Philippe Alcoy
« Chaque migrant représente un risque pour la sécurité publique et
d’attaque terroriste[…] pour nous, l’immigration ce n’est pas une
solution mais un problème […] non pas un médicament, mais un poison ».
Voilà l’une des déclarations pré-référendum du premier ministre
hongrois, Viktor Orban. Voilà le ton de la campagne odieuse menée
actuellement par le gouvernement contre les migrants. Ce dimanche les
électeurs hongrois sont invités à se prononcer pour dire s’ils acceptent
ou non le plan européen de répartition des réfugiés à travers le bloc.
Une campagne dans laquelle Orban prétend défendre les « racines
chrétiennes de l’Europe » et craint que l’arrivée de migrants sur le sol
hongrois mette en danger l’identité nationale magyare. En effet,
l’identité de ce pays de 10 millions d’habitants serait « menacée » par
les 1294 réfugiés que la Hongrie devrait accueillir selon le plan de
l’UE. Ridicule. Mais ridicule est surtout le nombre de migrants et
réfugiés que l’UE prétend accueillir face au désastre humanitaire qui a
lieu actuellement au Moyen-Orient, notamment en Syrie, mais aussi dans
d’autres régions du monde.
En faisant un amalgame entre terrorisme et migration (« saviez-vous que depuis le début de la crise migratoire, plus de 300 personnes ont été tuées dans des attaques terroristes ? »,
trouvait-on écrit sur un panneau d’affichage officiel), le gouvernement
hongrois approfondit les préjugés racistes et xénophobes au sein des
masses. Et cela alors que pas un réfugié n’est arrivé en Hongrie via le
plan européen. Et nécessairement, il y en aura. En effet, les conditions
de travail déplorables, la corruption, le clientélisme ainsi que les
bas salaires poussent les hongrois eux-mêmes à prendre le chemin de
l’exil. On estime que 500 000 hongrois, soit 5% de la population du
pays, est installée à l’étranger, notamment en Allemagne, en Autriche et
en Grande-Bretagne. Cela produit même une pénurie de main d’œuvre
qualifiée et non qualifiée dans le pays.
La campagne du référendum en Hongrie révèle également le caractère
pathétique du personnel politique hongrois. En effet, pour alimenter
leur discours, le gouvernement a publié une liste de soi-disant 900
« zones de non-droit » dans des grandes villes européennes, où la
dangerosité des migrants empêcherait la police d’y rentrer. Ces
déclarations ont été tournées en dérision par les médias occidentaux et
les autorités des pays concernés.
Cependant, le discours d’Orban et son gouvernement est le plus
explicite d’une tendance généralisée parmi les différents dirigeants
européens, des dirigeants qui tendent à « criminaliser le droit à la
survie » des migrants fuyant la guerre ou la pauvreté. Pas un pays en
Europe n’applique pas des mesures répressives contre les migrants,
l’accord ignoble entre l’UE et la Turquie étant l’exemple le plus clair.
Un défi pour l’autorité de Bruxelles
Mais le référendum hongrois ne porte pas seulement sur la question
des 1 300 réfugiés à accueillir dans le pays ou non. Il s’agit en
réalité d’un défi à l’autorité de Bruxelles, posé par Orban, qui lui
sert surtout à répondre à des objectifs politiques internes. En effet,
Orban cherche à se renforcer en utilisant une rhétorique soi-disant
« anti-UE » pour faire face à la montée électorale du parti d’extrême
droite nationaliste et raciste, le Jobbik. Celui-ci est devenu
clairement la deuxième force politique dans le pays.
Dans cette même logique, certains estiment qu’une victoire d’Orban
dans le référendum entraînerait une tentative d’amender les traités
européens avec le groupe de Višegrad (Pologne, Tchéquie, Slovaquie et
Hongrie). Or le référendum lui-même ne semble pas avoir une base légale
solide et ses conséquences (légales) ne sont pas du tout claires. Le
plus probable, c’est qu’en cas de victoire, Orban aura simplement la
« légitimité populaire » pour continuer à ignorer la décision de l’UE
concernant le partage des migrants.
Quoi qu’il en soit, on est face à une nouvelle démonstration
d’affaiblissement des institutions européennes, dont les décisions sont
cette fois défiées par le gouvernement d’un pays de la périphérie de
l’UE. Évidemment, cette posture de Viktor Orban peut avoir lieu surtout
dans le contexte d’affaiblissement constant des partis traditionnels
depuis le début de la crise en 2008, y compris dans les pays centraux ;
que ce soit dans le contexte du Brexit que des défaites électorales
importantes du parti de Merkel en Allemagne.
C’est pour cette raison, malgré les critiques dures de dirigeants
européens contre Orban, certains appelant même à l’exclusion de la
Hongrie de l’UE, qu’il est très probable qu’il n’y ait aucune sanction
allant en ce sens contre le gouvernement hongrois. L’UE préférera
tolérer ce « défi » plutôt que d’envoyer un signal indiquant que le bloc
est en train de se désintégrer.
Il est très peu probable également qu’Orban essaye d’appeler à un
référendum pour rompre avec l’UE comme dans le cas de la Grande
Bretagne. Orban lui-même fait campagne pour le « Remain ». Comme on peut
le lire sur le site de Stratfor : « [la
Hongrie] dépend encore des fonds et aides européens pour la croissance
économique, et en tant que centre de production de biens destinés à
l’Europe de l’Ouest, la Hongrie ne peut pas se permettre de perdre
l’accès au marché interne de l’UE. […] Le gouvernement hongrois va
continuer à être l’un des plus forts critiques de l’UE, mais Budapest va
calibrer ses actions pour ne pas mettre en danger son appartenance au
bloc ».
Néanmoins, jouer avec cette rhétorique peut tout à fait préparer le
terrain en faveur de la progression des idées du Jobbik, posant de fait
un véritable problème pour le pouvoir d’Orban.
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