Philippe Alcoy
Le même jour qu’on apprenait le revers électoral du parti d’Angela Merkel à Berlin,
Poutine et son gouvernement annonçaient leur large victoire aux
élections législatives, qui leur permettra de contrôler deux tiers des
sièges au Parlement. Alors que les articles et émissions télé ou radio
se multiplient pour pointer la crise des « partis du centre » dans
plusieurs pays d’envergure, les résultats de dimanche dernier en Russie
semblent indiquer une exception notable. Vraiment ?
Beaucoup d’analystes ont déclaré qu’après les élections de
2011, à la suite desquelles des milliers de personnes sont descendues
dans la rue pour protester contre le pouvoir de Poutine, ces élections
sont une revanche pour le Kremlin. Le pouvoir a en effet pris soin de
présenter formellement un scrutin « plus propre » et « démocratique ».
Même si des vidéos montrant des fraudes circulent sur Internet, les
différents observateurs s’accordent à dire qu’il y a eu une
amélioration, même de ce point de vue.
Avec cette victoire, le parti de Poutine, Russie Unie, obtient 343
sièges sur les 450 que compte la Douma, le parlement russe (il en avait
obtenu 238 en 2011). De cette façon, Poutine pourrait procéder à des
réformes constitutionnelles sans dépendre des voix des autres partis du
Parlement.
Les autres sièges, justement, seront occupés par les représentants du Parti Communiste, du parti d’extrême-droite le Parti Libéral Démocratique et le Parti Russie Juste (centre-gauche).
Abstention record et affaiblissement relatif de la légitimité populaire du gouvernement
Cependant, ce résultat impressionnant cache un autre fait très
important : seulement 48% des électeurs se sont déplacés aux urnes
dimanche dernier, le pays recensant ainsi le taux d’abstentionnisme le
plus élevé depuis la dissolution de l’URSS (généralement la
participation se situe autour de 60%). Plus encore, dans les deux villes
les plus importantes du pays, Moscou et Saint-Pétersbourg, les taux de
participation n’ont été respectivement que de 28% et 21%, alors qu’en
2011 50% et 44% des inscrits avaient pris part au scrutin.
En ce sens, on peut dire qu’en Russie la crise des « partis du
centre », qu’on observe dans d’autres pays, commence à s’exprimer non
tant à travers le vote en faveur de partis en dehors ou à la marge du
régime (même si la progression de l’extrême-droite peut être un signe en
ce sens) mais par un abstentionnisme massif.
Cela pose un défi à la légitimité du pouvoir de Poutine. Comme dit dans un article de Stratfor, « ces
16 dernières années le président russe Vladimir Poutine et son parti
ont conservé le pouvoir à travers différents niveaux de soutien
populaire. Maintenant, cependant, l’autorité de l’administration
reposera davantage sur son pouvoir centralisé que sur le soutien du
peuple ».
Alors que la Russie se trouve dans une situation économique de plus
en plus difficile, certains estiment que Poutine envisage de mettre en
place des réformes économiques qui se heurteront à une partie de
l’oligarchie et surtout aux classes populaires. Et même si la domination
du parti Russie Unie au parlement est totale, le sentiment de
légitimité des lois antipopulaires votées dans celui-ci peut être bien
moindre parmi les travailleurs et les classes populaires. Le risque de
résistances et de révoltes par en bas, comme on en a vues lors de la réforme touchant les transporteurs l’année dernière, est grand dans ce contexte.
Luttes inter-oligarchiques
Ces élections étaient les premières au niveau national après
l’annexion de la Crimée et constituaient un test pour Poutine, notamment
pour préparer son éventuelle candidature pour un quatrième mandat de
président aux élections de 2018. Pour certains il n’y a aucun doute que
Poutine se représentera. D’autres pensent qu’il ne faudrait pas trop
s’avancer.
Quoi qu’il en soit, ce qui est clair c’est que la lutte pour la
succession ou, plus probable, pour faire partie du nouveau gouvernement
de Poutine semble déjà lancée entre différentes fractions oligarchiques.
En effet, alors que le pouvoir a tout fait pendant des années pour
museler toute forme d’opposition, y compris des secteurs libéraux
bourgeois, il est probable que ce soit à l’intérieur des cercles du
pouvoir que commencent à se constituer des cliques oppositionnelles.
Malgré le fait que le discours sur « l’unité derrière Poutine » et
contre les américains ait fonctionné un moment, notamment en termes de
soutien à la politique internationale du Kremlin, les résultats de
celle-ci ne sont pas satisfaisants. En Ukraine, malgré les négociations
et les manœuvres de Poutine exploitant les contradictions des
occidentaux, le bilan concret est que la Russie a perdu la main sur
l’Ukraine, ou en tout cas sur une grande partie de son territoire, et
cela n’est pas compensé par l’annexion de la Crimée. D’autre part, en
Syrie, la Russie a su mettre en grande difficulté, à certaines périodes,
les États-Unis ; mais la situation semble de plus en plus sans issue et
la Russie embourbée dans celle-ci.
Mais il y a un autre facteur central de la crise latente : la
situation économique. Depuis la chute de l’URSS, la Russie a transformé
son industrie et est devenue largement dépendante de l’exportation des
matières premières, notamment du pétrole et du gaz. Dans la situation
actuelle de baisse des prix des matières premières, le pays ne semble
pas près de s’en sortir.
C’est autour des solutions économiques envisagées que les tensions se
crispent entre différents secteurs de la classe capitaliste russe. Ceux
qui se sont enrichis « facilement » avec l’exportation des matières
premières ne sont pas prêts à abandonner leurs privilèges et accompagner
les transformations dans la structure économique que d’autres exigent.
La lutte entre ces différents secteurs pourrait être brutale. Et
Poutine et son entourage proche le savent. Il est très significatif en
ce sens que Poutine ait décidé de mettre en place une force armée sous
sa direction, la Garde Nationale, parallèlement aux autres forces
répressives de l’État. Ainsi, cette semaine 163000 officiers de police
ont été transférés du Ministère de l’Intérieur à la Garde Nationale, qui
compte déjà parmi ses membres des officiers des services secrets, des
unités spéciales de police et même des gardes personnelles de Poutine.
Comme on le voit, loin de l’image de stabilité du pouvoir de Poutine
que certains voudraient véhiculer, une crise latente et profonde qui se
base sur les contradictions économiques, politiques et sociales du pays a
lieu en Russie. Cette crise pourra difficilement être évitée à moyen
terme. Et elle pourrait prendre une tournure dramatique. A un an du
centenaire de la Révolution d’Octobre, reprendre cette tradition sera
fondamental pour les travailleurs et les classes populaires, pour faire
face aux différentes forces réactionnaires qui dominent aujourd’hui le
pays.
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