Philippe Alcoy
C’est dans la presse de toute la planète. Les gros titres. Après
des mois de préparatifs et des déclarations, le gouvernement irakien a
finalement décidé de décréter le début de l’offensive pour reprendre
Mossoul des mains de Daesh, ce lundi très tôt. Il semble y avoir un
nouvel élan d’euphorie guerrière. Toujours pour la « bonne cause », bien
évidemment. On oublierait presque le million de personnes qui habitent
Mossoul. On oublierait presque qu’on est en face de l’une de ces
opérations militaires dont on sait quand elles commencent mais pas quand
elles finissent. Doit-on se préparer à une nouvelle vague massive de
réfugiés ?
Il s’agit de l’offensive militaire contre Daesh la plus
importante de 2016 et peut-être l’une des plus importantes du conflit au
Moyen-Orient. On estime entre 40 000 et 45 000 effectifs impliqués dans
l’opération de reconquête de Mossoul : 30 000 des forces armées
irakiennes, et entre 10 000 et 15 000 des forces kurdes et autres
milices. Les forces militaires de Daesh dans la ville sont très
difficiles à évaluer, certains parlant d’entre 4 000 et 7 000
combattants.
Cependant, les difficultés de l’opération sont aussi politiques.
Mossoul est une ville d’environ un million de personnes. Elle est
habitée par une large majorité de Sunnites. Quand Daesh a pris le
contrôle de la ville en juin 2014, prenant presque tout le monde par
surprise, beaucoup de ses habitants ont bien accueilli la nouvelle. Ils
voyaient Daesh, une organisation sunnite, comme un possible rempart
contre la corruption des élites chiites mises au pouvoir par
l’intervention nord-américaine. C’est en grande partie le déplacement
total de la population sunnite des structures de pouvoir qui a préparé
le terrain pour la progression d’organisation islamistes radicales
sunnites.
Des informations semblent cependant indiquer que le soutien à Daesh
serait en train de reculer fortement parmi la population locale. Cela
est alimenté par les différents revers militaires de ces derniers mois,
mais aussi par les difficultés économiques qui en découlent. La perte de
contrôle de certains puits de pétrole et de routes d’approvisionnement
coupe les territoires sous la domination de Daesh d’importantes sources
de financement. Ces difficultés économiques ont même poussé les
autorités de Daesh à couper les salaires des combattants (100 dollars
par mois, contre 400 en 2014). Mais cette perte soutien de Daesh à
Mossoul et dans d’autres territoires doit être analysée aussi par
rapport à son régime réactionnaire et les méthodes brutales de
gouvernement.
La complexité et la dangerosité de l’opération font également
craindre un désastre humanitaire. Selon Lise Grande, coordinatrice des
Nations Unies en Irak, « l’ONU craint profondément que, dans le pire
des scénarios, l’opération à Mossoul pourrait être l’une des plus
grandes et complexes de 2016, et craint qu’au moins un million de civils
soient forcés de quitter leur maison ».
Du côté des forces coalisées se trouvent également d’importantes
contradictions. Différentes fractions et organisations politiques sont
en concurrence les unes avec les autres, et la reconquête de Mossoul,
dans un combat rue par rue, maison par maison, ne semble pas la tâche la
plus simple pour une force aussi divisée. Les risques de pertes sont
très importants et dans ce contexte personne ne veut être en première
ligne et payer le coût de la libération de Mossoul, pour ensuite se
trouver affaibli face aux fractions concurrentes. Il s’agit d’éviter de
« gagner la guerre et de perdre au moment du partage du gâteau ».
Comme dit George Friedman dans un article récent sur une possible offensive sur Mossoul : « quand
les États-Unis ont envahi l’Irak, un de leurs avantages était la
division entre Sunnites, Chiites et d’autres tribus qui ont rendu
impossible une défense effective. Aujourd’hui, les États-Unis payent le
prix de la division au moment où ceux-ci essayent de créer une coalition
prête à subir des pertes à Mossoul. Tout le monde veut expulser Daesh
de Mossoul. Personne n’est prêt à en payer le prix ».
Enfin, même si cette offensive se prépare depuis plusieurs mois, on
ne peut pas exclure la possibilité que la décision de passer à l’action
soit liée non seulement à l’hypothèse que Daesh est en train de
s’affaiblir, mais également aux frictions de plus en plus fortes entre les États-Unis et la Russie.
En effet, les États-Unis ont besoin d’améliorer leur rapport de forces
dans la région face à la Russie, notamment avec des succès militaires
sur le terrain. Le Pentagone pourrait estimer qu’une victoire à Mossoul
le mettrait dans une meilleure position face à une Russie qui avance en
Syrie.
Mais comme ces années de guerre dans la région l’ont déjà démontré,
rien ne garantit une victoire de la coalition dirigée par les États-Unis
contre Daesh, même si cette organisation semble affaiblie et à la
défensive. Une défaite ou même un embourbement pour la coalition
pourrait au contraire représenter un coup très dur pour les États-Unis
et ses alliés dans la région.
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