Philippe Alcoy
A la suite de la mort d’Hugo
Chavez, mardi 5 mars, des millions de travailleurs, de jeunes et de paysans
vénézuéliens ont exprimé leur tristesse. C'est que Chavez leur apparaissait
comme l'unique dirigeant ayant permis d'obtenir quelques améliorations de leurs
conditions de vie dans l'histoire du Venezuela contemporain.
Cependant, Hugo Chavez, figure
centrale d’un phénomène politique dont le rôle était de contenir la révolte et
le profond mécontentement des masses exploitées et opprimées et de dévier la
lutte des classes populaires vers la conciliation avec des secteurs de la
bourgeoisie nationale, était clairement aux antipodes des intérêts historiques
du prolétariat et de la paysannerie pauvre vénézuéliens. En effet, le chavisme
surgit de la crise du régime politique vénézuélien ouverte par le
« Caracazo » et continuée tout au long des années 1990. En s’appuyant
sur les Forces Armées, son objectif était clairement de régénérer le régime
bourgeois et d’éviter tout processus d’auto-organisation ouvrière et paysanne
qui remette en cause le capitalisme vénézuélien.
Qu'il ait dû utiliser une démagogie
soi-disant "anti-impérialiste", prendre quelques mesures
nationalistes comme la nationalisation (avec rachat) de certaines entreprises centrales
et faire des concessions aux masses pour précisément renforcer son projet de
conciliation de classe, est un fait indéniable. Ce n'est pas pour autant que
les travailleurs au Venezuela sont aujourd'hui moins exploités et opprimés ; il
est encore moins sûr que ces quelques concessions soient maintenues à moyen
terme. En effet, après la tentative de coup d’Etat de 2002 « le gouvernement a mis sur pied les
« Missions », permettant une nette amélioration des conditions de
vies du peuple pauvre des barrios
en termes d’éducation, de santé et d’alimentation, etc. En bonne mesure
assistancialistes, ces décisions laissent peu de place à l’initiative populaire
à la base, mais ont néanmoins permis une résorption rapide d’une partie de la
pauvreté (- 18 points en seulement 4 ans). Toutefois, les structures de
l’économie vénézuélienne restent dirigées par la même élite »[1].
On ne peut pas non plus oublier que
la répression du mouvement ouvrier et les mouvements sociaux indépendants du
gouvernement ne s'est jamais arrêté pendant toutes ces années. Sous son
gouvernement des dirigeants syndicaux et de mouvements sociaux ont été
assassinés par les « sicarios » des multinationales ou des grands
propriétaires terriens. Le dernier de ces assassinats s’est produit seulement
48h avant son décès : dimanche 3 mars le représentant du peuple originaire
Yukpa, Sabino Romero, a été assassiné
par des « hommes de main » de propriétaires terriens. Un autre
élément qui montre le caractère opposé à l’action directe des masses de Chavez
a été son soutien aux dictateurs comme Kadhafi ou Al-Assad contre les
soulèvements populaires qui secouaient leur régime !
On ne peut cependant qu’exprimer notre profond mépris vis-à-vis des secteurs les plus réactionnaires de la bourgeoisie et de l'impérialisme (non seulement nord-américain) qui fêtent la mort de Chavez. A travers cette attitude, ces secteurs rétrogrades ne font que témoigner de leur haine de classe contre tout phénomène ou personnalité politique qui soient un minimum appréciés par les couches populaires. Ils expriment en quelque sorte aussi la peur que les exploités puissent avoir une expression politique propre, défendant leurs intérêts. Ce n'était pas le cas avec Chavez, mais sa politique suffisait pour que ces secteurs de la bourgeoisie nationale et de l'impérialisme préfigurent ce qui pourrait être une éventuelle politique qui aille au-delà du « capitalisme bolivarien » défendu par Chavez et touche profondément leurs intérêts.
La douleur qu'une grande partie des travailleurs et des masses du Venezuela ressent aujourd'hui est un reflet de la grande souffrance que cette population endure depuis des décennies. Chavez et ses quelques concessions au niveau de la santé ou de l'éducation, sont sans doute les plus grandes avancées que des millions d'exploités du pays ont obtenues de toute leur vie. Ce petit peu, c'était déjà énorme pour eux. C'est ce que symbolise Chavez pour des millions de personnes. C'est ça qu'ils pleurent aujourd'hui. Mais c'est également un reflet du manque de confiance des travailleurs et des masses en leurs propres forces... Et le chavisme n'a rien fait pour faire avancer la conscience des exploité-e-s dans ce sens, bien au contraire! C'est pourtant cette confiance en leurs propres forces que les masses devront regagner pour faire face aux attaques de la bourgeoisie et de l'impérialisme. Espérons que très rapidement les exploité-e-s et opprimé-e-s du Venezuela réussiront à le faire et tireront le bilan de ce qu’a vraiment été le chavisme.
6/3/2013.
[1] Voir : Romain Lamel « Ni Chávez, ni opposition néo-libérale ! Pour une candidature
ouvrière indépendante lors des prochaines élections au Venezuela ! »,
18/9/2012 (http://www.ccr4.org/Ni-Chavez-ni-opposition-neo-liberale-Pour-une-candidature-ouvriere-independante-lors-des-prochaines-elections-au-Venezuela).
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