Le
fait qu’un pays impose le changement du nom d’un autre peut passer pour
une « bizarrerie balkanique ». En réalité, cet événement cache des
intérêts géopolitiques et économiques très importants, à commencer par
le fait que toutes les puissances occidentales sont en train de faire du
lobbying pour que le « Oui » l’emporte lors du référendum sur le nom de
la Macédoine dimanche prochain.
Depuis la dissolution de l’ex Yougoslavie et l’indépendance de
la Macédoine il y a 27 ans, se développe un conflit entre l’ex
république yougoslave et son voisin grec, mais aussi avec les autres
pays limitrophes, même si pour des raisons différentes. Dans le cas
grec, l’Etat Hellénique refuse de reconnaitre la dénomination
« République de Macédoine », ainsi que la langue et la nationalité
macédonienne, au motif que cela fait référence à la région grecque du
même nom et impliquerait donc des revendications territoriales de la
part de la République de Macédoine voisine. Pendant 27 ans la Grèce a
utilisé cet argument pour bloquer l’entrée à l’OTAN et à l’UE de la
Macédoine.
Cependant, en juin dernier le gouvernement grec d’Alexis Tsipras et
celui du social-démocrate macédonien Zoran Zaev sont arrivés à un accord
sur le changement du nom du pays, qui devrait désormais s’appeler
« Macédoine du Nord ». Cependant, pour que cet accord entre en vigueur
il doit être ratifié en Macédoine par un référendum consultatif qui aura
lieu dimanche prochain et puis par un vote au parlement et en Grèce par
un vote au parlement après que la modification du nom de la Macédoine a
été inscrite dans la constitution du pays balkanique.
L’accord a suscité des oppositions de chaque côté de la frontière. Ce
sont notamment des mobilisations nationalistes réactionnaires qui ont
eu lieu en Grèce comme en Macédoine. En Macédoine ce sont principalement
les partisans du parti conservateur, aujourd’hui dans l’opposition, qui
dénoncent une « concession inacceptable » de la souveraineté nationale,
avec un discours fortement anti-albanais [25% de la population
macédonienne est ethniquement albanaise et en général soutient
l’accord].
Du côté grec, c’est le parti conservateur Nouvelle Démocratie (ND)
mais aussi les partenaires souverainistes du gouvernement de Syriza, le
parti des Grecs Indépendants, et les néo-fascistes d’Aube Dorée qui
mènent la contestation. Ils remobilisent le discours classique sur la
« menace irrédentiste macédonienne », sur l’inexistence d’une
nationalité et d’une minorité nationale macédonienne, etc.
Les gouvernements grecs et macédoniens en suspens
Le résultat du référendum peut avoir des conséquences importantes
pour les gouvernements macédonien et grec. Cela aussi bien dans le cas
d’un échec comme d’un succès.
Après des années de domination du parti conservateur VMRO-DPMNE en
Macédoine, le parti Social-démocrate de Zaev cherche à ancrer son
pouvoir en devenant le parti qui a réussi à mettre la Macédoine « sur la
voie de l’intégration européenne et euro-atlantique ». Car, si le
changement de nom reste très impopulaire dans le pays, il en va tout
autrement pour l’entrée dans l’OTAN et dans l’UE. Ce n’est pas pour rien
que la question à laquelle les macédoniens devront répondre dimanche
est centrée sur l’UE et l’OTAN et n’évoque à aucun moment le nouveau nom
du pays : « Êtes-vous favorable à l’adhésion à l’UE et l’Otan, en
acceptant l’accord conclu entre la République de Macédoine et la
République de Grèce ? ».
Pour le moment les sondages indiquent une large victoire du « Oui »
mais l’inconnue reste le taux de participation. En effet, pour que le
référendum soit valide il faut qu’au moins 50% de l’électorat y prenne
part, ce qui semble aujourd’hui très difficile. Et en cas d’échec,
certains n’écartent pas la possibilité de la démission du gouvernement.
Pour le gouvernement grec, en cas d’échec, la convocation d’élections
anticipées n’est pas à écarter. Cependant, même si cela serait un coup
important pour Syriza mettant encore plus en danger ses chances de
victoire lors des élections générales, il est plus probable que le
gouvernement essaye d’arriver à terme de son mandat.
Un accord qui va bien au-delà de la question du nom
Même si les oppositions grecque et macédonienne essayent de tirer
profit d’un éventuel échec de la ratification de l’accord, elles se
trouvent dans une situation embarrassante. En effet, le VMRO-DPMNE
macédonien, malgré ses bonnes relations avec Moscou, a toujours été très
dévoué à l’impérialisme. Ce parti, quand il était au pouvoir, a par
exemple répondu fidèlement aux exigences de l’UE pour bloquer la route
des migrants vers le nord de l’Europe et s’est toujours prononcé pour
l’intégration de la Macédoine à l’UE et à l’OTAN. Ainsi, il n’est pas
totalement surprenant qu’il ne donne pas de consigne de vote à ses
partisans.
Pour la droite grecque cette position est également contradictoire.
Car au-delà de la question du nom, l’accord gréco-macédonien porte sur
des aspects économiques, militaires et géopolitiques très importants
pour la bourgeoisie grecque. En effet, avec l’accord les investissements
grecs pourront se multiplier en Macédoine et à partir de là s’élargir à
d’autres pays, notamment la Serbie ; avec une éventuelle entrée à l’UE
de la Macédoine les affaires des entreprises grecques, notamment dans
les secteurs de l’énergie, pourront encore augmenter. Cet accord est vu
comme une opportunité pour les capitalistes grecs de reprendre le
terrain qu’ils ont perdu dans les Balkans pendant les années de crise et
mettre un frein à l’influence de la Turquie dans la région, qui a
profité de la crise grecque pour avancer ses intérêts.
Enfin, on ne peut oublier que l’accord implique aussi la coopération
militaire entre les deux pays, ce qui dans un contexte d’augmentation
des tensions avec la Turquie pourrait être un point d’appui pour les
capitalistes grecs.
Unanimité impérialiste pour renforcer la présence de l’OTAN dans les Balkans
Mais si le référendum sur le changement de nom de la Macédoine a pris
une telle ampleur internationale c’est parce que les puissances
impérialistes occidentales voient un intérêt particulier à l’entrée de
ce pays dans leur « zone d’influence directe ». Non seulement la
Macédoine est un pays fondamental pour contrôler les flux des migrants
cherchant à atteindre les pays du nord de l’Europe, mais il est aussi
déterminant pour faire reculer l’influence de la Russie dans la région.
Il s’agirait d’approfondir la stratégie occidentale d’encerclement de
la Russie menée principalement par les Etats-Unis. En effet, la Russie
perdrait un allié important dans la région (même si le gouvernement
macédonien a déjà déclaré vouloir préserver ses bons rapports avec
Moscou) en plus du fait que l’entrée de la Macédoine à l’OTAN pourrait
être un obstacle pour les projets de pipelines russes qui arriveraient
depuis la Turquie et traverseraient les Balkans pour arriver à l’Europe
centrale.
Le référendum macédonien est ainsi en train de réussir à créer une
unanimité rare par les temps qui courent entre les différentes
puissances occidentales. Ainsi, ces derniers jours, de hauts dirigeants
impérialistes se sont rendus en Macédoine pour persuader les électeurs
de voter « Oui » : Angela Merkel ; Jim Mattis, secrétaire de la Défense
nord-américaine ; le chancelier autrichien Sebastian Kurz ; le
commissaire à l’élargissement de l’UE Johannes Hahn, entre autres.
Donald Trump lui-même s’est prononcé sur le sujet ainsi que le
Secrétaire Général de l’OTAN Jens Stoltenberg qui a enregistré une vidéo
en direction des macédoniens en expliquant à quel point c’était
important d’intégrer l’OTAN. Quant à Macron, il doit enregistrer une
vidéo pour appeler à voter « Oui ». L’ambassadeur de la France en
Macédoine, Christian Thimonnier, a même affirmé que le choix était entre « la Macédoine du Nord et la Corée du Nord ».
Il s’agit d’un niveau inouï de mobilisation de dirigeants de haut
rang qui rend assez ridicule les déclarations alarmistes sur
« l’interférence russe » pour le scrutin. En effet toute cette pression
internationale fait penser que même en cas d’échec du référendum
l’accord pourrait être quand même ratifié. Ainsi, selon un article de Foreign Policy :
« formellement, le référendum est purement consultatif et le parlement
va décider que faire indépendamment du résultat. (…) Une victoire du
« Oui », même si [la participation n’atteint pas les 50%], pourrait
persuader l’opposition à voter en faveur de l’accord ».
La machine de guerre qu’est l’OTAN, en tant qu’instrument des
principales puissances impérialistes, semble se préparer à imposer sa
volonté coûte que coûte. Mais la mobilisation même de hauts dirigeants
impérialistes pour influer l’opinion publique d’un petit pays est déjà
la démonstration de la crise internationale de légitimité du capitalisme
dans sa version néolibérale.
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