Thabitha Kali et Philippe Alcoy
Publié le 16 novembre 2015
L’intersyndicale CGT-CFDT-FO-FSU-Solidaires-FAEN a suspendu ce
lundi la grève générale à Mayotte pour une semaine au nom de la
« solidarité avec les victimesdes attentats de Paris ». En réalité, la
grève avait déjà été suspendue vendredi après-midi plusieurs heures
avant les évènements tragiques dans la capitale française. En effet,
vers la fin de la semaine dernière l’intersyndicale semblait perdre le
contrôle du mouvement quand la jeunesse des classes populaires est
rentrée dans la lutte. Les jeunes ont levé des barrages, brûlé des
voitures, lancé des pierres contre la police.
Dans ce contexte, vendredi dernier, l’intersyndicale a
profité d’une proposition faite par le préfet, Seymour Morsy, et lui a
envoyé un projet de protocole d’accord de fin de conflit et de reprise
de travail. Cependant, elle menaçait de reprendre la grève dès lundi si
elle n’obtenait pas de réponse. Les attentats de vendredi et l’émotion
créée lui ont donné l’opportunité de repousser la soi-disant reprise de
la grève à lundi prochain. Le gouvernement et le patronat respirent,
soulagés, en espérant que le temps désamorcera de lui-même la
mobilisation.
Grève générale pour l’égalité des droits au même titre que la métropole
Après la manifestation massive ayant réuni de 2000 à 3000
travailleursappelée par l’intersyndicalele 3 novembre dernier, la grève
générale avait débutée le lundi 9 novembre. Parmi les principales
revendications on y trouvait la mise en application du code de
travailcommeenmétropole afin d’obtenir l’égalité des salaires,
l’amélioration des conditions de travailet l’amélioration de la qualité
des services publics à Mayotte.Elle demande aussi, une indexation de 53%
des salaires des fonctionnaires et non de 40% comme propose la ministre
des Outre-Mer, George Pau-Langevin.
Les négociations entre les syndicats et les entreprises ont
commencédès le mois de mai, ladécision de se mettre en grève a été prise
parce que les négociations n’ont aboutit à rien et que les travailleurs
sont insatisfaits des réponsesdonnéespar lepatronat. Le mouvement de
grève a très rapidementmobilisé des centainesde grévistesdès le premier
jour.
Dans un département où la moitié de ses 219 000 habitants a moins de
20 ans et où l’âge moyen est de 17 ans, la colère d’une jeunesse
exploitée et opprimée s’est également rapidement exprimée dans lesrues.
Cette explosion sociale répond à une situation économique
catastrophique : avec un tiers de la population active au chômage et un
PIB par habitant de 6 575 euros – près de cinq fois moins élevé que dans
l’Hexagone – Mayotte est le département d’outremer le plus pauvre.
A cela il faut ajouter que le changement de statut de Mayotte en
département françaisn’a pas modifié grande chose.La sécurité sociale y a
été introduite en 2004 mais les modalités d’application sont
différentes de la métropole et sont contraignantes pour la population
locale.Par exemple en terme de prestations socialesfamilialesseulement
quatre (allocation adulte handicapé, allocationsfamiliales, allocation
de rentrée scolaire et allocation logement à caractère familial)
sontallouées à la population de Mayotte alors que plusd’une vingtaine
existent en France. Il faut ajouter qu’aucune n’est appliquée à taux
plein sur l’île.
Derrière la départementalisation, des enjeux stratégiques pour l’impérialisme français
Mayotte est sous domination coloniale française depuis 1841. Elle a
été la première des îles comoriennes où ont débarqué les Français. Par
la suite, ces îles coincées entre Madagascar et le Mozambique, vont
devenir une sorte de protectorat français. En 1974, la France procède à
une grande escroquerie en totale violation des traités internationaux
que les puissances impérialistes elles-mêmes ont établis : lors du
référendum d’autodétermination organisé dans l’archipel comorien,
Mayotte est la seule île à voter pour rester française, alors que les
trois autres (Grande Comore, Anjouan et Moheli) votent massivement pour
l’indépendance. La France décide donc de rester à Mayotte alors que les
règles internationales prônaient le respect des frontières issues de la
colonisation. La France répétait ainsi l’opération qu’elle avait
effectuée en 1960 dans les îles Eparses vis-à-vis de Madagascar.
Mais quel est donc l’intérêt de la France pour ces petites îles dans
l’Océan Indien ? Celles-ci se trouvent surtout au beau milieu du canal
du Mozambique, une route maritime commerciale et militaire stratégique.
Beaucoup de pétroliers venus du Golfe à destination de l’Europe et des
Amériques empruntent cette route.
La possession de ces territoires est devenue encore plus intéressante
avec la découverte de ressources pétrolières et gazières au long du
Canal. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la
départementalisation de Mayotte en 2009 : il s’agissait d’assurer la
« souveraineté française » sur une zone stratégique.
Indépendance ? Réunification avec les Comores ?
Une fois cet objectif stratégique fixé, tous les partis politiques de
l’île, y compris le PCF, ont fait campagne pour la départementalisation
en 2009. Et cette campagne avait un écho parmi les classes populaires
qui, même si leur situation est très précaire, voyant la situation aux
Comores, sont loin de désirer une telle « indépendance » ou
« réunification ». A leurs yeux, et dans les conditions de domination
impérialiste, une telle « liberté » devient la liberté de mourir de
faim.
En même temps, comme la situation actuelle en atteste, les
« promesses » de développement sont loin d’être remplies. Le ministère
des Outre-mer table sur un rattrapage du niveau de salaires,
d’allocations et de RSA de la métropole d’ici… 2025 ! En plus de rester
dans une situation de précarité et de pauvreté, la France attribue à
l’île un rôle néfaste contre les migrants « illégaux » : rien qu’en 2014
près de 20 000 étrangers en situation irrégulière ont été expulsés de
Mayotte, soit plus que le nombre d’expulsions sur l’ensemble de la
métropole pour la même année.
En ce sens, la question de fond qui est posée aux travailleurs, à la
jeunesse et aux classes populaires mahoraises pour obtenir satisfaction à
leurs revendications immédiates et historiques c’est la lutte contre
l’impérialisme français, pour l’expropriation des capitalistes locaux et
internationaux, pour le droit à l’autodétermination et pour un
gouvernement de travailleurs dans la perspective d’une Fédération de
Républiques socialistes de l’Afrique australe, orientale et de l’Océan
indien.
Source: RP
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