24.9.18

Référendum sur le nom de la Macédoine, enjeux géopolitiques et manœuvres impérialistes


Le fait qu’un pays impose le changement du nom d’un autre peut passer pour une « bizarrerie balkanique ». En réalité, cet événement cache des intérêts géopolitiques et économiques très importants, à commencer par le fait que toutes les puissances occidentales sont en train de faire du lobbying pour que le « Oui » l’emporte lors du référendum sur le nom de la Macédoine dimanche prochain.
Philippe Alcoy

Depuis la dissolution de l’ex Yougoslavie et l’indépendance de la Macédoine il y a 27 ans, se développe un conflit entre l’ex république yougoslave et son voisin grec, mais aussi avec les autres pays limitrophes, même si pour des raisons différentes. Dans le cas grec, l’Etat Hellénique refuse de reconnaitre la dénomination « République de Macédoine », ainsi que la langue et la nationalité macédonienne, au motif que cela fait référence à la région grecque du même nom et impliquerait donc des revendications territoriales de la part de la République de Macédoine voisine. Pendant 27 ans la Grèce a utilisé cet argument pour bloquer l’entrée à l’OTAN et à l’UE de la Macédoine.

Cependant, en juin dernier le gouvernement grec d’Alexis Tsipras et celui du social-démocrate macédonien Zoran Zaev sont arrivés à un accord sur le changement du nom du pays, qui devrait désormais s’appeler « Macédoine du Nord ». Cependant, pour que cet accord entre en vigueur il doit être ratifié en Macédoine par un référendum consultatif qui aura lieu dimanche prochain et puis par un vote au parlement et en Grèce par un vote au parlement après que la modification du nom de la Macédoine a été inscrite dans la constitution du pays balkanique.

L’accord a suscité des oppositions de chaque côté de la frontière. Ce sont notamment des mobilisations nationalistes réactionnaires qui ont eu lieu en Grèce comme en Macédoine. En Macédoine ce sont principalement les partisans du parti conservateur, aujourd’hui dans l’opposition, qui dénoncent une « concession inacceptable » de la souveraineté nationale, avec un discours fortement anti-albanais [25% de la population macédonienne est ethniquement albanaise et en général soutient l’accord].

Du côté grec, c’est le parti conservateur Nouvelle Démocratie (ND) mais aussi les partenaires souverainistes du gouvernement de Syriza, le parti des Grecs Indépendants, et les néo-fascistes d’Aube Dorée qui mènent la contestation. Ils remobilisent le discours classique sur la « menace irrédentiste macédonienne », sur l’inexistence d’une nationalité et d’une minorité nationale macédonienne, etc.

Les gouvernements grecs et macédoniens en suspens 

 

Le résultat du référendum peut avoir des conséquences importantes pour les gouvernements macédonien et grec. Cela aussi bien dans le cas d’un échec comme d’un succès.

Après des années de domination du parti conservateur VMRO-DPMNE en Macédoine, le parti Social-démocrate de Zaev cherche à ancrer son pouvoir en devenant le parti qui a réussi à mettre la Macédoine « sur la voie de l’intégration européenne et euro-atlantique ». Car, si le changement de nom reste très impopulaire dans le pays, il en va tout autrement pour l’entrée dans l’OTAN et dans l’UE. Ce n’est pas pour rien que la question à laquelle les macédoniens devront répondre dimanche est centrée sur l’UE et l’OTAN et n’évoque à aucun moment le nouveau nom du pays : « Êtes-vous favorable à l’adhésion à l’UE et l’Otan, en acceptant l’accord conclu entre la République de Macédoine et la République de Grèce ? ».

Pour le moment les sondages indiquent une large victoire du « Oui » mais l’inconnue reste le taux de participation. En effet, pour que le référendum soit valide il faut qu’au moins 50% de l’électorat y prenne part, ce qui semble aujourd’hui très difficile. Et en cas d’échec, certains n’écartent pas la possibilité de la démission du gouvernement.

Pour le gouvernement grec, en cas d’échec, la convocation d’élections anticipées n’est pas à écarter. Cependant, même si cela serait un coup important pour Syriza mettant encore plus en danger ses chances de victoire lors des élections générales, il est plus probable que le gouvernement essaye d’arriver à terme de son mandat.

Un accord qui va bien au-delà de la question du nom

 

Même si les oppositions grecque et macédonienne essayent de tirer profit d’un éventuel échec de la ratification de l’accord, elles se trouvent dans une situation embarrassante. En effet, le VMRO-DPMNE macédonien, malgré ses bonnes relations avec Moscou, a toujours été très dévoué à l’impérialisme. Ce parti, quand il était au pouvoir, a par exemple répondu fidèlement aux exigences de l’UE pour bloquer la route des migrants vers le nord de l’Europe et s’est toujours prononcé pour l’intégration de la Macédoine à l’UE et à l’OTAN. Ainsi, il n’est pas totalement surprenant qu’il ne donne pas de consigne de vote à ses partisans.

Pour la droite grecque cette position est également contradictoire. Car au-delà de la question du nom, l’accord gréco-macédonien porte sur des aspects économiques, militaires et géopolitiques très importants pour la bourgeoisie grecque. En effet, avec l’accord les investissements grecs pourront se multiplier en Macédoine et à partir de là s’élargir à d’autres pays, notamment la Serbie ; avec une éventuelle entrée à l’UE de la Macédoine les affaires des entreprises grecques, notamment dans les secteurs de l’énergie, pourront encore augmenter. Cet accord est vu comme une opportunité pour les capitalistes grecs de reprendre le terrain qu’ils ont perdu dans les Balkans pendant les années de crise et mettre un frein à l’influence de la Turquie dans la région, qui a profité de la crise grecque pour avancer ses intérêts.

Enfin, on ne peut oublier que l’accord implique aussi la coopération militaire entre les deux pays, ce qui dans un contexte d’augmentation des tensions avec la Turquie pourrait être un point d’appui pour les capitalistes grecs.

Unanimité impérialiste pour renforcer la présence de l’OTAN dans les Balkans

 

Mais si le référendum sur le changement de nom de la Macédoine a pris une telle ampleur internationale c’est parce que les puissances impérialistes occidentales voient un intérêt particulier à l’entrée de ce pays dans leur « zone d’influence directe ». Non seulement la Macédoine est un pays fondamental pour contrôler les flux des migrants cherchant à atteindre les pays du nord de l’Europe, mais il est aussi déterminant pour faire reculer l’influence de la Russie dans la région.

Il s’agirait d’approfondir la stratégie occidentale d’encerclement de la Russie menée principalement par les Etats-Unis. En effet, la Russie perdrait un allié important dans la région (même si le gouvernement macédonien a déjà déclaré vouloir préserver ses bons rapports avec Moscou) en plus du fait que l’entrée de la Macédoine à l’OTAN pourrait être un obstacle pour les projets de pipelines russes qui arriveraient depuis la Turquie et traverseraient les Balkans pour arriver à l’Europe centrale.

Le référendum macédonien est ainsi en train de réussir à créer une unanimité rare par les temps qui courent entre les différentes puissances occidentales. Ainsi, ces derniers jours, de hauts dirigeants impérialistes se sont rendus en Macédoine pour persuader les électeurs de voter « Oui » : Angela Merkel ; Jim Mattis, secrétaire de la Défense nord-américaine ; le chancelier autrichien Sebastian Kurz ; le commissaire à l’élargissement de l’UE Johannes Hahn, entre autres. Donald Trump lui-même s’est prononcé sur le sujet ainsi que le Secrétaire Général de l’OTAN Jens Stoltenberg qui a enregistré une vidéo en direction des macédoniens en expliquant à quel point c’était important d’intégrer l’OTAN. Quant à Macron, il doit enregistrer une vidéo pour appeler à voter « Oui ». L’ambassadeur de la France en Macédoine, Christian Thimonnier, a même affirmé que le choix était entre « la Macédoine du Nord et la Corée du Nord ».

Il s’agit d’un niveau inouï de mobilisation de dirigeants de haut rang qui rend assez ridicule les déclarations alarmistes sur « l’interférence russe » pour le scrutin. En effet toute cette pression internationale fait penser que même en cas d’échec du référendum l’accord pourrait être quand même ratifié. Ainsi, selon un article de Foreign Policy : « formellement, le référendum est purement consultatif et le parlement va décider que faire indépendamment du résultat. (…) Une victoire du « Oui », même si [la participation n’atteint pas les 50%], pourrait persuader l’opposition à voter en faveur de l’accord ».

La machine de guerre qu’est l’OTAN, en tant qu’instrument des principales puissances impérialistes, semble se préparer à imposer sa volonté coûte que coûte. Mais la mobilisation même de hauts dirigeants impérialistes pour influer l’opinion publique d’un petit pays est déjà la démonstration de la crise internationale de légitimité du capitalisme dans sa version néolibérale.

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