19.5.15

Affrontement armé en Macédoine : réel conflit ou mascarade du gouvernement ?



Philippe Alcoy
Source: CCR du NPA

Le weekend du 9 et 10 mai a été marqué par de forts affrontements armés dans la ville de Kumanovo, dans le nord de la Macédoine. Au total, on compte 22 morts, dont 8 policiers et 14 membres d’un groupe armé que le gouvernement macédonien n’a pas tardé à qualifier d’un « des groupes terroristes les plus dangereux de la région » assurant que ses membres venaient « d’un pays voisin ».

Les images d’anciens, de femmes et d’enfants fuyant leurs maisons escortés par les unités spéciales anti-terroristes de la police macédonienne transmettent une image bien plus dramatique de la situation que ce qu’elle n’est en réalité. En effet, l’attaque des supposés terroristes à Kumanovo, près de la frontière avec le Kosovo et la Serbie, se produit pratiquement sans explications apparentes.

Au-delà de l’attaque contre un commissariat près de la frontière avec le Kosovo le 21 avril dernier, l’assaut de la police anti-terroriste contre ce groupe en a surpris plus d’un. On ne connait rien avec certitude sur le soi-disant groupe terroriste : ni son nom, ni ses motivations, ni ses revendications. La version officielle parle d’un plan « d’attaques contre des institutions de l’Etat » cherchant à « déstabiliser le pays ».

La population locale, très mélangée entre des macédoniens, des albanais et des rroms, après la surprise et la stupeur a exprimé ses doutes envers le gouvernement et a dénoncé une tentative de manipulation pour les diviser et créer un élément de distraction face aux manifestations contre le gouvernement qui ont lieu depuis la semaine dernière dans la capitale du pays, Skopje, et dans d’autres villes.

Il faut remarquer également qu’au moment même où la police menait son opération à Kumanovo, près de 30 étudiants étaient arrêtés pour avoir manifesté les jours précédents.

Le bilan des dommages matériels est très lourd. Des vidéos et des photos témoignent de la destruction des maisons des habitants après les combats très durs.

D’un point de vue de l’opération elle-même, on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un succès. En effet, même si les forces spéciales de l’Etat ont pu maîtriser le groupe armé, huit policiers ont perdu la vie et l’opération a duré presque 48h. Et cela malgré le fait que le groupe armé ne comptait que 40 membres. Lundi matin, on pouvait voir également quatre tanks blindés qui ont été remorqués car inutilisables.

Une mascarade du gouvernement ?


Ces affrontements armés ont attiré l’attention de la presse internationale qui n’a pas hésité à parler de manière superficielle d’un « risque de guerre civile interethnique ». Evidemment, les avertissements sur le renforcement de « l’extrémisme islamiste » n’ont pas manqué. Beaucoup de déclarations de dirigeants politiques de la région et des institutions internationales allaient dans le même sens. La Serbie a même renforcé la présence policière et militaire dans sa frontière avec le Kosovo et la Macédoine.

En réalité, cette opération « anti-terroriste » soudaine a lieu au milieu d’une crise politique et sociale aiguë qui la semaine dernière s’est approfondie après la révélation de la part des leaders de l’opposition sociale-démocrate d’écoutes téléphoniques illégales des services d’intelligence du gouvernement à des « personnes d’intérêt public ». Ces actions mettent en cause les hautes sphères du gouvernement comme le premier ministre Nikola Gruevski lui-même et la ministre de l’intérieur Gornada Jankulovska.

En même temps, les révélations sur la dissimulation de la part du gouvernement de l’assassinat de Martin Nešovski, un jeune de 22 ans qui aurait été assassiné en 2011 par un membre des forces spéciales anti-terroristes de la police, ont déclenché des mobilisations massives contre le gouvernement.

Dans ce contexte, et face au risque que l’opposition révèle d’autres écoutes, beaucoup pensent que cette mission antiterroriste n’est qu’une distraction et une tentative de désamorcer les mobilisations en cours.

C’est ce qu’affirme Ivana Jordanovska sur le site Balkanist : « conclure qu’il s’agit d’un conflit ethnique c’est démontrer une grande incompréhension de la situation politique du pays (…) Cependant, il y a un groupe qui clairement prétend tirer profit avec le développement de la crise. Si un groupe terroriste étranger s’infiltre dans le pays et se livre à des attaques, le gouvernement pourrait déclarer l’Etat d’urgence. Cela permettrait de prendre des mesures spéciales comme un couvre-feu ou de suspendre le droit de manifester. Or, qu’est-ce qu’il y a eu ces derniers jours dans le pays ? Des manifestations ».

Effectivement, entre autres objectifs du gouvernement, on pourrait mentionner : créer un moment « d’unité nationale » anti-terroriste, « à la Hollande » en France ; relégitimer l’appareil répressif dont l’image a été durement détériorée par les révélations des écoutes téléphoniques ; arriver d’une quelconque façon à annuler la manifestation contre le gouvernement du 17 mai prochain appelée par la social-démocrate, mais qui la dépasse largement et pourrait être massive.

Plus que vers un scénario de « lutte interethnique » comme a connu le pays en 2001, au moment le plus aigu des affrontements entre les rebelles albanais et l’Armée de Libération Nationale et la police macédonienne qui ont culminé avec la signature des accords d’Ohrid, la Macédoine semble se diriger vers un scénario plus proche de ceux de la Bulgarie ou de la Slovénie en 2013 quand les manifestations populaires ont réussi à renverser les partis au pouvoir.

Pour éviter un tel dénouement, le gouvernement macédonien de Nikola Gruevski semble prêt à tout type de manœuvre. Comme affirme la journaliste citée plus haut : « on pourrait dire que tout ceci n’est qu’une autre théorie du complot. Quel type de gouvernement serait prêt à provoquer des faits de violence pour rester au pouvoir ? Un gouvernement qui a beaucoup à perdre ».

Pour l’instant les évènements de ce weekend ne semblent pas avoir créé de tension entre macédoniens et albanais, ni avoir diminué la volonté populaire de continuer à se mobiliser pour la démission du gouvernement. En ce sens, les prochains jours seront déterminants.

11/5/2015.

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