20.6.18

Le capital français mis hors-jeu en Iran par Trump


La sortie des États-Unis du traité nucléaire iranien apparaît pour ce qu'il est en réalité : une mesure supplémentaire de la guerre commerciale que Washington a décidé de mener contre ses concurrents. Les entreprises françaises sont parmi les principales affectées.
Philippe Alcoy

« La plupart des entreprises françaises ne pourra pas rester en Iran ». C’est avec ces mots que Bruno Le Maire, ministre de l’économie, avouait l’échec cuisant du gouvernement français et de Bruxelles dans leur tentative d’épargner certaines multinationales européennes le fait d’être affectées par la réintroduction des sanctions nord-américaines contre l’Iran.

En effet, début mai Trump retirait les États-Unis de l’accord nucléaire iranien signé par son prédécesseur, Barack Obama, en 2015 et parallèlement il réintroduisait des sanctions économiques contre Téhéran. Ainsi, les entreprises ayant des affaires aux États-Unis ou commercialisant avec le dollar courent des risques de subir lourdes amendes en cas de négocier avec des entreprises iraniennes.

Depuis la levée des sanctions ce sont surtout les entreprises européennes qui en ont profité pour faire le plus d’investissements dans le pays. Parmi ces entreprises, les multinationales françaises étaient les plus favorisées par l’accord et donc les plus affectées par sa fin.

Plusieurs « champions industriels français » ont sauté sur l’occasion de l’ouverture du marché iranien. L’un d’eux est évidemment Total. Le géant du pétrole français avait passé un accord d’environ de 2 milliards de dollars pour l’exploration du champ gazier South Pars. La multinationale de l’automobile PSA, qui détient 30 % du marché iranien, y a vendu près de 445 000 voitures en 2017. Renault en a vendu 162 000, une progression de 49 %, et prévoyait une augmentation des investissements. Airbus quant à lui avait signé un contrat de 17 milliards d’euros pour 98 avions pour Air Iran.

Comme on peut lire dans l’analyse du site Usine Nouvelle : « Au total, les importations françaises de biens iraniens sont passées de 66 millions en 2015 à 2,3 milliards d’euros en 2017 (dont 96 % d’hydrocarbures naturels), tirées par les achats de pétrole brut par Total. Les exportations vers l’Iran sont passées de 652 millions en 2015 à 1,5 milliard d’euros en 2017. Les investissements français en Iran ont triplé pour atteindre 1,7 milliard d’euros l’année dernière ».
On comprend donc l’énorme perte pour le capital hexagonal que signifie le retrait des États-Unis de l’accord nucléaire (qui n’avait rien de « nucléaire » et beaucoup de « commercial ») et la réintroduction des sanctions contre l’Iran. On comprend aussi l’aveu d’échec du gouvernement français quand Bruno Le Maire déclare amèrement que « [les entreprises françaises] ne pourront pas rester, car elles ont besoin d’être payées pour les produits qu’elles livrent et fabriquent en Iran et elles ne peuvent pas être payées, car il n’y a pas d’institution européenne financière souveraine et autonome ».

Macron avait tout fait pourtant, avec des scènes insupportablement pathétiques, pour « séduire » son homologue nord-américain et le persuader de ne pas dénoncer l’accord nucléaire. Le président français avait même fait des concessions sur toute la ligne afin d’au moins préserver le cadre. Quand l’accord a été dénoncé, les dirigeants français et européens avaient dit qu’ils allaient tout faire pour que les entreprises européennes voient des conditions spéciales leur être accordées par les États-Unis. Mais rien n’y a fait. Malgré les déclarations « remontées » du ministre de l’économie français, l’échec est total pour le gouvernement.

En effet, malgré le fait que beaucoup de ces grands groupes français n’agissent pas sur le marché nord-américain, ils sont dépendants du financement en dollars pour mener leurs investissements. C’est en ce sens que Bruno Le Mais déclare que la priorité du gouvernement et de Bruxelles est de « bâtir des institutions financières européennes indépendantes souveraines qui permettent des canaux de financement entre des entreprises françaises, italiennes, allemandes, espagnoles et n’importe quel autre pays de la planète car c’est à nous européens de choisir librement et souverainement avec qui nous voulons faire du commerce ».

Cependant, pour le moment les États-Unis utilisent l’énorme privilège d’être la principale puissance mondiale et que leur monnaie soit la « monnaie internationale » de commerce pour favoriser les affaires de leurs propres entreprises à travers la planète. Ainsi, on voit que la dénonciation de l’accord nucléaire iranien n’était rien d’autre qu’une mesure supplémentaire de la « guerre commerciale » que le gouvernement de Trump a décidé de lancer contre ses concurrents pour faire face au déclin hégémonique et économique nord-américain au niveau international.

La situation internationale se tend de plus en plus. L’heure de la fin du « néolibéralisme joyeux » a clairement sonnée. Le capitalisme international est en train de montrer son vrai visage dépourvu des illusions de la post-Guerre Froide. La planète est devenue plus dangereuse, le capitalisme plus néfaste encore. Aux conflits armés régionaux et les crises géopolitiques s’additionnent maintenant des frictions et des « guerres commerciales » entre les principales puissances impérialistes. La classe ouvrière et l’ensemble des exploités et opprimés devraient prendre note et préparer une réponse à la hauteur.

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