Philippe Alcoy
La primaire de la droite française a pris des dimensions qui
débordent non seulement les frontières politiques, dans le sens où même
des sympathisants de gauche la suivent et y ont même pris part, mais
aussi les frontières hexagonales. En effet, après le Brexit et la
victoire de Donald Trump aux États-Unis, beaucoup affirment que la
France pourrait être le prochain théâtre d’un « tremblement politique »
avec une éventuelle victoire de Marine Le Pen aux élections
présidentielles de l’année prochaine. C’est pour cette raison que la
presse internationale n’a pas manqué de commenter le résultat du premier
tour de la primaire à droite.
Une défaite humiliante pour Sarkozy
La première observation qui revient dans l’écrasante majorité
d’articles, ce n’est pas tant la nouvelle de la victoire de François
Fillon que celle de la défaite humiliante de Nicolas Sarkozy. Ainsi,
pour le journal espagnol El País « Sarkozy
a subi ce dimanche le plus humiliante des défaites, celle parmi ses
propres rangs. L’ex président de France, qui est revenu en politique en
2014 avec l’objectif de reconquérir l’Élysée, a été éliminé au premier tour des primaires de droite ».
Le journal britannique The Guardian va aussi dans ce sens : « l’ancien
président Sarkozy a subi une défaite humiliante, mis hors compétition
après avoir mené une campagne de droite dure axée sur l’identité
nationale française, ciblant les musulmans et les minorités. Son pauvre
score (…) a montré qu’il était devenu une figure détestée aussi bien à
droite qu’à gauche ».
Beaucoup, à l’étranger, estiment que la stratégie de Sarkozy a échoué
car en essayant d’apparaître comme un « rempartcontre le FN » il a
adopté un discours trop « à droite », ce qui l’aliénait des voix des
sympathisants du centre et de centre-gauche. Cela ne veut pas dire que
les concurrents de Sarkozy véhiculaient des idées moins réactionnaires
sur l’identité nationale, sur la population musulmane ou sur
l’immigration. Au contraire, comme affirme le New York Times, François Fillon a « repris les même thématiques[mais] en utilisant un langage moins dur ».
Le résultat est en tout cas que l’ancien président de la France a été
défait par son ancien premier ministre. Ce qui, dans les codes des
politiciens de la classe dominante, semble être l’une des plus grandes
humiliations politiques. Sarkozy est ainsi le plus grand perdant de la
primaire de droite. Cependant, il n’est pas le seul qui a reçu un coup
dimanche soir. D’après le Financial Times « le
résultat de la primaire est une déception pour Alain Juppé, qui a
cherché à faire appel à une large portion du centre du spectre politique
portant des valeurs libérales et une position plus modérées sur
l’économie. Il est maintenant confronté à une difficile bataille pour
remporter le second tour ».
À la recherche du meilleur candidat pour battre le FN ?
Tout le monde sait que ce qui se joue en grande partie dans cette
primaire de la droite c’est le possible et probable rival de Marine Le
Pen au second tour de la présidentielle de 2017. Un scénario qui comme
affirme El País d’Espagne est « celui de la France la plus à droite de la Ve République ».
Non seulement les classes dominantes françaises sont inquiètes d’une
victoire du FN mais cela est aussi une inquiétude pour les différentes
capitales des puissances mondiales. Et leurs journaux expriment cette
inquiétude.
Le britannique The Guardian est l’un des journaux qui a le
plus ouvertement pris parti ces derniers temps pour les partis et
orientations de l’establishment face « au danger populiste ». C’est pour
cela que dans un édito
d’avant le premier tour des primaires des Républicains, en imaginant un
duel entre Juppé et Sarkozy, on y évaluait qui serait le meilleur pour
vaincre Marine Le Pen : « Ni la France ni l’Europe peuvent se
permettre une présidence de Le Pen : cela pourrait être une menace
sévère pour la démocratie dans un pays où la concentration du pouvoir
présidentiel est la plus forte en Occident, et cela pourrait
probablement sonner la fin du projet européen. Dans l’état des choses,
Juppé apparait le mieux positionné pour vaincre l’extrême-droite en
2017. Son attitude calme et son ouverture à la diversité ont le
potentiel de rallier les électeurs de gauche au second tour. Sarkozy
non. Après que l’élection de Donald Trump ait secoué les bases de la
démocratie libérale occidentale, les enjeux ne pourraient pas être plus
élevés ».
Pour le Wall Street Journal, le résultat inespéré du premier tour de la primaire encoche « un autre bouleversement dans une année de bouleversements électoraux pour l’establishment politique occidental ». Même son de cloche pour le Financial Times qui considère que « le résultat inespéré de la primaire a renforcé le sentiment de bouleversement du régime politique français ».
Cependant, la figure de Fillon présentée comme un « outsider »
capable de battre le FN dans un éventuel duel au second tour ne tient
pas. Comme expliquait un éditorialiste du journal brésilien Folha De São Paulo dans un article publié avant les résultats : « le problème c’est que les trois candidats […] sont la quintessence de l’establishment : Alain Juppé, 71 ans, ex-premier ministre et maire de Bordeaux depuis des années ; Nicolas Sarkozy, 61 ans, ex président ; François Fillon, 62 ans, aussi ex-premier ministre ».
Une campagne axée sur les questions économiques ?
L’arrivée en tête de Fillon au premier tour laisse penser qu’à
travers une éventuelle investiture en tant que candidat de la droite,
les débats présidentiels vont porter plus sur les questions économiques.
En tout cas, c’est ce que le Wall Street Journal pense : « l’arrivée
de Fillon au second tour de la primaire va probablement changer l’axe
de la compétition vers la question de l’économie française stagnante. [Fillon] soutient
que le malaise derrière tous les maux de la France est économique et
financier. Le plus pro-business des candidats, il propose de démanteler
des pans entiers du code du travail, d’abandonner la semaine de 35
heures, de réduire le pouvoir des syndicats et d’augmenter les impôts
comme la TVA pour aider à financer les allégements fiscaux pour les
entreprises ».
Pour le New York Times également les questions économiques
pourraient revenir sur le devant de la scène. Mais on voit cette
question comme un point faible de François Fillon : « une grande
majorité des électeurs ont déclaré dimanche que les questions
économiques les inquiétaient le plus, et sur ce sujet, M. Fillon
pourrait être vulnérable. Il a promis des mesures sévères – dans le contexte français – pour faire reculer le rôle de l’État dans l’économie du pays :
réduire de 500 000 à 600 000 postes de fonctionnaires, éliminer la
semaine de travail de 35 heures et passer à une semaine de travail de 39
heures dans les services publics comme les hôpitaux. Ce type de
déclarations de campagne amènent généralement des dizaines de milliers
de manifestants dans les rues – comme M. Juppé a appris à ses frais au milieu des années 1990 ».
Et en effet c’est cela la question centrale pour les travailleurs,
pour la jeunesse précarisée dans les quartiers et les « emplois
poubelle », pour les opprimés et pour les couches populaires : gagne qui
gagne à la primaire de droite et ensuite aux présidentielles, tous
promettent de renforcer les attaques contre les conditions de vie des
masses, d’augmenter les mesures sécuritaires et xénophobes contre les
migrants. Face à cela ce dont les travailleurs et les classes populaires
ont besoin c’est de commencer à préparer la résistance, reprendre le
chemin de la lutte comme au printemps dernier et aller plus loin. C’est
la seule façon de commencer à changer les vents réactionnaires qui
soufflent sur la planète.
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