Dans
un entretien à la veille d’un sommet européen, Emmanuel Macron a mis en
garde contre les régimes « illibéraux » qui s’installent en Europe,
notamment à l’Est du continent. Des mots qui ne cachent pas le tournant
autoritaire de son gouvernement en France.
Le nouveau président français a réalisé un entretien avec huit journaux européens
pour parler de la place de la France sur l’arène internationale. Le
premier entretien de Macron, depuis qu’il a été élu président de la
France. Il n’a dit pratiquement rien sur la politique nationale, il a
seulement évoqué son point de vue sur la politique internationale de la
France. Et il s’est posé en « homme d’Etat » défendant les valeurs
soi-disant démocratiques de l’Europe contre les menaces du terrorisme
mais aussi des régimes autoritaires qui se développent notamment en
Europe centrale et de l’Est.
En effet, sans vraiment nommer un gouvernement en particulier, les
mots de Macron visaient clairement les gouvernements du fameux « groupe
de Višegrad » (Pologne, Hongrie, Tchéquie et Slovaquie). « [L’Europe]
va-t-elle réussir à défendre ses valeurs profondes, dont elle a irrigué
le monde pendant des décennies ou va-t-elle s’effacer devant la montée
des démocraties illibérales et des régimes autoritaires ? », se demande
Macron. Et plus loin il ajoute : « Quand j’entends aujourd’hui certains
dirigeants européens, ils trahissent deux fois. Ils décident
d’abandonner les principes, de tourner le dos à l’Europe, d’avoir une
approche cynique de l’Union qui servirait à dépenser les crédits sans
respecter les valeurs. (…) Les pays d’Europe qui ne respectent pas les
règles doivent en tirer toutes les conséquences politiques ».
Viktor Orban, le premier ministre hongrois, a été l’un des premiers à
réagir à ces déclarations de Macron se sentant directement visé car il
se revendique ouvertement « illibéral ». Ainsi, il a déclaré à la
presse : « Le président français est un petit nouveau qui vient à un
sommet pour la première fois. (…) Son entrée en matière n’est pas très
prometteuse : hier il a trouvé que la meilleure marque d’amitié à notre
égard était un coup de pied dans les pays d’Europe centrale ».
Quand Macron emprunte au FN le danger du « plombier polonais »
Mais l’attaque de Macron contre l’Europe de l’Est ne s’est pas
limitée aux régimes et aux gouvernements de la région, il s’est attaqué à
sa façon aux travailleurs est-européens. En effet, en se posant en
défenseur d’une « Europe qui aille vers un mieux-être économique et
social », il a ressorti le vieux discours de Le Pen père lors du
référendum constitutionnel de 2005 quand il mettait en garde les
travailleurs français contre le danger du « plombier polonais » qui
viendrait leur voler le travail.
Ainsi, le président français s’est livré à un petit exercice
xénophobe : « Sur quoi le Brexit s’est-il joué ? Sur les travailleurs
d’Europe de l’Est qui venaient occuper les emplois britanniques. (…) Le
travail détaché conduit à des situations ridicules. Vous pensez que je
peux expliquer aux classes moyennes françaises que des entreprises
ferment en France pour aller en Pologne car c’est moins cher et que chez
nous les entreprises de BTP embauchent des Polonais car ils sont payés
moins ? ».
Ces propos ont également entrainé la réaction de la première ministre
polonaise, Beata Szydlo : « La Pologne est ouverte à la coopération
avec la France. Mais cela va dépendre du président Macron : s’il veut
étaler dans les médias son hostilité à l’égard des pays d’Europe
centrale ou bien s’il veut parler des faits, plutôt que de se servir de
remarques basées sur des stéréotypes ».
Les « barbares de l’Est »
Lors du second tour de l’élection présidentielle française, beaucoup
ont utilisé l’épouvantail « illibéral » et l’exemple de la Hongrie
d’Orban pour justifier leur soutien à Macron contre Marine Le Pen. Nous
avions pointé les limites d’une telle comparaison.
Mais aujourd’hui l’épouvantail semble continuer à être profitable aux
intérêts de la « macronie » : présenter le nouveau président comme le
principal rempart contre l’avancée des « populismes autoritaires » et
asseoir sa légitimité.
Et Macron, tant que cela lui sert à améliorer sa posture d’homme
d’Etat fort, semble prêt à incarner le rôle. Même si pour cela il faut
ressortir les vieux stéréotypes racistes contre les peuples d’Europe
centrale et de l’Est, en vogue dans les pays occidentaux notamment
pendant la Guerre Froide.
A l’époque cela servait à créer une barrière entre les classes
populaires occidentales et est-européennes, dont l’unité aurait été très
dangereuse non seulement pour les capitalistes occidentaux mais aussi
pour les gouvernements staliniens à l’Est. Mais aussi, cela servait à
donner des arguments presque essentialistes sur les « valeurs
démocratiques » intrinsèques aux peuples européens de l’Ouest contre les
tendances « naturellement » autoritaires des peuples de l’Est du
continent. Ainsi, on comprenait aisément le règne de « l’arbitraire
communiste » (stalinisme) dans ces pays et la « mission libératrice du
monde libre ». Macron ne fait que reproduire une caricature de ces vieux
discours.
Libéralisme contre illibéralisme ?
Le caractère réactionnaire des gouvernements en Europe centrale et de
l’Est ne fait aucun doute. Et cela ne se limite absolument pas au
groupe de Višegrad. Leur politique réactionnaire vis-à-vis de la « crise
migratoire » n’est qu’une des expressions les plus claires et plus en
vue du grand public. Les politiques limitant les libertés démocratiques
les plus élémentaires en Hongrie et dans d’autres pays de la région sont
connues également. Et ces politiques répressives sont tout à fait
complémentaires des plans d’austérité brutaux imposés dans la région
depuis le début de la crise économique mondiale. Lesdits plans
d’austérité ont été dictés évidemment par l’UE, la Banque Mondiale et le
FMI.
Car en réalité, au-delà des discours réprobateurs, les politiques
adoptées par ces gouvernements sont tout à fait fonctionnelles par
rapport aux intérêts des capitaux transnationaux européens qui, au cours
du processus de restauration du capitalisme dans les années 1990, ont
transformé la région en véritable « arrière-cour » des puissances
impérialistes de l’UE, à commencer par l’Allemagne. Un « vivier » de
main d’œuvre bon marché, source d’immenses profits pour les
multinationales.
Il en va de même en ce qui concerne la politique migratoire. Qui
d’autre a le plus profité de la politique réactionnaire et xénophobe de
Viktor Orban contre les réfugiés que l’Allemagne et les autres pays
riches du continent ? Tout le monde sait qu’aucun migrant ne voulait
rester en Hongrie mais se diriger vers le Nord du continent. La
politique de « contention » du gouvernement hongrois a permis à Merkel
de ralentir le flux des migrants, le temps de passer un accord
réactionnaire, à coup de millions, avec le gouvernement turc pour les
empêcher d’arriver en Europe.
En ce sens, en temps de crise économique et de risque d’explosions
sociales, les mesures limitant les droits démocratiques élémentaires
servent justement à rendre plus difficile la contestation populaire et
spécifiquement des travailleurs et de la jeunesse précarisée.
Pour les classes populaires Macron est un danger majeur
Dans le cas de Macron le cynisme dépasse des sommets. Car en même
temps qu’il prétend défendre des valeurs soi-disant démocratiques de
l’Europe face aux « dérives » de certains gouvernements de la périphérie
de l’Europe capitaliste, les quelques semaines qui se sont déroulées
depuis sa victoire aux élections présidentielles ont été marquées par
une volonté de renforcer le caractère autoritaire du régime français.
Et dans l’interview il le répète au cas où on aurait des doutes :
« L’état d’urgence était destiné à répondre à un péril imminent
résultant d’atteintes grave à l’ordre public. Or la menace est durable.
Il faut donc s’organiser sur la durée. Je prolongerai l’état d’urgence
jusqu’au 1er novembre, le strict temps nécessaire pour permettre au
parlement d’adopter toutes les mesures indispensables à la protection
des Français ». Autrement dit, le temps de faire passer les mesures
« exceptionnelles » de l’état d’urgence dans le droit commun. Hollande
l’a rêvé, Macron essaye de le faire.
A cela il faut ajouter la création d’une cellule anti-terroriste au
sein de l’Elysée, dont Macron serait à la tête : « Il faut ensuite
renforcer la coordination de l’ensemble de nos services face à la menace
terroriste. C’est dans ce cadre que j’ai souhaité la création de la
coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le
terrorisme, avec la création en son sein d’un centre national de
contre-terrorisme ».
Le gouvernement Macron-Philippe, en quelques semaines seulement, a
également montré à quel point il était attaché au contrôle de la presse
et à la surveillance généralisée de la population sur les réseaux
sociaux. Et cette tendance n’est que renforcée par l’énorme majorité
parlementaire obtenue grâce au régime anti-démocratique de la Ve
République.
Ce renforcement de l’autoritarisme, dans le pays inventeur du
bonapartisme, est nécessaire pour un gouvernement qui sait que, malgré
les apparences, sa légitimité est faible et les contre-réformes
néolibérales qu’il entend appliquer, et qui vont dégrader les conditions
de vie de millions de personnes, sont immenses.
Car en effet, au contraire de ce que la presse dominante dit, le
libéralisme ne s’oppose aucunement à l’autoritarisme, à l’illibéralisme.
Au contraire, l’autoritarisme est intrinsèque au libéralisme. Les
régimes est-européens dits illibéraux sont un fardeau pour les
travailleurs et les classes populaires de la région sans aucun doute.
Mais les gouvernements occidentaux ultra pro-patronaux et néolibéraux
comme celui de Macron représentent un danger bien plus grand.
A la différence d’Orban, Macron est à la tête d’une des puissances
impérialistes les plus importantes au monde. Le pouvoir de nuisance
géopolitique, économique et militaire de la France est incomparablement
plus dangereux pour les masses, comme sa position sur la Syrie le
démontre.
Empêcher que les plans réactionnaires de Macron soient un succès
c’est une question vitale pour la classe ouvrière et les classes
populaires en France, mais qui aura des répercussions pour l’ensemble
des exploités et opprimés du continent et d’ailleurs.
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