Philippe Alcoy
La crise politique dans le pays le plus pauvre de l’Europe dure
depuis plusieurs mois déjà. La nomination au poste de Premier ministre
de Pavel Filip, issu de la coalition dite pro-européenne, le 20 janvier
dernier n’a fait que réactiver la contestation dans les rues. Dimanche
dernier 40.000 personnes sont descendues dans la rue.
Avec la nomination de Filip, la coalition pro-européenne
évitait de devoir convoquer des élections anticipées qui, d’après les
sondages, seraient favorables aux partis pro-russes (le Parti socialiste
et l’organisation de l’oligarque Renato Usatii « Notre Parti »), pour
la première fois depuis 2009. Cependant, la contestation est plus large.
Parmi les manifestants on trouve également l’organisation
anticorruption, et réputée pro-européenne, issue de la « société
civile », la Plateforme pour la dignité et la vérité.
Ce qui rassemble dans la rue ces forces politiques diverses, ainsi
qu’une partie de la population, est l’opposition à la coalition au
pouvoir, très influencée par l’oligarque Vladimir Plahotniuc. Celui-ci
est soupçonné de corruption et de contrôler le petit pays ex-soviétique.
L’une des affaires les plus scandaleuses de ces derniers mois
touchant Plahotniuc est la « disparition », fin 2014, d’un milliard
d’euros des coffres de trois banques moldaves. À titre de comparaison,
cette somme équivaut à 12,5 % du PIB du pays. Suite à cela, l’UE, le FMI
et la Banque mondiale ont décidé de suspendre l’aide économique dont
bénéficiait le pays.
Depuis au moins cinq ans, la Moldavie connaît une crise politique
permanente et des affaires de corruption à répétition. Cependant, cette
« disparition » est l’affaire de trop et a créé un large mouvement
d’indignation à travers le pays. Des milliers de personnes s’étaient
déjà mobilisées à plusieurs reprises l’année dernière, exigeant la
démission du Président, du gouvernement et des élections anticipées. En
juin 2015, le Premier ministre Chiril Gaburici démissionnait, mais sa
coalition pro-européenne est restée au pouvoir jusqu’à la nomination de
Valeriu Strelet.
Fin octobre, après une reprise de mobilisations de rue massives, qui
ont duré plusieurs semaines, le parlement moldave a voté une motion de
censure contre le Premier ministre, forçant alors Strelet à démissionner
à son tour. Depuis, aucun chef du gouvernement n’a pu être élu jusqu’à
la nomination de Filip.
La Moldavie se trouve dans une situation économique très difficile
depuis le début de la crise économique mondiale. Mais elle est également
l’objet d’une dispute géopolitique entre la Russie et les Occidentaux.
Elle est divisée, depuis son indépendance une région séparatiste, la
Transnistrie, et des régions autonomes Gagaouzes.
Le pays est clairement divisé par des « clans » oligarchiques, et
profondément corrompus, alliés les uns à la Russie, les autres à l’UE.
Le nouveau gouvernement n’est pas certain de pouvoir tenir longtemps.
Mais même dans le cas d’élections anticipées et de victoire des
formations pro-russes, rien ne peut assurer que l’instabilité politique
cesse, que les scandales de corruption disparaissent et que les
mobilisations s’arrêtent. Car même si certains exigent des élections
anticipées et un nouveau gouvernement « honnête », tant que les
questions sociales de fond ne seront pas résolues, les raisons de
descendre dans la rue ne manqueront pas. Et c’est cela qu’aussi bien les
pro-russes que les pro-européens craignent.
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