de qualité à ses habitants.

La nouveauté de ces derniers jours c’est que les jeunes chômeurs et les travailleurs pauvres des villes ont été rejoints dans les rues depuis dimanche par la jeunesse scolarisée : des images montrent de très jeunes écoliers, des lycéens et lycéennes ainsi que des étudiants manifester et défier un pouvoir brutal. Ces jeunes scolarisés ont entrainé avec eux leurs enseignants et les fonctionnaires. Des enseignants incitent même leurs élèves à manifester, mettant parfois leur propre vie et emploi en danger. C’est le cas d’une enseignante que l’on voit sur la vidéo ci-dessous se faire réprimer par un policier quand elle invitait ses élèves à manifester :

  

Conscients du danger que représente le fait que des jeunes scolarisés et des secteurs de la classe ouvrière plus organisés rejoignent le mouvement, le pouvoir a menacé les étudiants et les fonctionnaires qui seraient absents des cours et du travail. L’armée a également décrété un couvre-feu de minuit à six heures du matin jusqu’à nouvel ordre. Le pouvoir irakien, et ses maîtres étrangers, notamment les Etats Unis et l’Iran, commencent à avoir peur.

Contre l’ingérence étrangère en Irak

 

Depuis vendredi les manifestations ont pris une tournure de plus en plus explicite de dénonciation de l’ingérence étrangère. Beaucoup de manifestants scandaient « l’Iran dehors ». En effet, Téhéran à la suite de l’échec de l’invasion de l’impérialisme nord-américain a profité pour renforcer ses positions en Irak, s’appuyant notamment sur la population chiite. De fait, les Etats Unis et l’Iran ont collaboré étroitement pour créer un semblant de « stabilité », toujours sur le dos des travailleurs et les classes populaires irakiennes.

C’est ainsi que des milices pro-iraniennes ont ouvert le feu sur les manifestants vendredi dernier. Cela a provoqué une réaction immédiate. Des manifestants ont brûlé des sièges de partis pro-iraniens, des drapeaux iraniens, mais aussi des sièges d’institutions gouvernementales. Des informations circulent sur les réseaux sociaux affirmant que des manifestants auraient tué quatre miliciens pro-iraniens.

Mais l’Iran n’est pas le seul pays étranger visé par les manifestants. Comme nous disions plus haut, la contestation revendique « la chute du régime ». Or, le régime politique irakien actuel n’est autre chose que celui imposé par les américains en collaboration avec Téhéran après la chute de Saddam Hussein en 2003. Un régime qui se base sur un partage réactionnaire confessionnel de postes du pouvoir et qui génère et alimente un clientélisme et une corruption, intrinsèques au système. Autrement dit, les jeunes irakiens et les travailleurs sont en train de remettre en cause cette soi-disant « démocratie » apporté par l’impérialisme nord-américain et ses alliés.

Comme au Liban en ce moment, la mobilisation irakienne revêt en ce sens un caractère « national », dépassant les divisions confessionnelles, une lutte pour des revendications sociales et politiques mais aussi en fin de comptes de libération nationale face à l’emprise de l’impérialisme mais aussi d’une puissance régionale comme l’Iran. L’Iran et ses alliés qui sont d’ailleurs en train de révéler leur caractère réactionnaire aussi bien en Irak qu’au Liban où le Hezbollah se présente comme un rempart pour la défense du régime face aux manifestants.

Les lycéennes défient le régime

 

L’Irak est un pays où à la différence par exemple du Liban il est très rare de voir les femmes prendre part aux manifestations. Cependant, lors de ces mobilisations nous sommes en train de voir de plus en plus d’images de très jeunes femmes, notamment des lycéennes, descendre dans la rue, scander des slogans contre le gouvernement et le régime, défier des normes rétrogrades et faire face à la répression aussi.

  

 

Ces images parlent de la profondeur du mécontentement, de la contestation. Dans un pays où le peuple a été martyrisé par des années de bombardements et invasion impérialiste, ravagé par une guerre civile réactionnaire, par le surgissement de Daesh, on voit la jeunesse précaire, les femmes, les travailleurs faire face à la répression. Des jeunes hommes manifestent et font face à la répression ; des jeunes femmes aussi. Ils sont bordés par des « tuk-tuk » qui servent à l’occasion pour transporter les blessés. Il y a un vrai élan populaire en Irak actuellement, qui pourrait entrainer des secteurs de la classe ouvrière avec une capacité d’organisation plus grande.

Dans un contexte de mobilisations massives au niveau international, l’Irak a déjà inscrit son histoire sur la liste. Evidemment, ce mouvement n’est pas à l’abri de la déviation et la manipulation par des forces bourgeoises démagogiques. Dans ce contexte, le soutien au soulèvement populaire au Liban, ou encore contre l’agression des kurdes par la Turquie en Syrie sont fondamentaux pour lutter contre les tentatives de récupération nationalistes et réactionnaires. Cette jeunesse courageuse est en train de montrer que malgré la répression et des années de réaction, la lutte de classes peut retourner une situation et même poser les bases pour l’ouverture d’une crise révolutionnaire.

 

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