Philippe Alcoy
Kosovo. L’image semble sortie d’une histoire de science fiction.
Mais elle est celle d’une mascarade de démocratie dans un protectorat
international : à l’intérieur du parlement, des hommes habillés en
costume et portant des masques à gaz assurent la sécurité de députés qui
s’apprêtent à investir Hashim Thaçi en tant que président du pays. Des
députés de l’opposition son arrêtés, d’autres expulsés manu militari de
l’hémicycle ; à l’extérieur la police affronte des manifestants qui lui
jettent des cocktails molotov, des pierres, pour s’opposer à l’élection
de Thaçi.
L’opposition unifiée du Kosovo, qui exige la démission du
gouvernement et l’organisation d’élections anticipées, boycotte le
parlement depuis le mois d’octobre dernier. Pour empêcher que les
sessions aient lieu, elle a même à plusieurs reprises lancé des gaz
lacrymogènes au sein du parlement.
Ces derniers jours, l’opposition avait installé un campement de
tentes à l’extérieur du parlement. Elle avait promis d’empêcher par tous
les moyens que l’élection du président ait lieu. En effet, si celle-ci
n’aboutissait pas vendredi, le parlement devait être dissout, et des
élections anticipées convoquées. Mais rien n’y a fait. Hashim Thaçi sera
finalement élu vendredi 26 février grâce aux députés serbes qui ont
permis au Parti Démocratique du Kosovo (PDK) d’obtenir le quorum
nécessaire pour imposer son candidat.
Thaçi réussi ainsi à se présenter comme le candidat des puissances
internationales, à commencer par les Etats-Unis qui se sont empressés de
le saluer pour son élection, et celui du « dialogue » avec Belgrade. Et
cela malgré le fait que Thaçi soit soupçonné d’être impliqué dans le
crime organisé, dont l’affaire de trafic d’organes de prisonniers serbes
et albanais, lors de la guerre du Kosovo à la fin des années 1990. Sur
ce point, il faut ajouter que ces dernières années, il a été révélé que
des responsables des missions internationales dans le pays seraient
aussi impliqués dans des affaires mafieuses.
C’est surtout la question de créer une association des communes
peuplées majoritairement par des serbes qui concentre la colère de
l’opposition, et d’une grande partie de la population. Cette mesure est
le résultat du processus de « normalisation » des relations entre le
Kosovo et la Serbie, chapeauté par les puissances internationales, et
est perçue comme une « trahison » et une capitulation par l’opposition.
Un message clair en ce sens a été envoyé le 17 février dernier à
l’occasion du huitième anniversaire de l’indépendance du pays où, à
l’appel de l’opposition, 100.000 personnes sont descendues dans les rues
de Pristina, la capitale kosovare. Selon certains il s’agit de la
manifestation la plus grande dans l’histoire du Kosovo indépendant.
Cependant, même parmi les serbes du Kosovo cette proposition est
contestée : certains voudraient carrément revenir à la Serbie, qui
continue d’ailleurs à payer certains salaires et à subventionner les
services publics, et non seulement obtenir une certaine autonomie au
sein du Kosovo. Ils craignent que le gouvernement serbe les abandonne en
échange des négociations d’adhésion à l’UE.
Mais la large colère qu’existe dans les couches populaires du pays
est surtout liée : à la corruption d’une caste politicienne soutenue par
« la communauté internationale » , à l’écrasante pauvreté d’une large
partie de la population qui pousse des milliers de personnes à l’exil
(100.000 personnes rien qu’en 2015), au taux chômage à 50%, et toutes
les difficultés liées au statu de protectorat international dont
l’indépendance n’est que partiellement reconnue à travers le monde.
L’opposition est en ce sens incapable d’offrir une réponse
conséquente à ces problèmes essentiels pour les couches populaires. Elle
présente un programme de conciliation de classe nationaliste. Au-delà
d’une certaine critique aux organisations internationales, la Serbie est
présentée comme le grand problème du pays. Mais cette orientation
conciliatrice est impuissante et l’opposition reste isolée
internationalement. Les occidentaux soutiennent Thaçi qui se montre
ouvert à accepter les compromis avec la Serbie imposés par les
puissances impérialistes. Mais à la différence d’autres conflits
opposant forces politiques locales à celles soutenues par les puissances
occidentales, l’opposition kosovare est incapable aussi d’attirer les
faveurs de Poutine qui soutient historiquement la Serbie contre le
Kosovo indépendant.
En ce sens, même si l’opposition ne semble avoir d’autre option que
de faire appel à la mobilisation populaire, elle n’a pas grande chose à
offrir si ce n’est que des vagues promesses de mener une autre politique
plus « honnête ». Il sera également difficile qu’une mobilisation de
type « Maïdan » se développe, étant donné le contexte politique national
et international complètement différent de celui en Ukraine ou dans les
autres pays en dispute entre la Russie et les occidentaux. Cependant,
il s’agit d’un nouveau front d’inquiétude pour l’UE et les différentes
puissances.
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