Philippe Alcoy
Source: CCR du NPA
Le crash de l’A320 de la compagnie low-cost
Germanwings ce mardi 24 mars, qui a coûté la vie à 150 personnes, a été
un véritable choc ; d’autant plus de par les circonstances mystérieuses
de l’accident. Mais l’émotion allait devenir plus forte encore en
apprenant que, selon les enregistrements de la boite noire, ce serait le
copilote qui aurait provoqué volontairement le crash de l’avion. Une
tragédie et une histoire invraisemblable qui, par différents aspects, en
disent long du caractère barbare de la société capitaliste.
En effet,
plusieurs journaux ont révélé également que le copilote, Andreas Lubitz,
avait connu un « épisode dépressif grave » en 2009 et qu’il subissait
toujours un traitement spécifique. De son côté, l’enquête avançait que
Lubitz avait caché à l’entreprise qu’il était en arrêt maladie le jour
du crash. En effet, comme l’affirme un psychologue spécialisé dans le
suivi des pilotes : « les gens souffrant de dépression ‘savent bien
qu’(avouer) une dépression hypothèque leur aptitude’ à voler (…) ‘mais
cela peut se cacher’. ‘Si quelqu’un simule, ne veut pas que les autres
le remarquent, c’est très, très dur’ de repérer un tel cas ». Et ce
d’autant plus que concernant Lubitz, le fait que l’entreprise soit au
courant de ses problèmes de santé devait le pousser à dissimuler encore
davantage son état.
Si certains journaux évoquent un « syndrome d’épuisement professionnel » (burn-out),
le traitement médiatique de l’affaire mise plutôt sur le traumatisme
individuel, mettant l’accent sur une « rupture sentimentale » récente,
comme si cela pouvait suffire à expliquer le geste du copilote. Il va
sans dire que cet angle d’analyse privilégié sert à dévier l’enquête
d’une piste qui pourrait engager la responsabilité de l’entreprise et
amener à remettre en cause les conditions de travail.
On peut même affirmer que d’une certaine manière, les
révélations sur l’état de santé mentale de Lubitz sont rassurantes pour
le patronat de l’aviation, notamment pour Lufthansa dont Germanwings
est la filiale low-cost. En effet, étant donné qu’il ne s’agit pas
d’une faille mécanique ou même d’une erreur humaine mais d’un acte
individuel délibéré, d’un « fou », l’entreprise peut se dédouaner de
toute responsabilité. C’est pour cette raison que toute l’attention se
tourne désormais sur le passé de Lubitz, son état psychologique, etc. En
séparant dans deux sphères bien distinctes vie privée et vie
professionnelle, tout devient peu à peu une affaire personnelle,
individuelle. D’ailleurs, le patron de Lufthansa a insisté dans
plusieurs médias sur « le cas particulier » que constitue l’événement.
Les déclarations de l’ex compagne de Lubitz semblent
indiquer un malaise par rapport à certains aspects de son travail :
« Nous avons toujours beaucoup parlé du travail, et là, il devenait
quelqu’un d’autre, il s’énervait à propos des conditions de travail. Pas
assez d’argent, peur pour le contrat [de travail], trop de pression ».
Certains experts, comme le psychanalyste German Arce Ross, considèrent que « pour
des pilotes, qui doivent prendre des décisions et des initiatives qui
peuvent s’avérer fatales pour autrui, un suivi psychologique régulier en
individuel, mais également en groupe, devrait être mis en place ».
Cependant, cela rentrerait complètement en contradiction avec la
politique de réduction de coûts qui se développe parmi toute l’industrie
aéronautique, et pas exclusivement chez les compagnies low-cost.
Stigmatisation des maladies psychologiques, banalisation de la souffrance psychologique
Une
autre conséquence de ce drame, que l’on peut déjà constater à travers
la presse, est le renforcement de la criminalisation/stigmatisation des
personnes souffrant d’un type de handicap ou pathologie
psychologique/psychiatrique. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant de
voir se renforcer le contrôle et la répression des pilotes et du
personnel de bord subissant ou ayant subi des traitements
psychologiques/psychiatriques.
A côté de cela, tout est orchestré pour que personne
ne dénonce la responsabilité profonde dans cette tragédie de la société
capitaliste, cette société barbare qui engendre toutes ces maladies et
traumatismes psychologiques/psychiatriques.
Ainsi, même si l’élément déclencheur de la dernière
crise de Lubitz était une « rupture sentimentale », il conviendrait de
s’interroger sur l’aliénation engendrée par cette société d’exploitation
et d’oppression qui nous rend aussi dépendants affectivement d’une
autre personne, ou qui canalise à tel point dans une relation amoureuse
nos frustrations et nos souffrances.
Dans ce cas particulier, on comprend l’indignation
suscitée par le geste de Lubitz qui a entrainé la mort de tant de
personnes. Cependant, la logique même d’une société qui banalise la
souffrance et stigmatise les maladies psychologiques, pousse des
personnes à demander cyniquement : « pourquoi ne s’est-il pas suicidé
tout seul dans son coin ? ». Et c’est là justement le problème : combien
de gens se suicident seuls, dans l’anonymat, sans que personne ne s’y
intéresse ?
Par-delà les aspects très critiquables de certains
traitements psychologiques et psychiatriques qui, dans leurs approches
dominantes, peuvent même s’avérer néfastes car parfaitement intégrés
dans la logique réactionnaire de la société bourgeoise, on ne peut que
dénoncer que le capitalisme pousse à les considérer dans leur ensemble
comme une sorte de « luxe ». Alors que les périodes de crise voient
augmenter nettement le nombre de suicides, comme le montre l’exemple de
la Grèce, les gouvernements capitalistes qui appliquent l’austérité
démantèlent parallèlement les services qui, dans les hôpitaux et les
cliniques, devraient justement prendre en charge les personnes en
détresse psychologique. Au lieu de cela, ceux que l’on désigne comme des
« fous » sont traités, au mieux, par le bourrage de médicaments les
« stabilisant » dans un état végétatif, jusqu’à en perdre toute
sensibilité, toute humanité. Nous vivons ainsi dans une société qui
engendre la « folie » et en même temps détruit tous les moyens de la
traiter, la criminalise et la stigmatise.
La tragédie du vol de Germanwings est en ce sens une
terrible conséquence d’une société brutale qui nous détruit non
seulement physiquement mais aussi psychologiquement. Une raison de plus
pour la renverser dans la perspective d’une société libérée de
l’oppression et de l’exploitation à la base de tant de souffrances à
travers notre planète.
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