Philippe Alcoy
Source: CCR du NPA
Des élections générales se tiendront le 25 janvier
prochain en Grèce et tous les sondages donnent la formation d’Alexis
Tsipras, Syriza, en tête. L’hystérie a gagné les marchés. La presse se
fait l’écho des déclarations catastrophistes
de Samaras et de l’UE. Le FMI, comme on pouvait s’y attendre, a
suspendu « l’aide » financière du pays jusqu’à la formation d’un nouveau
gouvernement.
Cette attitude
scandaleuse des impérialistes n’est qu’une démonstration supplémentaire
du niveau de décomposition de la démocratie bourgeoise, notamment en
temps de crise. Elle relève essentiellement d’une tactique qui vise à
terroriser l’électorat populaire en présentant Syriza comme un parti
« radical et antisystème » qui n’apportera que le chaos. Cyniquement, on
prévient qu’un gouvernement Syriza gâchera tous les « efforts » faits
par la population. Par « efforts » il faut entendre évidemment les
souffrances, inouïes en temps de paix, imposées aux masses par des
classes dominantes parasitaires !
Mais, Syriza est-il vraiment un parti « antisystème »
comme l’affirme la presse et, pour d’autres raisons, une partie
considérable de « la gauche de la gauche » ? Si par antisystème on
entend un parti qui prétend renverser le système capitaliste, la réponse
est claire : NON. Et cela est reconnu par les membres de la direction
de Syriza eux-mêmes. Leur projet est nonseulement compatible avec le
capitalisme mais s’inscrit complètement dans le cadre des institutions
de l’UE. Syriza défend un programme de réformes timorées, de
renégociation de la dette et l’instauration d’un modèle économique
néo-keynésien.
Alors, pourquoi parle-t-on de « parti antisystème »
ou de « gauche radicale » en évoquant Syriza ? En réalité il s’agit d’un
amalgame intéressé, aussi bien de la part de la bourgeoisie que des
courants opportunistes de l’extrême gauche ; amalgame entre l’opposition
au modèle de capitalisme néolibéral, répandu à l’échelle mondiale
depuis au moins 30 ans, au service duquel ont travaillé tant les
gouvernements de droite comme « de gauche », d’une part, et la lutte
pour le renversement du système capitaliste, quelle que soit la forme
conjoncturelle qu’il adopte, d’autre part.
C’est précisément dans ce contexte que des partis
défendant une orientation anti-néolibérale ou anti-austérité sont
présentés comme « antisystème ». Comme affirme un analyste britannique : « les
partis de la nouvelle gauche (…) veulent que l’Europe devienne une
union fiscale keynésienne avec un Etat providence fort (…) Si vous
réfléchissez bien, aussi bien Podemos que Syriza essayent d’apporter le
modèle scandinave aux rives de la Mer Egée et à celles de la
Méditerranée. Mais ici se trouve le problème : dans un monde néolibéral,
même un Etat providence limité peut paraitre révolutionnaire ».
Le problème de cette définition sur le caractère
« antisystémique » de certains courants politiques c’est que si cela est
valable à gauche pour Syriza en Grèce ou Podemos dans l’Etat Espagnol,
sur cette même base, à droite, on peut également considérer des partis
profondément réactionnaires comme le FN ou Aube Dorée comme des
« antisystème ». Tout cela ne fait qu’augmenter la confusion chez les
classes populaires, et cela d’autant plus que, pour reprendre une
récente analyse de Perry Anderson, en dernière instance, « Podemos et Syriza défendent des positions moins radicales que la droite antisystème ».
Une victoire de Syriza constituerait-elle une impulsion pour les luttes sociales ?
Beaucoup à « la gauche de la gauche » justifient leur
soutien à Syriza en déclarant qu’une victoire de la formation d’Alexis
Tsipras donnerait, sans aucun doute, une impulsion aux luttes sociales
en Grèce et en Europe. Et certes, on ne peut exclure aucun scénario. Par
exemple, une attitude très hostile de la part de la Troïka envers un
gouvernement Syriza ou dont Syriza serait la force principale pourrait
éventuellement déclencher une vague de mobilisation populaire contre les
créanciers du pays et les classes dominantes locales.
Cependant, il nous semble que l’argument d’un regain
des luttes face à un gouvernement Syriza est avancé souvent de façon
unilatérale. En effet, les défenseurs de cette hypothèse en général
négligent le fait que l’échec d’un gouvernement Syriza, sur lequel les
classes populaires et les masses auraient déposé leurs espoirs,
pourrait, à l’inverse, provoquer une vague de désenchantement et de
démoralisation. Et cela d’autant plus probablement que, depuis des mois,
essentiellement en raison de la politique des directions syndicales, le
mouvement de masse a faibli et qu’une grande partie des classes
populaires déposent leurs espoirs dans ce que pourrait faire un
gouvernement Syriza pour résoudre leurs problèmes structurels et
urgents.
Même parmi la base militante de Syriza, on est
conscient qu’un échec d’un gouvernement dirigé par Tsipras pourrait
avoir des conséquences néfastes telles que le renforcement de tendances
bonapartistes de droite voire fascisantes. Le problème c’est que le
programme de réformes modérées et de conciliation avec l’impérialisme et
la bourgeoisie grecque défendu par Tsipras présage plutôt un échec du
point de vue des intérêts de la classe ouvrière.
Cette question nous permet également d’aborder un
déficit fondamental du « phénomène » Syriza (mais aussi de Podemos dans
l’Etat Espagnol) : la faiblesse du lien organique qu’elle entretient
avec le mouvement ouvrier et les masses en général. Autrement dit, le
fait de ne pas avoir une influence directe sur des fédérations
syndicales ou des syndicats importants et sur des organisations sociales
ne lui permet pas d’aller très au-delà de la simple influence
électorale.
Dans un article récent
les camarades du PTS argentin Juan Dal Maso et Fernando Rosso
considéraient que Syriza (et Podemos) partage tous les défauts des
partis communistes « socio-démocratisés » ou des populismes
latino-américains, qu’elle prétend imiter sans en avoir aucune de leurs
« vertus » et notamment pas leur fort ancrage social.Dans leur texte les
camarades estiment que c’est ce « vide » qui peut faire que ces partis
deviennent un phénomène éphémère et accélérer leur
institutionnalisation.
Cette question est importante car pour que Syriza
soit en capacité de mobiliser sa base électorale dans la rue, les
entreprises ou les lieux d’étude, au moins dans le but d’avoir une
meilleure position pour négocier avec la Troïka, il lui faut avoir des
liens organiques forts avec les organisations ouvrières, de la jeunesse
et populaires. Ce qui n’est vraisemblablement pas le cas.
D’ailleurs, on devrait dire que pour le moment la
mobilisation des masses ne semble nullement être la priorité des
dirigeants de Syriza. Leur principale préoccupation, c’est plutôt
d’offrir une image de modération et de responsabilité aux investisseurs
et créanciers du pays. En ce sens, on ne peut pas exclure non plus des
mobilisations populaires contre un gouvernement Syriza si celui-ci se
révèle trop en décalage par rapport aux aspirations des masses.
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