Après
le G20 de ce week-end, les sirènes d’alarmes s’allument en Europe et à
Pékin. Le protectionnisme n’est plus « à combattre ». Se dirige-t-on
vers une fragmentation du marché mondial ?
Philippe Alcoy
Malgré de longues discussions, des tractations, l’accueil
chaleureux du ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble, les
ministres des finances et présidents des banques centrales du G20 n’ont
pas réussi à faire plier leur collègue nord-américain, Steven Mnuchin.
Il a été impossible de convaincre les représentants de l’administration
Trump d’inclure dans la déclaration finale la mention à la lutte contre
tout type de protectionnisme. Une expression présente dans les
déclarations du G20 depuis 2005.
Finalement, les États-Unis ont réussi à imposer leur volonté : il n’y
a pas eu de mention à la lutte contre « les différentes formes de
protectionnisme », juste un engagement à développer les économies
nationales à travers le commerce. De quoi alimenter les inquiétudes de
certains pays exportateurs comme l’Allemagne et la Chine mais aussi des
pays « émergents » comme le Brésil, ainsi la France elle-même. Indigné
Michel Sapin a déclaré : « les discussions ont fait apparaître sur
deux points un désaccord ; non pas un désaccord du G20, mais un
désaccord entre un pays et tous les autres ».
On comprend très bien cette attitude du gouvernement Trump lors du
G20 : le protectionnisme est l’un des axes principaux de sa politique
économique. Plus précisément il ne s’agit pas de revenir à une sorte
d’enfermement pour les États-Unis, mais de renégocier certains accords
commerciaux avec des « partenaires », notamment la Chine et l’UE, pour
les rendre plus favorables aux intérêts nord-américains.
Parallèlement, Trump espère que sa politique économique
protectionniste permettra de créer des emplois et empêcher que des
entreprises produisant pour le marché national ne délocalisent leur
production. C’est une façon d’essayer d’acheter la « paix sociale » aux
États-Unis dans un contexte de profonde polarisation sociale face à la
crise économique qui a touché durement des secteurs larges de la classe
ouvrière et même des classes moyennes.
En ce sens, les États-Unis ne pouvaient qu’adopter une attitude
visant à empêcher de mentionner une quelconque restriction à des mesures
protectionnistes. Les dirigeants des autres pays du G20 espèrent
pouvoir « assouplir » la position de Trump lors du sommet des chefs
d’Etat du G20 en juillet prochain.
Des oppositions de l’UE
En effet, si Trump et son gouvernement voient certaines mesures
protectionnistes comme un outil pour faire face à la détérioration de la
situation de l’emploi et de l’industrie aux États-Unis, au moins à
court terme, pour l’UE le protectionnisme est vu comme un danger très
important. Et cela non seulement pour ses exportations vers d’autres
régions du monde et notamment vers les États-Unis mais aussi pour
l’unité du marché européen lui-même.
En effet, l’UE, la monnaie et le marché communs sont l’achèvement
d’un projet lancé après la Seconde Guerre Mondiale. Une victoire pour
les grands capitalistes des pays impérialistes du continent. Le discours
et les politiques de Trump ont l’effet d’alimenter et renforcer les
courants populistes qui se sont développés au cours de la crise
économique internationale dans différents pays européens, comme le FN en
France.
Ces courants réactionnaires ont trouvé leur salut en combinant un
discours xénophobe et une orientation économique protectionniste, anti
euro et anti-UE. Comme l’exemple du Brexit l’a montré, l’arrivée au
pouvoir de ces partis met en danger le marché commun européen ; le
protectionnisme représente un vrai risque de fragmentation du marché
européen. Un vrai cauchemar pour les capitalistes européens sans pour
autant représenter une bonne nouvelle pour les travailleurs et les
classes populaires du continent.
Des oppositions de la Chine
On dirait un scénario d’une pièce de théâtre surréaliste. La Chine,
dirigée par un parti soi-disant « communiste » fait figure aujourd’hui
de l’un des principaux défenseurs du libre-marché, de l’ouverture des
frontières aux exportations. Mais cette posture de la Chine n’a rien de
« surréaliste », au contraire. Elle découle de la structure économique
du pays complètement dépendante des exportations vers les marchés des
pays capitalistes développés, l’UE et les Etats Unis. Les mesures
protectionnistes dans ces marchés seraient une catastrophe pour une
économie chinoise tournant de plus en plus au ralenti.
Cependant, cette orientation pro ouverture des marchés de la part du
gouvernement chinois présente une contradiction importante : bien que la
Chine prône le libre-marché pour ses exportations, il en va tout
autrement quand il s’agit des importations vers le marché chinois. C’est
cela qu’affirme le diplomate du trésor nord-américain Nathan Sheets :
« la Chine est en train de se positionner comme un défenseur d’une
économie libre et ouverte mais pour que cela soit crédible, la Chine
devrait compléter cela avec des pas réels vers l’ouverture et la
libéralisation de son économie ».
Deux alternatives contre les travailleurs
Ce que l’on a vu à l’œuvre ce week-end c’est un épisode
supplémentaire du débat qui commence à s’installer au sein des classes
dominantes entre les « mondialistes » et les défenseurs du « marché
national », les protectionnistes. C’est un débat inter-bourgeois qui
s’est imposé au milieu du tourbillon de la crise économique
internationale à laquelle les gouvernements ne trouvent pas encore une
solution durable.
Les partisans du « mondialisme », du néolibéralisme, semblent
largement majoritaires pour le moment parmi les classes capitalistes du
monde entier. Et ils continuent à prôner les même recettes qui depuis
plus de quatre décennies appauvrissent les travailleurs et les classes
populaires à travers le monde : privatisations, réduction des dépenses
sociales, licenciements, flexibilisation et précarisation du marché de
l’emploi.
Mais les solutions proposées en face ne sont en rien favorables aux
travailleurs frappés par les politiques néolibérales et la crise
capitaliste. Elles proposent de « protéger » le marché intérieur pour
préserver les emplois et en créer d’autres. Or, ces mesures ne sont rien
d’autre que la protection des grands groupes capitalistes nationaux en
échange d’éventuelles créations d’emplois.
Mais ces emplois créés devront être suffisamment précaire et
flexibles pour permettre aux capitalistes nationaux d’avoir des prix
compétitifs sur le marché mondial. Cela sans compter l’augmentation du
coût de la vie avec des produits plus chers. Le tout dans un climat
idéologique de « préférence nationale » et donc de mise ne concurrence
des travailleurs d’un pays avec ceux d’autres pays, la division de
classe ouvrière par des barrières nationales.
Aujourd’hui pas plus qu’hier, les travailleurs et les classes
populaires n’ont rien de bon à attendre de ces alternatives
capitalistes.
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