Le
Yémen connaît des heures de crises politiques très graves. Alors que le
pays est en proie à la pire crise humanitaire au monde et à des crimes
de guerres à répétition, cautionnés par tous les impérialismes,
l'assassinat de l'ex-président Saleh va relancer les combats au sein
d'un pays meurtri par des années et des années de conflits.
Lors du printemps arabe, le Yémen connaît des soulèvements
contre le président Saleh alors en place depuis 1978. Une contestation
qui le pousse à fuir le pays sous la pression populaire. Dans les années
qui suivent, une guerre civile éclate, opposant les partisans du
président Hadi, soutenu par la communauté internationale et l’Arabie
Saoudite sunnite, et les partisans de Saleh alliés à leurs anciens
ennemis houthistes, mouvement armé d’obédience chiite et soutenu par
l’Iran. En somme, la révolution yéménite est confisquée par une guerre
réactionnaire d’influence régionale entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
Dans ce contexte, l’alliance de Saleh avec les houthistes devient
indispensable pour contrer Hadi qui dispose du soutien militaire de
l’Arabie saoudite. Cette alliance de circonstance, immédiatement
bancale, permet néanmoins aux forces de l’ex-président et de ses alliés
chiites de s’emparer de Sanaa, la capitale du pays, forçant les forces
de Hadi à se retrancher dans le sud du Yémen. Hadi lui-même s’exilera en
Arabie Saoudite.
La mort de Saleh intervient lundi dernier dans un contexte de
fragmentation de l’alliance avec les houthistes. En effet, les deux
groupes s’entre-déchirent depuis l’été pour le partage du pouvoir et des
richesses. Saleh consomme la rupture en déclarant à la télévision
vouloir « tourner la page » avec l’Arabie Saoudite et en lançant ses
forces à l’assaut des positions houthistes. Des combats de rue
ensanglantent immédiatement Sanaa et font au moins 125 morts et 238
blessés. Les houthistes répliquent à ce qu’ils qualifient de « grande
trahison » et parviennent à assassiner Saleh alors qu’il quittait Sanaa
accompagné de membres du Congrès Populaire Général, le parti politique
qu’il dirigeait.
La mort de l’ex-président va sans doute accélérer les combats. En
effet, Hadi n’a pas attendu pour donner l’ordre à son vice-président,
Ali Mohsen al-Ahmar, « d’activer la marche (…) vers la capitale » afin
d’engager le combat avec les houthistes. Dans le même temps, une
amnistie est proposée à tous les pro-Saleh s’ils cessent toutes
collaboration avec la milice soutenue par l’Iran. D’ailleurs, certains
analystes estiment que l’offensive aérienne de la coalition dirigée par
l’Arabie Saoudite était une tentative de dégager une voie d’échappatoire
pour Saleh.
La capitale du Yémen se prépare donc à des combats intenses comme en
témoigne la recommandation de l’Arabie Saoudite aux civils de se tenir à
« plus de 500 mètres » des zones tenues par les houthistes.
Il est difficile d’affirmer aujourd’hui quel voie prendra le conflit
yéménite. On ne peut évidemment pas écarter un renforcement des
houthistes, une fois Saleh éliminé et ses partisans privés de leur
leader. Car cet assassinat représente effectivement un coup pour
l’Arabie Saoudite et ses alliés. En effet, l’assassinat de Saleh a pris
beaucoup par surprise. Même si tout le monde s’accordait pour affirmer
que cette alliance était fragile, peu étaient ceux qui pouvaient prévoir
une telle fin tragique pour Saleh.
Cependant, aujourd’hui le problème qui se pose pour les houthistes
c’est l’effet que cet assassinat aura sur la population et les
sympathisants de Saleh. Même si ceux-ci ne soutiennent pas forcément la
coalition dirigée par les saoudiens, la mort de Saleh pourrait les
pousser à s’opposer et à combattre la rébellion houthiste. Comme
affirmait un ancien partisan des houthistes au site Middle East Eye :
« Saleh est devenu maintenant un martyr pour beaucoup de yéménis, pas
forcément parce qu’ils l’aimait, mais parce que sa mort signifie la fin
d’une ère et le début d’une autre bien pire ».
Autrement dit, la victoire que représente l’assassinat de Saleh
aujourd’hui pour les houthistes peut être en train de marquer un
tournant dans la guerre ou ceux-ci devront s’affronter à encore plus
d’ennemis, sans que cela préjuge de leur victoire sûre sur la rébellion
chiite. La conséquence de tout cela pourrait être effectivement, une
plus grande implication de l’Iran dans la guerre pour éviter que son
allié soit écrasé sur un terrain de bataille aussi important que le
Yémen.
Du côté de l’Arabie Saoudite, il est également hors de question de
perdre du terrain au Yémen. Et ce risque existe car des tribus proches
de Saleh pourraient maintenant se rallier aux houthistes par peur de se
trouver trop exposées à une guerre contre les rebelles chiites. Mais
cela est inacceptable pour les Saoud. Le royaume saoudien a toujours
considéré ce pays comme une arrière cours stratégique d’un point de vue
géopolitique. L’histoire d’interventions militaires saoudiennes au Yémen
est longue. Et en plus de cela, la guerre au Yémen est l’une des
« vitrines internationales » de la nouvelle politique que le prince
héritier, Mohammed bin Salman, veut imposer à l’Arabie Saoudite.
En ce sens, une plus grande implication de l’Iran ne fera que pousser
les saoudiens et leurs alliés à s’impliquer d’avantage au Yémen, à
accentuer la guerre et les atrocités que cela implique. Dans ce
contexte, une augmentation des victimes civiles et une plus grande
destruction des villes et de l’économie yéménite est à prévoir.
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