L’élection
d’un président « antipolitique » est la dernière expression du profond
rejet du régime, mais aussi du manque criant d’une alternative politique
propre des travailleurs et des classes populaires.
L’écrasante victoire de Volodymyr Zelensky (73% des voix exprimées) à
l’élection présidentielle ukrainienne pourrait apparaitre comme la
dernière « bizarrerie » du régime politique ukrainien. Cependant,
au-delà des commentaires sarcastiques et un peu moqueurs, il s’agit de
l’expression d’un rejet profond de ce que certains appellent « la
politique traditionnelle ». Ce rejet massif des régimes qui depuis 30 ou
40 ans mettent en place des politiques néolibérales et antipopulaires,
ne se limite pas à l’Ukraine : il s’agit d’un phénomène global accentué
par la crise économique.
Ainsi, Volodymyr Zelensky, comédien populaire mais totalement
inexpérimenté en politique, doit sa fulgurante ascension justement à
cette image de « citoyen lambda » qui vient « renverser le tableau », en
lutte contre la corruption et les oligarques qui dominent la vie
politique du pays depuis les années 1990. Cette image s’est vue
renforcée par le fait que Zelensky est l’auteur et tient le rôle
principal d’une série où il interprète un enseignant arrivé par hasard
au poste de président du pays d’où il mène une lutte sans merci contre
la corruption et les politiciens mafieux.
« M. Zelensky, qui a obtenu 30% des voix lors du premier tour de
scrutin le 31 mars, a mené une campagne peu orthodoxe axée sur les
réseaux sociaux, faite d’apparitions sur internet et de sketches
humoristiques se moquant de M. Porochenko [président sortant]. Parfois,
il était difficile de distinguer le comédien du politicien », voilà comment le journal de la City de Londres, le Financial Times, définit la campagne de Zelensky.
Rejet du « système » et populisme
Lors du débat-spectacle entre les deux « finalistes », tenu dans un
stade de football devant des dizaines de milliers de personnes, Zelensky
lançait à Porochenko : « Je ne suis pas un politicien mais un type
normal, qui est juste venu pour détruire le système. Je suis le résultat
(…) de vos erreurs et de vos promesses [non tenues] ». Zelensky a
aussi promis qu’il ne resterait au pouvoir que pendant un mandat (cinq
ans). Malgré un programme plus que vague (ou plutôt, grâce à un
programme vague), ce discours démagogique a été une clé de son succès.
Mais ce serait très superficiel de penser qu’une série télévisée et
un discours simpliste seraient suffisants pour expliquer ce vrai
bouleversement politique. Ces éléments ont constitué des piliers de la
campagne de Zelensky mais la source de son succès est avant tout la
situation sociale et économique catastrophique des travailleurs et des
classes populaires ukrainiennes depuis plusieurs années, sans parler du
conflit à l’Est du pays.
Nous pourrions aussi mentionner le fait que la politique du pays est
totalement dominée par une classe d’oligarques capitalistes qui ont
profité de la réintroduction du capitalisme dans les années 1990 pour
s’accaparer les richesses nationales. Des oligarques qui ont su
manipuler et museler les résistances ouvrières qui ont existé dans le
pays, tout en anéantissant toute velléité d’organisation indépendante
politique et syndicale des travailleurs.
C’est tout cela qui a préparé le terrain pour que la démagogie
antipolitique de « néophytes » comme Zelensky fasse son chemin parmi des
millions de travailleurs et notamment des jeunes ukrainiens.
Derrière le néophyte Zelensky, l’ombre des oligarques ?
Mais si Zelensky peut mettre en avant sa non-expérience en politique
comme un atout devant un électorat trempé d’un antipolitisme
compréhensible mais très élémentaire, la réalité c’est que derrière la
politique ukrainienne l’ombre et la main des oligarques n’est jamais
très loin.
D’un point de vue social, Zelensky lui-même a peu à voir avec ses électeurs. Comme on l’affirme dans un article de Marianne : « Parmi
les électeurs de Zelensky (…) on trouve beaucoup de jeunes
téléspectateurs, qui voient en lui le personnage simple et intègre qu’il
interprète à la télévision. Mais en réalité, le prospère Zelensky a
bien plus en commun avec les élites honnies qu’avec le peuple en
souffrance ».
Mais plus encore, Zelensky a beau parler de « la lutte contre la
corruption » et contre les « oligarques », plusieurs observateurs locaux
et internationaux pointent ses liens directs avec l’oligarque Ihor
Kolomoisky, opposé à l’ex président Porochenko (oligarque lui-même).
Selon le think tank pro-impérialiste nord-américain Atlantic Council « Pratiquement
tous les politiciens ukrainiens ont une relation clientéliste avec un
ou plusieurs oligarques du pays. C’est en effet peut-être la
caractéristique déterminante de la démocratie naissante du pays.
Néanmoins, la relation étroite entre Zelenskiy et Kolomoisky est
exceptionnelle. Les deux hommes sont des partenaires commerciaux depuis
de nombreuses années et Zelensky doit en grande partie son statut de
superstar à la couverture médiatique dont il a bénéficié sur la chaîne
de télévision phare de l’oligarque ».
Les travailleurs et la jeunesse sans alternative politique propre
Les occidentaux ont reçu la victoire de Zelensky avec beaucoup de
prudence, le nouveau président a encore beaucoup à prouver en termes de
réformes et d’actions politiques au niveau national et surtout
international. En effet, si l’Ukraine se trouve clairement dans la
périphérie internationale capitaliste, sa situation géographique lui
confère une importance géopolitique centrale concernant les relations
des puissances occidentales et la Russie.
L’Ukraine a été historiquement un territoire central dans la
protection des frontières russes. Depuis 2014, la Russie connait une
perte très importante d’hégémonie politique et économique sur le pays.
On ne peut aucunement affirmer que la victoire de Zelensky permettra
d’améliorer la position russe en Ukraine. Mais on ne peut pas non plus
dire que ce sera très simple pour le nouveau gouvernement d’avancer vers
un rapprochement avec l’Ouest, étant donné que même les Occidentaux ne
sont pas convaincus (pour le moment) d’adopter une telle politique qui
serait interprétée comme une « provocation » par Moscou.
L’élection de Zelensky représente une certaine complication pour la
politique des impérialistes occidentaux. En effet, pour eux Porochenko
avait été un président relativement « bon » : il a mené des réformes
structurelles, il a rapproché son pays de l’UE et l’OTAN, a évité des
escalades désastreuses avec la Russie à l’Est du pays, entre autres.
Cependant, tout cela n’a pas été suffisant pour assurer sa réélection et
surtout assurer une certaine stabilité dans le pays : les temps ont
changé et les politiques qui jouissaient d’une certaine légitimité dans
les années 1990 sont remises en cause ; il y a une crise du consensus
néolibéral et cela rend plus difficile la vieille équation
« néolibéralisme + pseudo-démocraties ».
En ce sens, le rejet de Porochenko exprime un élément positif dans la
situation politique ukrainienne, notamment si l’on prend en compte que
sa campagne était basée sur un discours très réactionnaire et
nationaliste. Cependant, le grand problème pour la jeunesse, les
travailleurs et les classes populaires en Ukraine c’est qu’ils n’ont pas
une alternative indépendante et qui réponde à leurs intérêts
économiques, sociaux et politiques. Ni Zelensky et encore moins les
politiciens dits pro-russes ne sont une alternative. Regrettablement
tant que cette alternative n’existera pas, ce seront des politiciens
liés aux oligarques et aux différentes puissances internationales, issus
de la « vieille politique » ou pas, qui tireront profit de la profonde
contestation du système.
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