Le
retrait des États-Unis de l'accord nucléaire est en train d'accélérer
les contradictions sociales, politiques et économiques iraniennes.
C'était l'un des objectifs affichés de la manœuvre de Trump mais
contradictoirement le résultat pourrait être un tournant encore plus
anti-américain.
Dimanche dernier le Grand Bazar de Téhéran tournait au ralenti. Les
rideaux métalliques des commerces étaient baissés pour une « grève
inouïe » des commerçants de la ville. Ils protestaient, entre autres
choses, contre la dévaluation du Rial, la monnaie nationale, qui avait
atteint 90 000 rials pour 1 dollar.
Depuis le début de l’année le rial a perdu en effet 50 % de sa
valeur. Cela fait augmenter les prix pour les consommateurs et touche
particulièrement les commerçant travaillant avec les produits importés. A
cela il faut ajouter les tarifs douaniers fluctuants ces dernières
semaines. Face à ces incertitudes économiques, en partie liées au retrait des Etats Unis de l’accord nucléaire et les craintes que des entreprises européennes quittent en masse le pays, 27 milliards de dollars ont été transférés à l’étranger selon le FMI.
Le lendemain de la « grève » des commerçants, une manifestation
massive a eu lieu devant le parlement. La police a dispersé la foule en
utilisant des gaz lacrymogènes. Selon certains médias, il s’agit des
manifestations les plus importantes depuis 2012, lors de l’imposition de
sanctions économiques contre le pays.
Comme en décembre dernier ?
Ces manifestations pourraient rappeler celles de décembre dernier,
quand des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour
protester contre l’inflation et le chômage. Cependant, il semble y avoir
des différences importantes. En effet, les protagonistes des
manifestations de décembre dernier étaient les classes populaires des
villes de province, réputées en général proches des courants
conservateurs. Aujourd’hui, les manifestations se concentrent à Téhéran
et ce sont les secteurs de petits propriétaires, de commerçants de
classe moyenne, liés au commerce de produits importés, qui donnent le
ton politique.
Et cela se sent dans les revendications qui, selon les médias,
portent surtout sur des exigences au gouvernement pour qu’il contrôle et
stabilise la valeur du rial et que le système de tarifs douaniers soit
plus clair. Les dénonciations sur la vie chère et le chômage ainsi que
sur les conditions des travailleurs semblent absentes ou en tout cas
reléguées à un second plan.
Un autre aspect, qui était relativement présent également en
décembre, est celui de la dénonciation de la politique étrangère
iranienne. Mais cela ne se fait pas au nom de la « non-ingérence » dans
les affaires des autres pays, mais parce que cela « coûterait trop
cher ». Ainsi entre autres slogans, certains affirment que la foule
scanderait aussi un réactionnaire « Mort à la Palestine ! ».
Lutte fractionnelle et tournant répressif
Les problèmes économiques aggravent également les divergences entre
les différentes fractions à l’intérieur du régime. Ainsi, malgré l’appel
de l’ayatollah Khamenei à « l’unité nationale » face aux ennemis du
pays, des secteurs de l’aile conservatrice du régime semblent trouver un
intérêt à donner de la visibilité à ces mobilisations. Cela se voit
dans le fait que les médias officiels sont en train de couvrir les
mobilisations, à la différence d’autres mouvements où seulement les
médias étrangers ou de l’opposition les couvraient.
D’autres craignent que ces mobilisations contre le « gouvernement
modéré » préparent le terrain pour le retour sur le devant de la scène
du mouvement de l’ex-président conservateur « hétérodoxe » Mahmoud
Ahmadinejad.
Des témoignages parlent aussi d’une augmentation de la répression
contre les activistes et contre l’opposition en général. Le gouvernement
et le régime semblent être poussés à adopter en fait une ligne plus
autoritaire face au mécontentement grandissant et aux luttes politiques
internes. Contrairement aux expectatives des États-Unis, les sanctions
contre Téhéran pourraient aboutir à un régime plus autoritaire encore et
avec une politique encore plus hostile à l’égard des occidentaux. Que
ce soit sous le gouvernement de Hassan Rohani ou sous un autre
gouvernement de type « modéré ».
Ce qui est clair c’est que, malgré les caractéristiques du mouvement
actuel, le gouvernement craint que le mécontentement gagne d’autres
secteurs de la société, comme les travailleurs et les classes
populaires, qui lui donneraient un autre caractère et représentent un
danger encore plus grand pour le gouvernement mais aussi pour le régime.
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