Philippe Alcoy
Le grand mérite du journal pro patronat Les Echos c’est de très
souvent dire tout haut, et sans aucune ambiguïté, ce que tous les autres
grands médias disent entre les lignes, cachent derrière un lyrisme
hypocrite. L’édito du 3 mai de Jean-Francis Pécresse « Siffler la fin de la récréation » en est un excellent exemple concernant la mobilisation actuelle contre la Loi El Khomri.
« Quand, prolongé au-delà du raisonnable, le débat
démocratique en vient à ébranler la paix civile, il faut sans hésiter
préférer la paix au débat ». Voilà les premiers mots de la décharge
enragée de l’éditorialiste. Le ton est donné. Le « retour à l’ordre »
est exigé d’emblée. En effet, JF Pécresse considère qu’« au nom de
l’ordre public, en raison d’un état d’urgence chaque jour discrédité par
ces hordes autorisées à défier l’Etat, il devient urgent de mettre fin à
cet état de « zadisme » permanent ».
Ces « hordes » (pourquoi pas ces « sauvages » ?) qui « défient
l’Etat ». Au-delà de tout le mépris de classe contenu dans cette
diatribe, Pécresse révèle clairement que l’état d’urgence n’est en
réalité qu’un instrument de l’Etat pour affirmer son autorité à imposer
toutes ces attaques aux classes populaires qui devraient s’y plier sans
rien dire. Au nom de « l’ordre ». Au nom du respect de l’autorité de
l’Etat. Mais quelle horreur ce « zadisme permanent » qui ose « défier »
cet état de fait !
Pécresse prend acte de la rupture par la gauche d’une partie dudit
« peule de gauche » avec le PS mais pour nous expliquer qu’ils seraient
manipulés par des affreux « gauchistes extrêmes » : « La
mobilisation relative des militants de la vieille gauche, qui
s’estimaient trahis par François Hollande, ont été les otages de
nébuleuses radicales, ultrapolitisées que rien n’effraie, pas même la
dénonciation éhontée de « violences policières » ». Ces « ultrapolitisés » osent dénoncer la brutalité (légitime car d’Etat) de la police, quelle honte !
49-3 et un peu de bonapartisme avant qu’il ne soit trop tard s’il vous plait !
« Le pouvoir exécutif serait bien inspiré d’engager, avec
l’article 49-3 de la Constitution, sa responsabilité sur ce texte afin
de couper court à des palabres sans fin ». Voilà. Ordre et autorité. Mettre fin à tout ça au plus vite avant qu’il ne soit trop tard.
Avant qu’il ne soit pas trop tard, car la Loi Travail est une
nécessité absolue pour le patronat à la recherche de compétitivité sur
le dos des travailleurs, et si la mobilisation continue, il y a un vrai
risque que le texte perde en substance, ou qu’il soit même retiré : « Puisque,
dans toutes les agoras, l’on débat de cette loi El Khomri, depuis deux
mois et demi déjà, écourter un bon mois supplémentaire de batailles au
Parlement ne serait pas un déni de démocratie. Et, à vrai dire, plus tôt
le gouvernement tournera cette page, moins les entreprises courraient
le risque de voir se retourner contre elles une loi que l’écoute de la
rue a largement vidée de son sens et de son intérêt ». Remarquons
qu’on appelle « l’écoute de la rue » les miettes que le gouvernement a
lâché à la demande de la CFDT et autres syndicats collabos.
L’éditorialiste des Echos se pose en tant que « conseiller du
prince », confirmant la très bonne entente du journal avec le
gouvernement actuel d’Hollande-Valls. Mais en même temps révèle sans
ménagement le caractère profondément antidémocratique du régime, et
l’état d’esprit du patronat qui perçoit très bien que la Loi El Khomri,
même avec ces modifications cosmétiques, est une grande opportunité pour
lui. Ce n’est pas pour rien qu’il y a quelques semaines le même journal
titrait un édito furieux contre Les Républicains de Sarkozy « La droite la plus bête ? » pour dénoncer leur attitude face à la Loi Travail du PS.
Continuer la lutte jusqu’au bout et se préparer pour celles qui
viendront dans la prochaine période, c’est la meilleure réponse que la
jeunesse, les travailleurs et les couches populaires peuvent donner à
ces journalistes à la solde du patronat.
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