Philippe Alcoy
Source: CCR du NPA
Le weekend du 9 et 10 mai a été marqué par de forts
affrontements armés dans la ville de Kumanovo, dans le nord de la
Macédoine. Au total, on compte 22 morts, dont 8 policiers et 14 membres
d’un groupe armé que le gouvernement macédonien n’a pas tardé à
qualifier d’un « des groupes terroristes les plus dangereux de la
région » assurant que ses membres venaient « d’un pays voisin ».
Les images
d’anciens, de femmes et d’enfants fuyant leurs maisons escortés par les
unités spéciales anti-terroristes de la police macédonienne transmettent
une image bien plus dramatique de la situation que ce qu’elle n’est en
réalité. En effet, l’attaque des supposés terroristes à Kumanovo, près
de la frontière avec le Kosovo et la Serbie, se produit pratiquement
sans explications apparentes.
Au-delà de l’attaque contre un commissariat près de
la frontière avec le Kosovo le 21 avril dernier, l’assaut de la police
anti-terroriste contre ce groupe en a surpris plus d’un. On ne connait
rien avec certitude sur le soi-disant groupe terroriste : ni son nom, ni
ses motivations, ni ses revendications. La version officielle parle
d’un plan « d’attaques contre des institutions de l’Etat » cherchant à
« déstabiliser le pays ».
La population locale, très mélangée entre des
macédoniens, des albanais et des rroms, après la surprise et la stupeur a
exprimé ses doutes envers le gouvernement et a dénoncé une tentative de
manipulation pour les diviser et créer un élément de distraction face
aux manifestations
contre le gouvernement qui ont lieu depuis la semaine dernière dans la
capitale du pays, Skopje, et dans d’autres villes.
Il
faut remarquer également qu’au moment même où la police menait son
opération à Kumanovo, près de 30 étudiants étaient arrêtés pour avoir
manifesté les jours précédents.
Le bilan des dommages matériels est très lourd. Des
vidéos et des photos témoignent de la destruction des maisons des
habitants après les combats très durs.
D’un point de vue de l’opération elle-même, on ne
peut pas dire qu’il s’agisse d’un succès. En effet, même si les forces
spéciales de l’Etat ont pu maîtriser le groupe armé, huit policiers ont
perdu la vie et l’opération a duré presque 48h. Et cela malgré le fait
que le groupe armé ne comptait que 40 membres. Lundi matin, on pouvait
voir également quatre tanks blindés qui ont été remorqués car
inutilisables.
Une mascarade du gouvernement ?
Ces affrontements armés ont attiré l’attention de la
presse internationale qui n’a pas hésité à parler de manière
superficielle d’un « risque de guerre civile interethnique ».
Evidemment, les avertissements sur le renforcement de « l’extrémisme
islamiste » n’ont pas manqué. Beaucoup de déclarations de dirigeants
politiques de la région et des institutions internationales allaient
dans le même sens. La Serbie a même renforcé la présence policière et
militaire dans sa frontière avec le Kosovo et la Macédoine.
En réalité, cette opération « anti-terroriste »
soudaine a lieu au milieu d’une crise politique et sociale aiguë qui la
semaine dernière s’est approfondie après la révélation de la part des
leaders de l’opposition sociale-démocrate d’écoutes téléphoniques
illégales des services d’intelligence du gouvernement à des « personnes
d’intérêt public ». Ces actions mettent en cause les hautes sphères du
gouvernement comme le premier ministre Nikola Gruevski lui-même et la
ministre de l’intérieur Gornada Jankulovska.
En même temps, les révélations sur la dissimulation
de la part du gouvernement de l’assassinat de Martin Nešovski, un jeune
de 22 ans qui aurait été assassiné en 2011 par un membre des forces
spéciales anti-terroristes de la police, ont déclenché des mobilisations
massives contre le gouvernement.
Dans ce contexte, et face au risque que l’opposition
révèle d’autres écoutes, beaucoup pensent que cette mission
antiterroriste n’est qu’une distraction et une tentative de désamorcer
les mobilisations en cours.
C’est ce qu’affirme Ivana Jordanovska sur le site Balkanist : « conclure
qu’il s’agit d’un conflit ethnique c’est démontrer une grande
incompréhension de la situation politique du pays (…) Cependant, il y a
un groupe qui clairement prétend tirer profit avec le développement de
la crise. Si un groupe terroriste étranger s’infiltre dans le pays et se
livre à des attaques, le gouvernement pourrait déclarer l’Etat
d’urgence. Cela permettrait de prendre des mesures spéciales comme un
couvre-feu ou de suspendre le droit de manifester. Or, qu’est-ce qu’il y
a eu ces derniers jours dans le pays ? Des manifestations ».
Effectivement, entre autres objectifs du
gouvernement, on pourrait mentionner : créer un moment « d’unité
nationale » anti-terroriste, « à la Hollande » en France ; relégitimer
l’appareil répressif dont l’image a été durement détériorée par les
révélations des écoutes téléphoniques ; arriver d’une quelconque façon à
annuler la manifestation contre le gouvernement du 17 mai prochain
appelée par la social-démocrate, mais qui la dépasse largement et
pourrait être massive.
Plus que vers un scénario de « lutte interethnique »
comme a connu le pays en 2001, au moment le plus aigu des affrontements
entre les rebelles albanais et l’Armée de Libération Nationale et la
police macédonienne qui ont culminé avec la signature des accords
d’Ohrid, la Macédoine semble se diriger vers un scénario plus proche de
ceux de la Bulgarie ou de la Slovénie en 2013 quand les manifestations populaires ont réussi à renverser les partis au pouvoir.
Pour éviter un tel dénouement, le gouvernement
macédonien de Nikola Gruevski semble prêt à tout type de manœuvre. Comme
affirme la journaliste citée plus haut : « on pourrait dire que tout
ceci n’est qu’une autre théorie du complot. Quel type de gouvernement
serait prêt à provoquer des faits de violence pour rester au pouvoir ?
Un gouvernement qui a beaucoup à perdre ».
Pour l’instant les évènements de ce weekend ne
semblent pas avoir créé de tension entre macédoniens et albanais, ni
avoir diminué la volonté populaire de continuer à se mobiliser pour la
démission du gouvernement. En ce sens, les prochains jours seront
déterminants.
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