15.11.17

L’Arabie Saoudite va-t-elle attaquer le Liban ?


Après la démission du premier ministre libanais Saad Hariri, visiblement imposée par ses sponsors saoudiens, et des déclarations enflammées des responsables gouvernementaux saoudiens, beaucoup se demandent si la pétromonarchie du Golfe ira jusqu’à déclencher une agression armée contre le Liban.
Philippe Alcoy

La semaine dernière le premier ministre libanais, Saad Hariri, annonçait depuis Riyad sa démission et qu’il quittait le gouvernement « d’unité nationale », auquel participe le Hezbollah. Cette décision a pris tout le monde par surprise, notamment du fait que depuis un an, la coalition au pouvoir semblait marcher sans trop de contradictions et même était arrivée à se mettre d’accord sur un certain nombre de points importants comme le budget, une première depuis dix ans.

Depuis sa déclaration publique de démission, Hariri n’est pas retourné au Liban, certains parlant même d’une « prise d’otage ». Dans une interview récente Hariri affirme qu’il rentrera bientôt au Liban pour présenter officiellement sa démission. Cependant, ce qui apparaît clairement pour tout le monde c’est que Hariri, allié direct du régime saoudien, a été forcé par ses partenaires à la démission. La question qui demeure c’est pourquoi ?

En effet, depuis que le régime de Bachar al-Assad a défait l’opposition sunnite et repris une grande partie du territoire perdu et que Daesh a également été vaincu aussi bien en Syrie qu’en Irak, l’Arabie Saoudite a subi des revers importants. Non seulement la position saoudienne a été affaiblie dans la région mais celle de son rival régional, l’Iran, s’est renforcée. A cela il faut ajouter la guerre désastreuse et criminelle que l’Arabie Saoudite mène au Yémen (avec la complicité des puissances occidentales) et le fiasco de l’offensive contre le Qatar de l’été dernier (crise qui se trouve dans une impasse).

Dans ce contexte, la démission de Hariri vise à soumettre le Hezbollah, membre du gouvernement « d’unité nationale » et allié central de l’Iran, à la pression interne et externe. En effet, tout de suite après la démission de Hariri, Riyad annonçait que le Liban était en train de lui déclarer la guerre (notamment à travers l’aide du Hezbollah – et de l’Iran – à la rébellion Houthi au Yémen). A la fin de la semaine dernière les saoudiens invitaient leurs concitoyens à quitter le Liban.

À tout cela il faut ajouter des déclarations belliqueuses comme celles de Thamer al-Sabhan, ministre saoudien des affaires du Golfe : « les sanctions américaines contre la milice du parti terroriste dans le Liban [le Hezbollah] sont une bonne chose. Cependant, la solution pour atteindre la sécurité et la paix régionale c’est une coalition internationale pour combattre le Hezbollah et ceux qui travaillent avec lui ».

L’Arabie Saoudite en attaquant le Hezbollah au Liban espère obtenir un retrait des milices de celui-ci qui luttent avec Bachar al-Assad en Syrie et avec d’autres rivaux saoudiens dans la région. Cependant, rien ne peut assurer un succès de Riyad.

La réaction au Liban face à la démission de Hariri a été une étrange unité politique pour s’y opposer et plaider pour la « stabilité » dans le pays. L’UE et les États-Unis, pourtant totalement d’accord avec la politique agressive des Saoudiens contre l’Iran et ses alliés, se sont aussi prononcés contre toute déstabilisation du pays. L’UE craint surtout qu’un conflit au Liban réactive une nouvelle crise de réfugiés (il ne faudrait pas oublier que le Liban a accueilli 1,5 millions de réfugiés syriens depuis 2011).

L’option militaire semble pour le moment la moins probable bien que l’on ne puisse rien écarter. Comme c’est affirmé dans le Financial Times : « le pire des scénarios c’est la violence, bien que celui-ci soit le moins probable. Cette option semble difficile pour Riyad à mettre en pratique, car les Saoudiens n’ont pas d’alliés armés au Liban. Cependant, Riyad pourrait, sur le long terme, chercher à former ou à armer des groupes Sunnites, peut-être en utilisant la large population de réfugiés syriens majoritairement sunnites qui ont fuit leur pays et sont dégoûtés du rôle du Hezbollah. D’autres diplomates craignent que les dirigeants saoudiens poussent en quelque sorte Israël vers une nouvelle confrontation avec le Hezbollah ».

Un autre élément qui rend plus compliquée une nouvelle intervention militaire saoudienne c’est la crise interne au sommet de l’État. Même si le prince héritier Mohammed bin Salman semble être en train de verrouiller le régime et concentrer le pouvoir, on ne peut pas exclure un rebondissement des factions exclues du pouvoir et une plus grande déstabilisation interne.

Cependant, ce qui semble le plus probable aujourd’hui c’est que l’Arabie Saoudite essaye de faire pression sur le Liban au moyen de mesures économiques. Certains parlent de mesures comme la déportation de travailleurs libanais du royaume. En effet, 500000 libanais travaillent en Arabie Saoudite et cela rapporte entre 7 et 8 milliards de dollars au Liban à travers des transferts d’argent (plus de 15% du PIB libanais). Les Saoudiens pourraient aussi retirer des milliards de dollars des coffres des banques libanaises.

Cette nouvelle manœuvre offensive de l’Arabie Saoudite dans la région s’inscrit dans la concurrence réactionnaire entre Téhéran et Riyad pour le leadership régional. Aussi bien l’Arabie Saoudite que l’Iran se livrent une guerre avec des acteurs locaux interposés (des « proxys »). Deux camps réactionnaires qui se livrent également à des atrocités contre les populations locales.

Mais dans cette lutte réactionnaire, pour le moment, c’est l’Iran qui semble être en train de vaincre. L’offensive saoudienne sur le Liban pourrait être une expression de sa faiblesse face à son rival plutôt qu’une démonstration de force. Comme c’est affirmé dans Geopolitical Futures : « le seul endroit où l’Arabie Saoudite peut contrer l’Iran c’est le Liban. Si Riyad peut mettre fin à la difficile paix que le pays a retrouvée ces cinq dernières années, alors les Saoudiens pourront forcer l’Iran et le Hezbollah à dédier moins de temps et d’attention à la Syrie et à l’Irak et plus de temps au Liban. Mais l’Arabie Saoudite a ses propres problèmes et il est peu probable qu’elle rencontre du succès dans cette affaire. Dénoncer le Liban, c’est reconnaître à quel point Riyad est devenu faible ».

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