11.9.16

Lettre à mes camarades de France sur le décès d’un ouvrier révolutionnaire argentin


Philippe Alcoy

Hier on a appris la triste nouvelle du décès du camarade Oscar « Chiche » Hernandez, dirigeant ouvrier du Parti des Travailleurs Socialiste d’Argentine. Chiche était un dirigeant ouvrier qui a milité pratiquement toute sa vie. Pendant 40 ans il a été ouvrier métallurgique. Il a milité politiquement dans le Mouvement vers le Socialisme (MAS) argentin. Dans les années 1990 il a commencé à militer dans le PTS.


Je ne l'ai pas connu personnellement, comme tant d’autres camarades. Mais je l'ai connu à travers les discussions avec Alejandra une camarade qui a été la première du parti à l’avoir rencontré quand il était délégué d'une grande usine métallurgique à San Nicolas près de Rosario (dans la province de Santa Fé au Nord de Buenos Aires).

Je voulais partager une réflexion qui m'est venue en lisant un commentaire d'un camarade de la direction du PTS sur Chiche. Dans un commentaire sous une photo (voir ci-dessus) le camarade disait : « C'est une image qui ne parle pas d'êtres invincibles et parfaits. Ni même de bilans qui sont inappropriés à l'heure de la douleur. Elle parle de combattants dans toutes les circonstances. Et ces circonstances historiquement ont été adverses et continueront à l'être, bien pire encore, jusqu'à la victoire. Elle parle de la volonté du combattant. Ni plus, ni moins » (Manolo Romano).

Pour moi ces mots sont très forts. Chiche a milité depuis très jeune, avec ses parents sous la dictature. Il a traversé les terribles années 1980 et 1990 sous une offensive néolibérale implacable en Argentine (et dans tout le continent). Toujours en étant un militant ouvrier révolutionnaire. Un ouvrier qui a commencé à militer dans un PTS qui, comme disait dans un message la camarade Alejandra suite au décès de Chiche, n'était pas du tout celui d'aujourd'hui. Un parti où il y avait très peu d'ouvriers et totalement conspué par le reste de la gauche trotskyste.

Mais c'était un PTS qui avait la ferme volonté de se construire au sein de la classe ouvrière. Et cela malgré le chômage de masse. Et cela malgré les attaques des gouvernements soutenus par le patronat et l’impérialisme. Et cela malgré l'offensive idéologique de la bourgeoisie au niveau mondial où parler de « socialisme » était devenu presque une risée. Et cela malgré le fait que les principales luttes dans le pays étaient menées par un autre secteur de notre classe : les chômeurs, bien que ceux-ci n'avaient pas la force sociale de frapper tous seuls le patronat là où fait mal. C'est cette volonté du PTS, cette conviction et endurance militante, révolutionnaire, qui a posé les bases pour le développement ultérieur de son insertion (importante mais encore petite par rapport à notre ambition) au sein de la classe ouvrière en Argentine.

Aujourd'hui c'est plus « facile » pour un ouvrier ou une ouvrière consciente de militer dans le PTS. Pour des ouvriers comme Chiche ou encore José Montes, un autre dirigeant ouvrier historique du parti, c'était une autre histoire. Mais au-delà de ça, et pour revenir au commentaire de Manolo R., la situation actuelle à travers la planète est terrible pour notre classe. Les organisations syndicales, en plus de s’être affaiblies, elles sont totalement cooptées et dirigées par des bureaucraties. Celles-ci sont au mieux profondément réformistes, au pire sont complètement vouées à la cause patronale. Les groupes marxistes révolutionnaires sont également affaiblis et pour une partie en crise. Gagnés par le scepticisme beaucoup ce sont adaptés « à la misère du possible ».

Les travailleurs sont également très mal au niveau de la conscience de classe. Parmi les ouvriers et les classes populaires il y a une énorme ignorance et décomposition sociale. Le capitalisme est en train d'avilir les rapports humains à des niveaux jamais atteints. La crise économique non seulement aggrave cette situation mais, comme corolaire, elle est en train de faire resurgir et se développer des courants politiques profondément réactionnaires. Et on sait bien que la situation peut empirer, il n'y a qu'à voir la Syrie, pour ne nommer qu'un seul exemple terrible.

Dans ce contexte, cependant, il y a des réponses des classes populaires, comme les 4 mois de mobilisation contre la Loi Travail en France l'ont démontré. D'autres résistances ont eu lieu ailleurs aussi. Le grand processus de « révolutions arabes », même si celui-ci se trouve dans un moment profond de reflux. Les grèves générales en Grèce ; le mouvement Black Lives Matter aux USA. Et tant d'autres. Certes, ces mouvements sont confus idéologiquement, avec beaucoup de limites. Mais ils portent le germe de l'avenir, des futures résistances, mouvements et victoires.

C'est dans ce contexte que l’intervention des révolutionnaires et la construction de partis révolutionnaires, de classe, communistes, deviennent de plus en plus déterminants. C'est dans ce contexte adverse, que chaque militant révolutionnaire est précieux. Chiche a milité dans une période très difficile, où la réaction profonde était à l'œuvre : on peut imaginer que la dictature argentine c'était autre chose que les « plans d'austérité » ou même l'état d'urgence en France. Mais le capitalisme sait très bien déployer ses ailes destructrices et semer la barbarie et la sauvagerie à travers la planète. Il l’a déjà démontré et le démontre chaque jour.

Mais c'est la profonde conviction que notre victoire est non seulement possible mais nécessaire qui doit nous donner les forces de continuer, de nous améliorer, de nous préparer. Le décès de Chiche c'est une nouvelle triste mais en fin de comptes ça me renforce dans ma conviction et l'envie de continuer ce combat merveilleux qu'est celui de construire un monde dans lequel cela vaille le coup de vivre. Rien ne dure éternellement, rien n'est pour toujours. « Toujours » est une imposture. Même « la fin de l'Histoire » aura une fin !

Comme on dit en Argentine: Compañero Chiche Hernandez, PRESENTE!

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