Aujourd’hui,
24 mars, c’est 41e anniversaire du dernier coup d’Etat en Argentine, le
plus sanglant de son histoire. Une opportunité pour revenir sur l’une
des techniques d’extermination les plus néfastes du régime militaire :
les vols de la mort.
Philippe Alcoy
En 1996 Adolfo Scilingo, ex officier de l’armée argentine
affecté à l’Ecole Mécanique de l’Armée (ESMA), qui fonctionnait comme un
centre de détention clandestin pendant la dictature, livrait un
témoignage glaçant sur les « vols de la mort ». Cette technique
d’extermination des prisonniers politiques consistait « tout
simplement » à jeter dans la mer, endormis et ligotés, les détenus du
régime.
Comme au Chili trois ans auparavant, les militaires, soutenus
notamment par l’impérialisme nord-américain, avaient pour objectif
d’appliquer un tournant « néolibéral » dans le pays ; un changement
profond de la structure économique, favorable aux grandes fortunes
nationales et surtout aux entreprises multinationales et au capital
financier. Pour cela il fallait éliminer, y compris physiquement, toute
opposition à ce tournant politique et économique.
Ainsi, dans une politique que l’on peut qualifier de véritable
« génocide social » en Argentine, la junte militaire après avoir pris le
pouvoir le 24 mars 1976 a systématisé les séquestrations et les
détentions illégales, les tortures, les assassinats et les
« disparitions » des militants politiques (surtout d’extrême gauche), de
syndicalistes, de militants dans les quartiers, de militants pour les
Droits de l’Homme, de journalistes et de tout opposant au régime. Cette
politique avait déjà commencé sous le gouvernement d’Isabel Peron à
travers l’action répressive para-étatique de l’Alliance Argentine
Anticommuniste (la Triple A). Cependant, avec l’arrivée au pouvoir des
militaires cette répression sanglante allait prendre la forme d’un
véritable « terrorisme d’Etat ».
C’est dans ce cadre, que les sinistres « vols de la mort » commencent
à avoir lieu dans le pays pour se « débarrasser » des détenus illégaux
qui en sauraient trop, ou seraient trop impliqués dans le militantisme
révolutionnaire et/ou syndical. On estime à 30.000 le nombre de
« disparus » par la junte militaire argentine entre 1976 et 1983 mais on
ne sait pas exactement combien ont été victimes des « vols de la
mort ».
Ce qui est certain c’est qu’un grand nombre d’officiers de l’armée a
participé et a été responsable de vols de la mort. Des sous-officiers et
des soldats aussi. C’est ce que raconte Adolfo Scilingo, ex officier
argentin responsable de la mort de 30 personnes lors de deux « vols de
la mort », dans une interview réalisée en 1996. Il y explique avec des
détails glaçants le procédé des militaires.
Scilingo a été condamné en 2005, en Espagne, à perpétuité (jusqu’en
2022). Ses témoignages, en tant que membre de l’appareil de répression,
permettent de connaître beaucoup de détails sur cette pratique aberrante
mais aussi de mettre des noms sur les responsables militaires et
politiques du terrorisme d’Etat en Argentine. Cependant, Scilingo reste
un génocidaire convaincu du bien fondé de son « devoir ». Dans une autre
interview du milieu des années 1990 il expliquait : « je n’ai pas
changé de camp. Au contraire ! (…) Je pense que le chemin correct aurait
été de faire un procès éclair et les fusiller [les détenus].
C’est-à-dire, personnellement je ne me serait pas senti aussi mal si au
lieu d’avoir jeté 30 personnes, endormies, nues, depuis un avion à la
mer, je les avait tuées en tant que chef d’un peloton d’exécution en les
regardant droit dans les yeux ».
La dernière dictature en Argentine reste l’une des plus sanglantes de
l’histoire de ce pays et aussi du continent américain. Elle est
également l’un des exemples de l’histoire récente les plus clairs de ce
que les capitalistes et leur Etat son capables de faire pour préserver
leurs privilèges et cette société d’exploitation et d’oppression. Et
cela n’est pas une « exclusivité » des Etats de la périphérie
capitaliste mais une caractéristique du capitalisme lui-même. En ce
sens, nous ne pouvons pas oublier que ce sont en grande partie les
militaires français qui ont appris aux tortionnaires latino-américains
les techniques de torture et de « contre-insurrection », apprises durant
la guerre d’Algérie. Le même « savoir faire français reconnu dans le
monde entier » dont parlait Michelle Alliot-Marie lors de la révolution
tunisienne…
Interview d’Adolfo Scilingo :
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