31.3.15

Crash de Germanwings : la conséquence d’une société barbare qui détruit les individus



Philippe Alcoy
Source: CCR du NPA

Le crash de l’A320 de la compagnie low-cost Germanwings ce mardi 24 mars, qui a coûté la vie à 150 personnes, a été un véritable choc ; d’autant plus de par les circonstances mystérieuses de l’accident. Mais l’émotion allait devenir plus forte encore en apprenant que, selon les enregistrements de la boite noire, ce serait le copilote qui aurait provoqué volontairement le crash de l’avion. Une tragédie et une histoire invraisemblable qui, par différents aspects, en disent long du caractère barbare de la société capitaliste.

 En effet, plusieurs journaux ont révélé également que le copilote, Andreas Lubitz, avait connu un « épisode dépressif grave » en 2009 et qu’il subissait toujours un traitement spécifique. De son côté, l’enquête avançait que Lubitz avait caché à l’entreprise qu’il était en arrêt maladie le jour du crash. En effet, comme l’affirme un psychologue spécialisé dans le suivi des pilotes : « les gens souffrant de dépression ‘savent bien qu’(avouer) une dépression hypothèque leur aptitude’ à voler (…) ‘mais cela peut se cacher’. ‘Si quelqu’un simule, ne veut pas que les autres le remarquent, c’est très, très dur’ de repérer un tel cas ». Et ce d’autant plus que concernant Lubitz, le fait que l’entreprise soit au courant de ses problèmes de santé devait le pousser à dissimuler encore davantage son état.

Si certains journaux évoquent un « syndrome d’épuisement professionnel » (burn-out), le traitement médiatique de l’affaire mise plutôt sur le traumatisme individuel, mettant l’accent sur une « rupture sentimentale » récente, comme si cela pouvait suffire à expliquer le geste du copilote. Il va sans dire que cet angle d’analyse privilégié sert à dévier l’enquête d’une piste qui pourrait engager la responsabilité de l’entreprise et amener à remettre en cause les conditions de travail.

On peut même affirmer que d’une certaine manière, les révélations sur l’état de santé mentale de Lubitz sont rassurantes pour le patronat de l’aviation, notamment pour Lufthansa dont Germanwings est la filiale low-cost. En effet, étant donné qu’il ne s’agit pas d’une faille mécanique ou même d’une erreur humaine mais d’un acte individuel délibéré, d’un « fou », l’entreprise peut se dédouaner de toute responsabilité. C’est pour cette raison que toute l’attention se tourne désormais sur le passé de Lubitz, son état psychologique, etc. En séparant dans deux sphères bien distinctes vie privée et vie professionnelle, tout devient peu à peu une affaire personnelle, individuelle. D’ailleurs, le patron de Lufthansa a insisté dans plusieurs médias sur « le cas particulier » que constitue l’événement.

Les déclarations de l’ex compagne de Lubitz semblent indiquer un malaise par rapport à certains aspects de son travail : « Nous avons toujours beaucoup parlé du travail, et là, il devenait quelqu’un d’autre, il s’énervait à propos des conditions de travail. Pas assez d’argent, peur pour le contrat [de travail], trop de pression ».

Certains experts, comme le psychanalyste German Arce Ross, considèrent que « pour des pilotes, qui doivent prendre des décisions et des initiatives qui peuvent s’avérer fatales pour autrui, un suivi psychologique régulier en individuel, mais également en groupe, devrait être mis en place ». Cependant, cela rentrerait complètement en contradiction avec la politique de réduction de coûts qui se développe parmi toute l’industrie aéronautique, et pas exclusivement chez les compagnies low-cost.

Stigmatisation des maladies psychologiques, banalisation de la souffrance psychologique 

 

Une autre conséquence de ce drame, que l’on peut déjà constater à travers la presse, est le renforcement de la criminalisation/stigmatisation des personnes souffrant d’un type de handicap ou pathologie psychologique/psychiatrique. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant de voir se renforcer le contrôle et la répression des pilotes et du personnel de bord subissant ou ayant subi des traitements psychologiques/psychiatriques.

A côté de cela, tout est orchestré pour que personne ne dénonce la responsabilité profonde dans cette tragédie de la société capitaliste, cette société barbare qui engendre toutes ces maladies et traumatismes psychologiques/psychiatriques.

Ainsi, même si l’élément déclencheur de la dernière crise de Lubitz était une « rupture sentimentale », il conviendrait de s’interroger sur l’aliénation engendrée par cette société d’exploitation et d’oppression qui nous rend aussi dépendants affectivement d’une autre personne, ou qui canalise à tel point dans une relation amoureuse nos frustrations et nos souffrances.

Dans ce cas particulier, on comprend l’indignation suscitée par le geste de Lubitz qui a entrainé la mort de tant de personnes. Cependant, la logique même d’une société qui banalise la souffrance et stigmatise les maladies psychologiques, pousse des personnes à demander cyniquement : « pourquoi ne s’est-il pas suicidé tout seul dans son coin ? ». Et c’est là justement le problème : combien de gens se suicident seuls, dans l’anonymat, sans que personne ne s’y intéresse ?

Par-delà les aspects très critiquables de certains traitements psychologiques et psychiatriques qui, dans leurs approches dominantes, peuvent même s’avérer néfastes car parfaitement intégrés dans la logique réactionnaire de la société bourgeoise, on ne peut que dénoncer que le capitalisme pousse à les considérer dans leur ensemble comme une sorte de « luxe ». Alors que les périodes de crise voient augmenter nettement le nombre de suicides, comme le montre l’exemple de la Grèce, les gouvernements capitalistes qui appliquent l’austérité démantèlent parallèlement les services qui, dans les hôpitaux et les cliniques, devraient justement prendre en charge les personnes en détresse psychologique. Au lieu de cela, ceux que l’on désigne comme des « fous » sont traités, au mieux, par le bourrage de médicaments les « stabilisant » dans un état végétatif, jusqu’à en perdre toute sensibilité, toute humanité. Nous vivons ainsi dans une société qui engendre la « folie » et en même temps détruit tous les moyens de la traiter, la criminalise et la stigmatise.

La tragédie du vol de Germanwings est en ce sens une terrible conséquence d’une société brutale qui nous détruit non seulement physiquement mais aussi psychologiquement. Une raison de plus pour la renverser dans la perspective d’une société libérée de l’oppression et de l’exploitation à la base de tant de souffrances à travers notre planète.

27/03/2015

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