Philippe Alcoy
Dans d’autres circonstances, ces résultats électoraux auraient
attiré beaucoup moins l’attention de la presse occidentale. Dans
d’autres circonstances. Car la situation internationale est devenue si
sensible aux changements de gouvernement, si imprévisible, si agitée,
qu’une élection en Moldavie ou en Bulgarie prend une ampleur
géopolitique démesurée. En effet, ce dimanche deux candidats présentés
comme « pro-russes » ont remporté les élections présidentielles dans ces
deux pays ce qui, dans le contexte actuel, inquiète les gouvernements
impérialistes de l’UE. Après le Brexit et l’élection de Trump,
assiste-t-on à un retour de l’influence russe en Europe de l’Est ?
Bulgarie : Après la victoire de Roumen Radev, le gouvernement démissionne
En Bulgarie, Roumen Radev a obtenu une large victoire face à la
candidate du parti du premier ministre (GERB), Tsetska Tsatcheva,
remportant près de 60% des voix au second tour. Radev, ancien militaire
et sans expérience politique préalable, a été soutenu par le Parti
Socialiste. Il apparaissait clairement comme un « outsider » du système
de partis instauré dans le pays depuis les années 1990. Son discours
portait sur une politique plus « amicale » vis-à-vis de la Russie, il
est même allé jusqu’à exiger la fin des sanctions européennes à
l’encontre de Moscou et a suggéré que « la communauté internationale »
devait reconnaître de facto l’annexion de la Crimée par la Russie.
Un autre élément important de sa campagne a été son discours
xénophobe contre les réfugiés, déclarant qu’il ne voulait pas que la
Bulgarie devienne « le ghetto des migrants en Europe ». Cependant, Radev
n’a aucunement remis en cause l’appartenance de la Bulgarie à l’UE et à
l’OTAN.
Malgré le fait que la fonction présidentielle soit très limité en
Bulgarie et que le pouvoir exécutif soit majoritairement concentré dans
le poste de premier ministre, le gouvernement de centre-droite Boïko
Borissov présentait sa démission dès dimanche soir. Pour le parti au
pouvoir, l’élection de Radev était une démonstration qu’il n’avait plus
de majorité pour diriger le pays. Il y aura sans aucun doute un
gouvernement provisoire jusqu’au printemps 2017, quand des élections
législatives anticipées auront lieu.
Victoire du « Trump moldave » aux présidentielles moldaves
En Moldavie, le même jour, c’est un autre « pro-russe » qui est
arrivé en tête du second tour de l’élection présidentielle. Igor Dodon a
en effet obtenu 52% des voix face à la candidate soutenue par la
coalition pro-européenne au pouvoir, la libérale et ancienne
fonctionnaire de la Banque Mondiale Maia Sandu. Le profil « pro-russe »
de Dodon est beaucoup plus marqué que dans le cas de Radev. Dodon a fait
campagne autour de son « amitié » avec Poutine et a menacé de quitter
l’Accord d’association avec l’UE pour associer la Moldavie a l’union
douanière pilotée par la Russie.
Dodon, surnommé aussi le « Donald Trump moldave », a récolté le vote
des mécontents de la gestion des partis pro-européens depuis 2009. Non
seulement ces partis se sont révélés être complètement liés à des
oligarques, profondément corrompus, qui se sont emparé des richesses
nationales mais se sont fait également complices de la « disparition »
d’un milliard d’euros (l’équivalent à 12% du PIB national) des coffres
des trois principales banques du pays. L’affaire du milliard d’euros
disparu a déclenché une vague d’indignation et manifestations à travers
le pays.
Un autre élément important du discours de Dodon a été son engagement à
trouver une solution définitive au conflit entre la Moldavie et la
Transnistrie, région habitée majoritairement par des russophones qui
proclame son indépendance depuis 1991. En effet, dans un pays où 20% de
la population est russophone, Dodon n’a pas hésité à brandir le risque
« d’union avec la Roumanie » que représenterait une victoire de sa
rivale. Il n’a pas hésité non plus à disséminer le poison xénophobe en
affirmant que sa rivale aurait passé un accord avec l’Allemagne pour
accueillir 30.000 réfugiés dans le pays .
Comme en Bulgarie, en Moldavie la fonction présidentielle est presque
symbolique. Cependant, c’est la première fois en 20 ans que les
moldaves élisent leur président à travers une élection directe. Dans un
pays en crise politique et gouvernementale chronique depuis des années,
cela représente un changement important. Bien qu’avec moins de pouvoir
que le gouvernement, le nouveau président pèsera de tout son poids dans
la vie politique, légitimé par le soutien populaire obtenu dans les
élections.
Montée du populisme réactionnaire
Les résultats électoraux en Moldavie et en Bulgarie confirment la
poussée des forces populistes réactionnaires au niveau international par
le biais de candidats se présentant de façon démagogique comme
« outsiders » ou « anti élite ». Cependant la réalité est plus
contradictoire que cela. En Moldavie, Dodon, a non seulement déjà été
ministre quelques années auparavant, mais il pourra très facilement
s’arranger avec les oligarques locaux, comme avant 2009 ils
s’arrangeaient avec les forces « pro-russes » qui dirigeaient le pays.
En Bulgarie Radev, bien que nouveau en politique, compte sur le soutien
du parti socialiste qui fait partie du régime et de « l’élite » depuis
les années 1990.
Cependant, la Bulgarie et notamment la Moldavie font partie des pays
les plus instables de la région depuis plusieurs années. Mais aussi, ils
sont parmi les pays les plus pauvres du continent. Le vote pour des
candidats populistes présentés comme « pro-russes » est en réalité un
vote contre les classes dominantes « pro-européennes » qui dirigent le
pays depuis des années. Ces résultats sont l’expression de la crise de
légitimité de ces formations politiques.
Néanmoins, pour le moment, c’est le populisme de droite, xénophobe, autoritaire et démagogue, qui tire profit de cette crise.
Renforcement de l’influence de Poutine
Ces résultats électoraux auront sans aucun doute des conséquences
géopolitiques qui dépassent les enjeux nationaux. En premier lieu, on
peut s’attendre au renforcement de Poutine et des forces pro-russes dans
la région et donc ne pas exclure le renforcement des forces pro-russes
en Ukraine. Si la Moldavie avance sur son association avec la Russie et
que la pression de différents gouvernements de la périphérie – mais pas
que : Italie, Grèce... - arrive à assouplir les sanctions contre le
Kremlin, Poutine pourrait commencer à regagner un peu du terrain perdu
depuis 2014.
Si ces élections ont un impact aussi important, c’est parce qu’elles
ont lieu après la victoire de Donald Trump aux États-Unis et que durant
sa campagne, celui-ci s’est déclaré favorable à une collaboration avec
Poutine. Cela soulève une grande inquiétude chez les dirigeants polonais
et des pays Baltes mais aussi parmi les gouvernements des puissances de
l’UE. En effet, cet éventuel rapprochement de Trump avec Poutine
pourrait se faire au détriment de l’UE et de ses alliés dans la région.
Chaque jour semble confirmer que le monde est définitivement rentré
dans une période très mouvementée et comportant beaucoup de situations
imprévisibles. Les frictions, crises et conflits géopolitiques entre
grandes puissances ne semblent en être qu’à leur début.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire