Après
les années de l’administration Obama où les Etats Unis se sont montrés
réticents à attaquer directement les positions de Bachar al-Assad en
Syrie, les bombardements de Trump pourraient-ils faire reculer le
gouvernement syrien et protéger les vies civiles ?
Suite aux bombardements à l’arme chimique contre la population
civile la semaine dernière, Donald Trump a décidé de bombarder une base
aérienne militaire du régime syrien. Il s’agit non seulement d’un
tournant important par rapport à la politique de désengagement prônée
jusqu’à présent par Trump vis-à-vis de la Syrie, mais également d’un
tournant de la politique des Etats Unis vis-à-vis du régime d’Assad
depuis le début de la guerre : jamais les Etats Unis n’avaient attaqué
directement des positions de l’armée syrienne.
Bien que la raison évoquée par Trump pour justifier le bombardement
soit « l’émotion » provoquée par les images d’enfants en train de mourir
des suites de l’attaque chimique, tout le monde sait que derrière cette
offensive nord-américaine se cachent des froids calculs géopolitiques
et militaires. D’ailleurs, le cynisme de l’administration Trump est
évident : alors qu’il s’émeut du sort de la population civile attaquée
au gaz sarin, il bannit l’entrée aux Etats Unis des réfugiés fuyant la
guerre ; il s’émeut des enfants qui meurent sous les bombes chimiques
alors que la plupart des morts en Syrie tombent sous les bombes
conventionnelles.
Cependant, alors que la guerre civile syrienne a fait près de 500 000
morts et autour de 11 millions de réfugiés internes et externes,
certains se demandent si ce bombardement étatsunien n’est pas une bonne
nouvelle ou du moins ne pourrait pas aider à alléger les souffrances du
peuple syrien martyrisé. Comme affirmait un réfugié syrien en Turquie au
journal nord-américain The New York Times :
« voir une puissance mondiale prenant la revanche pour les civils
contre le régime syrien, me donne de l’espoir et me rend optimiste ».
En effet, le conflit syrien présente un scénario très complexe où les
principaux camps en dispute sont animés par des forces profondément
réactionnaires. Les travailleurs et les classes populaires syriennes se
trouvent ainsi pris au piège entre : le régime d’Assad et ses alliés
internationaux, notamment la Russie et l’Iran mais aussi le Hezbollah
libanais ; les puissances impérialistes, notamment les Etats Unis mais
également la France qui est l’une des puissances les plus belliqueuses
en Syrie (et en Irak) ; enfin Daesh et les différents groupes islamistes
radicaux.
Dans ce contexte, des débats interminables ont lieu dans les médias
dominants et au sein des « états majors » des partis capitalistes pour
savoir comment ramener la « paix » en Syrie. Bien que tout le monde
s’accorde pour dire qu’il faut combattre Daesh, certains sont partisans
de la fermeté vis-à-vis du régime d’Assad et posent comme préalable à
toute discussion le départ de celui-ci. Ce dernier camp, majoritaire en
Occident jusqu’à présent, perd de plus en plus de partisans au fur et à
mesure qu’Assad et ses alliés avancent sur le terrain militaire contre
l’opposition. D’autres sont partisans justement d’une coalition large
antiterroriste, incluant les forces du régime et ses alliés. Les plus
fervents défenseurs de cette position soutiennent même l’idée que, sans
Assad, la paix ne sera pas possible en Syrie. Quelques jours avant son
attaque, c’est Trump lui-même qui avait laissé ouverte la porte à cette
option.
La réalité c’est qu’aucun de ces acteurs n’est capable de ramener la
paix en Syrie. Ou en tout cas, une paix favorable aux opprimés et
exploités du pays. Leur « paix » est celle qui sera la plus favorable à
leurs intérêts. Elle sera ainsi surtout imposée contre les intérêts des
masses.
Mais si en Syrie, et au Moyen Orient en général, on se trouve devant
un scénario avec différents acteurs réactionnaires, la capacité de
nuisance de ceux-ci n’est pas la même. En effet, même si le régime
d’Assad (et ses alliés) et Daesh apparaissent comme des dangers
immédiats pour les travailleurs et le peuple syrien, les pays
impérialistes restent leurs ennemis les plus dangereux et puissants.
A commencer par les Etats Unis. L’impérialisme nord-américain est le
principal responsable dans la déstabilisation réactionnaire de la région
avec son intervention en 2003 Irak, qui a suivi celle de 2001 en
Afghanistan. L’embourbement de l’armée nord-américaine en Irak et
l’éviction des sunnites du pouvoir, a en outre favorisé le surgissement
de Daesh en Irak d’abord et en Syrie ensuite.
On ne pet pas oublier non plus que les Etats Unis sont la puissance
impérialiste la plus forte au niveau mondial, avec une capacité
économique, géopolitique et militaire de nuire immenses. Par conséquent,
une victoire de celle-ci en Syrie, ne ferait que renforcer son pouvoir
et sa capacité d’imposer la spoliation et l’oppression des peuples des
pays de la périphérie capitaliste mais aussi de renforcer l’exploitation
à l’intérieur des Etats Unis.
Quant à la capacité des Etats Unis à aider à établir des « régimes
démocratiques » dans la région ou encore à « sauver des vies civiles »,
aucune confiance ne peut leur être faite non plus. Pour s’en convaincre
il suffit de jeter un coup d’œil à leurs alliés régionaux : l’Arabie
Saoudite, Israël, l’Egypte, les pétromonarchies du Golf, pour n’en
nommer que quelques uns.
Mais les Etas Unis ne sont pas la seule puissance impérialiste à
intervenir activement en Syrie. La France est l’un des pays qui
participe le plus activement dans les bombardements en Syrie. Sous
prétexte de « lutte contre le terrorisme », la France est devenue l’une
des puissances les plus agressives dans la région, parfois doublant sur
la droite les Etats Unis eux-mêmes.
Pour l’impérialisme français il s’agit d’essayer de regagner un peu
de rayonnement international face à un certain déclin depuis quelques
années. Mais il y a également des enjeux économiques. Le principal est
lié à l’industrie française de l’armement. Sous le gouvernement de
François Hollande, la France est devenue le deuxième exportateur
mondial d’armes : le scénario syrien est « idéal » pour faire une
démonstration de « l’efficacité » des armes françaises.
Un autre objectif économique de l’impérialisme français est lié à
l’après-guerre et à une éventuelle phase de reconstruction et de partage
de l’exploitation des ressources naturelles syriennes. Les géants du
BTP français ainsi que des multinationales comme Total ne verraient pas
d’un mauvais œil que l’Etat leur permette de récupérer une partie du
« gâteau syrien », même si la concurrence est rude.
D’un point de vue historique, la France a une longue tradition
colonialiste et de division des populations dans la région. C’est pour
toutes ces raisons, que du point de vue du mouvement ouvrier, de la
jeunesse et de l’ensemble des opprimés en France il s’agit en premier
lieu de dénoncer les agissements de l’impérialisme français en Syrie et
dans la région, de s’opposer à toute intervention militaire française.
Un succès de la France impérialiste en Syrie c’est un succès pour nos
exploiteurs et oppresseurs ici même. Notre principal ennemi est chez
nous !
Tout cela étant dit, est-ce qu’Assad et/ou Poutine constituent un
« moindre mal » ? Aucunement. Contrairement à ceux qui laissent entendre
ici en France qu’il faudrait trouver un terrain d’entente avec le
régime syrien et Poutine pour lutter contre Daesh et ramener la paix en
Syrie, cette solution ne promet rien de positif pour les travailleurs et
les masses. Cela ne ferait que renforcer d’autres tendances
réactionnaires qui ne cherchent qu’à préserver leurs privilèges ou à
renforcer leur influence dans la région.
Assad dépend aujourd’hui entièrement du soutien de ses sponsors
internationaux, qui, eux, poursuivent leurs propres objectifs. La Russie
de Poutine, qui possède une puissance militaire comparable aux pays
impérialistes les plus forts, utilise son intervention en Syrie pour
améliorer le rapport de forces de Poutine vis-à-vis des Occidentaux. Son
intervention militaire (limitée) en Syrie cache les profondes
contradictions et faiblesses du capitalisme russe devenu très dépendant
des exportations de pétrole et de gaz.
Quant à l’Iran, depuis l’échec des Etats Unis en Irak, le pays est
devenu clé dans la région et commence à disputer à l’Arabie Saoudite le
rôle de leader régional. Assad est l’un de ses alliés fondamentaux pour
maintenir cette influence ainsi que pour garder un lien territorial avec
son allié libanais, le Hezbollah. En quelque sorte, le maintien d’Assad
au pouvoir est plus important pour l’Iran que pour la Russie. Au moins
le temps de trouver un remplaçant fiable.
Concernant Daesh, il s’agit d’une des expressions les plus claires et
aberrantes de la décomposition sociale et politique dans la région
causée par les interventions impérialistes. Cependant, depuis plusieurs
mois Daesh connait plusieurs revers militaires et ne cesse de perdre du
terrain. La chute de Daesh semble pour certains une question de temps.
Mais la question qui se pose ensuite est celle de l’après-Daesh. Qui et
quoi remplacera l’organisation islamiste radicale ? Beaucoup craignent
un chaos plus grand, un scénario à l’irakienne. En même temps, les
différentes manœuvres et nouvelles frictions peuvent aussi s’expliquer
par rapport à cette incertitude liée à l’après-Daesh. En attendant,
l’organisation islamiste gagne du temps.
Dans ce contexte, pour les travailleurs et les opprimés il ne s’agit
pas de choisir le « moindre mal » ou de s’appuyer ponctuellement sur
telle ou telle intervention d’un des camps réactionnaires en dispute. Il
s’agit au contraire de trouver les voies pour une politique
indépendante des différentes fractions des classes dominantes locales,
des puissances régionales et des impérialistes. Autrement dit, une
politique qui défende les intérêts de la classe ouvrière et des classes
populaires, ce qui implique le renversement révolutionnaire du régime ne
place et la lutte contre les autres forces réactionnaires locales et
internationales. Et c’est précisément cela l’élément clé manquant
aujourd’hui dans la situation syrienne et qui rend les perspectives si
noires pour les travailleurs et les masses.
Les processus révolutionnaires et contre-révolutionnaires en Syrie et
dans toute la région ont trouvé le mouvement ouvrier sans préparation
pour mener jusqu’au bout la révolution. Les différentes forces
réactionnaires ont pu prendre le dessus et se développer en grande
partie grâce à cela. Il nous faut, ici en Europe, démontrer toute notre
solidarité avec les travailleurs syriens, nous battre contre les
politiques de division des exploités et des opprimés et aux
interventions impérialistes en Syrie, nous battre pour l’ouverture des
frontières et l’accueil dans des conditions descentes tous les migrants
et réfugiés. Mais pour les travailleurs et exploités et opprimés d’ici
il faut surtout tirer les leçons politiques de la révolution et de la
contre-révolution en Syrie.
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