Sans
être convaincus par Bolsonaro et sans d’autres alternatives, les
capitalistes brésiliens commencent à se faire à l’idée d’un nouveau
gouvernement PT. Mais seulement si celui-ci devenait un Syriza à la
brésilienne, appliquant austérité et responsabilité fiscale avec un
vernis « de gauche ».
Sauf un évènement complètement inattendu qui vienne chambouler
vertigineusement le cours de l’élection présidentielle brésilienne, le
résultat des urnes le 7 octobre prochain va très certainement définir
que le candidat de l’extrême-droite Jair Bolsonaro et celui du Parti des
Travailleurs (PT), Fernando Haddad, s’affronteront au second tour.
Cette perspective, au-delà d’être l’expression de la polarisation
politique dans le pays, est également le reflet du désaveu pour les
secteurs des classes dominantes brésiliennes liées au capital étranger
qui ont été incapables d’imposer à l’opinion publique l’un de leurs
candidats du « grand centre ».
La bourgeoisie brésilienne se voit ainsi forcée de choisir entre deux
candidats qui ne la satisfont pas et se voit ainsi obligée de choisir
« le moindre mal », d’après ses intérêts de classe.
Bolsonaro a essayé de démontrer qu’au-delà de son « folklore
ultraréactionnaire » et ses surenchères discursives provocatrices, il
avait quelque chose à offrir au grand capital national et international.
C’est en ce sens qu’il a choisi en tant que « gourou » économique une
figure profondément néolibérale comme l’économiste Paulo Guedes, formé à
Chicago. Cependant, des analystes et journalistes pointent la
« soudaine conversion » de Bolsonaro au néolibéralisme.
Du côté du PT et de son candidat Fernando Haddad, depuis que les
sondages ont confirmé sa progression et sa quasi sure présence au second
tour, il n’a de cesse de répéter son caractère « responsable » en
termes de fiscalité et son intention de « dialoguer » avec les partis du
« grand centre », à commencer par ceux qui ont participé activement au
coup d’Etat institutionnel contre Dilma Rousseff.
Comme l’affirme l’un des principaux journaux brésiliens, Folha de São Paulo : « dans
les coulisses, [Haddad] admet que s’il est élu, il fera un gouvernement
de coalition, mais il veut éviter de faire passer l’image qu’il est le
candidat du système - Bolsonaro prêche le discours antisystème, avec le
soutien d’une partie de l’électorat fatigué de la politique
traditionnelle ». Autrement dit, si les « gestes » du PT à l’égard
des marchés et des partis putschistes sont assez clairs, il ne va pas
plus loin de peur de révéler trop vite sa « fidélité » vis-à-vis des
intérêts patronaux. Néanmoins, cette situation pourrait se clarifier une
fois le premier tour passé : ce sera le moment de créer un « front
uni » anti-Bolsonaro.
Cette dissimulation tactique de la politique de conciliation du PT
peut aussi expliquer des articles encore assez haineux contre le parti
de Lula de la part de certains médias de droite. Cependant, d’autres
secteurs du capital financier et néolibéraux commencent à exprimer
ouvertement leur préférence pour Haddad dans un éventuel duel au second
tour avec Bolsonaro.
Le cas le plus notoire est celui du journal néolibéral britannique The Economist qui dans un article récent
présentait Bolsonaro comme la « dernière menace en date pour l’Amérique
latine ». Mais ce qui est assez curieux c’est de trouver des opinions
allant dans ce même sens dans des journaux qui ont participé activement à
légitimer le coup d’Etat institutionnel contre Dilma mais aussi la
proscription de la candidature de Lula. Ainsi, on peut lire dans le
journal O Globo : « une
chose est sûre : même si on déteste le PT, il a prouvé dans les faits
qu’il respecte la démocratie : il a gouverné le pays pendant 12 ans en
respectant la constitution (…) C’est une toute autre chose pour la
trajectoire de Bolsonaro et de son candidat à vice-président, le général
Hamilton Mourão. L’un a nié qu’au Brésil il y ait eu une dictature
entre 1964 et 1985. L’autre a expliqué de façon critique et
didactiquement une situation hypothétique de désordre, en utilisant
l’expression ‘auto-coup d’Etat’ ». Même Globo semble pencher pour le « moindre mal » Haddad.
Un gouvernement à la Syriza ?
Evidemment, ces clins d’œil de la part des médias néolibéraux envers
Haddad sont conditionnés au fait qu’il s’engage à poursuivre la
politique de coupes budgétaires et de contre-réformes entamée déjà sous
le gouvernement Dilma mais approfondie par le gouvernement putschiste de
Michel Temer.
Autrement dit, un éventuel nouveau gouvernement du PT devrait adopter
une ligne à la Syriza mais « tropicale ». C’est-à-dire, tout en
profitant des illusions d’un secteur des classes populaires à l’égard
d’une candidature qu’il perçoit comme étant « de gauche », appliquer la
politique dictée par les marchés et les institutions internationales
comme le FMI. Une politique qui permettra non seulement poursuivre les
attaques contre les travailleurs et les classes populaires mais
également de régénérer le régime politique en déclin.
Le paradoxe de cette comparaison pourrait être qu’en 2015 quand
Syriza est arrivé au pouvoir en Grèce plusieurs journaux internationaux
mettaient Alexis Tsipras devant l’injonction de devoir devenir un « Lula
grec ». Ainsi, le journal britannique The Guardian écrivait en juillet 2015, en pleine dispute avec la Troïka : « le
premier ministre grec, Alexis Tsipras, a l’opportunité de devenir pour
son pays ce que le président sud-coréen Kim Dae-jung et le président
brésilien Luiz Inácio Lula da Silva ont été pour les leurs : un homme de
gauche qui évolue vers la responsabilité fiscale et le marché libre (…)
Quand il sont arrivés au pouvoir Kim et Lula ont été capables de
s’adapter, politiquement et idéologiquement, aux nouvelles réalités
auxquelles ils faisaient face en mettant en place les réformes
nécessaires. Certaines réformes étaient ‘conservatrices’ (ou
néolibérales) et n’auraient pas pu être mise en œuvre sous des
gouvernements de droite (…) Comme Kim et Lula, Tsipras pourrait trouver
du soutien auprès de ceux à gauche qui se disent : ‘s’il dit maintenant
que ces mesures sont inévitables, il doit vraiment ne pas avoir d’autres
alternatives’ ».
Comme on le voit depuis trois ans, Tsipras a suivi au pied de la
lettre ces conseils. Aujourd’hui il s’agirait pour Haddad d’imiter
Tsipras qui lui-même s’est inspiré de Lula.
Les limites de la comparaison
Cependant, cette comparaison qui peut être utile pour penser les
dynamiques de la politique de conciliation du PT avec les marchés et la
droite putschiste au Brésil rencontre des limites. Tout d’abord Syriza a
passé trois ans au pouvoir mais il n’a pas encore fini son mandat et
tout semble indiquer que lors des élections de l’année prochaine la
droite reviendra au pouvoir. Le PT de Lula est resté au pouvoir de 2002
jusqu’en 2016 quand le coup d’Etat institutionnel a renversé Dilma. Donc
difficile d’évaluer le « succès » de cette politique appliquée au cas
grec, même si Syriza a en effet réussi à faire adopter bien plus
d’attaques que les gouvernements de droite ou sociaux-démocrates qui lui
ont précédé.
Un autre élément différent dans les deux cas c’est la conjoncture
économique et politique. Le PT a bénéficié, après la crise du début des
années 2000, d’une conjoncture économique favorable avec la hausse du
prix de matières premières notamment et le boom des exportations. C’est
en partie cela qu’a permis au PT de faire certaines réformes limitées
envers les secteurs populaires. Aujourd’hui ce n’est plus du tout le
cas. Syriza n’a bénéficié de rien de comparable. Et un éventuel
gouvernement de Haddad ne bénéficiera non plus d’une conjoncture
favorable comparable à celle de la deuxième moitié des années 2000.
C’est d’ailleurs en ce sens que l’on parle d’un « renforcement sénile du
PT » : la conjoncture économique ne lui permettra aucunement de faire
des gestes comparables à ceux du deuxième mandat de Lula, c’est tout le
contraire que le PT est en train de préparer.
Concernant la situation politique, bien que l’on retrouve une forte
polarisation actuellement au Brésil comme il y avait une forte
polarisation en Grèce en 2015, cela ne veut pas dire que les situations
soient vraiment comparables. En Grèce Syriza apparaissait comme un
élément nouveau dans la situation politique, donc la nouveauté venait de
la « gauche ». Au Brésil au contraire, bien qu’à la différence de
Syriza le PT soit un parti proche du « vieux réformisme » lié plus
directement à la classe ouvrière, a été au pouvoir pendant 14 ans
d’affilé jusqu’en 2016. Même si le PT représente le « pôle gauche »
d’une situation polarisée, la nouveauté au Brésil vient du côté du pôle
droit avec la candidature ultra-réactionnaire de Bolsonaro.
Autrement dit, comme on le voit dans l’attitude de la presse et des
secteurs importants des classes dominantes et des partis traditionnels,
le PT est aujourd’hui en train de représenter « le pôle du régime » ou
en tout cas l’agent politique qui avec son orientation de conciliation
de classe tente de sauver le régime du « danger Bolsonaro » qui à sa
façon est déjà en train d’annoncer la fin du régime post-dictature au
Brésil.
Construire une alternative des exploités et des opprimés
Mais aussi bien en Grèce qu’au Brésil cette politique conciliatrice
de la part de ces appareils réformistes est impuissante pour lutter
contre la réaction qui lève la tête notamment en temps de crise. Au
contraire, ils préparent le retour de la droite, voire de
l’extrême-droite, au pouvoir, comme on le voit dans tous les pays
latino-américains où des gouvernements « post-néolibéraux » ont gouverné
pendant des années sans modifier en rien la structure capitaliste
périphérique et dépendante de ces pays.
Ce qui se pose pour les travailleurs, les classes populaires et les
différentes secteurs opprimés des la société c’est de mettre sur pied
une alternative politique, indépendante des partis capitalistes et des
différents secteurs des classes dominantes, une organisation résolument
anticapitaliste et révolutionnaire en lutte pour un avenir socialiste.
C’est non seulement la seule façon de lutter vraiment contre les
différentes tendances réactionnaires mais aussi la seule perspective
réaliste capable de mettre fin une fois pour toutes à toutes les
souffrances que l’écrasante majorité de la société subit.
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