Philippe Alcoy
Source: Courant Communiste Révolutionnaire du NPA
Ce mardi 5 février des centaines de personnes se sont rassemblées devant l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois (93), bien surveillée par un gros cordon de vigiles et de « cadres », pour manifester leur soutien aux grévistes en lutte depuis plus de trois semaines, mais aussi pour dénoncer les attaques de la direction de cette multinationale contre des syndicalistes très impliqués dans la grève.
En effet, malgré
la campagne nauséabonde de la part des médias et du gouvernement,
relayée par certains bureaucrates syndicaux, visant à criminaliser les
grévistes et les rendre soi-disant responsables de la fermeture en
raison de leur intransigeance, les différentes prises de parole
exprimaient l’envie de continuer la lutte « jusqu’au bout » et le grand
mécontentement vis-à-vis du gouvernement PS.
Dans la foule, on pouvait voir des délégations
d’entreprises en lutte ou venues apporter leur soutien, comme Air
France, Virgin, Presstalis, Renault, Faurecia et d’autres sous-traitants
automobile, Goodyear, de Michelin, mais aussi d’autres délégations des
sites PSA comme. Etaient également là des représentants de partis
politiques tels qu’Olivier Besancenot pour le NPA, Nathalie Arthaud pour
Lutte Ouvrière, Marie-George Buffet et Pierre Laurent pour le PCF,
ainsi que des représentants du PG. Des dirigeants de la vague de luttes
ouvrières de 2009-2010 ont également pris la parole, à l’image de Xavier
Mathieu, ancien leader des Contis à Clairoix. Visiblement ému, il a mis
en garde les grévistes contre les tentatives de division de la part du
patronat et ses acolytes et les a encouragé à continuer leur lutte
jusqu’au bout, pour le maintien de leurs emplois, en lançant à la fin de
son discours « cette usine vous appartient ! Vous l’avez fabriquée, reprenez-là ! ».
A la tribune on a fait part aussi de la solidarité
financière qui arrive d’un peu partout, ce qui est fondamental pour la
poursuite de la grève. On a évoqué notamment le cas de la ville de
Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis), tenue par le Front de Gauche,
qui a décidé de verser 20.000 euros à la caisse de solidarité pour
soutenir la grève. D’autres équipes syndicales du groupe PSA et d’autres
entreprises ont également organisé des collectes auprès de leurs
collègues et sont venues les apporter à la porte de l’usine.
Mais cette solidarité qui se met en place n’est pas
le fruit du hasard. La lutte des travailleuses et des travailleurs de
PSA Aulnay symbolise à elle seule la situation que vivent des dizaines
de milliers de salariés avec leurs familles dans tout le pays. Des
ouvrières et ouvriers menacés par la fermeture d’entreprises, par les
licenciements massifs, par les plans de « flexibilisation (dégradation)
de leurs conditions de travail ou ayant déjà perdu leur emploi. En
effet, selon une enquête publiée par l’organe central du Medef, Les
Echos, 266 entreprises de plus de 10 salariés ont fermé en 2012, soit 24
000 postes de travail perdus en 2012 et au bas mot plus de 120 000
postes de travail éliminés par les capitalistes depuis le début de la
crise, sans même parler des entreprises qui risquent de fermer dans un
futur proche. En ce sens, des luttes comme celle contre la fermeture du
site de PSA Aulnay ont et auront sans aucun doute des répercussions au
niveau national, plus particulièrement sur le mouvement ouvrier et
populaire. Face aux attaques du patronat et du gouvernement, qui
s’organise avec la complicité directe de certains secteurs de la
bureaucratie syndicale, notre soutien actif à ces luttes est et sera
déterminant.
Des briseurs de grève !
Des traitres et des briseurs de grève,
c’est le moins que l’on puisse dire de l’attitude des syndicats CFTC,
FO et CFE-CGC de PSA Aulnay qui ont demandé à la direction de
l’entreprise que des salariés non-grévistes d’Aulnay puissent aller
travailler « temporairement et sur la base du volontariat » sur le site
de Poissy. Se joignant à la campagne réactionnaire menée dans les
médias, où l’on présente les grévistes comme des vandales et des
violents, ils dénoncent « les agissements de la CGT » qui agit sous
« l’impulsion de Lutte Ouvrière » mais qui en réalité « n’a rien à faire
des intérêts des salariés ». En bons représentants des intérêts des
patrons au sein du mouvement ouvrier, il ont même eu le culot de lancer
un avertissement : « PSA perd 7 millions d’euros chaque jour. Nous
sommes à l’agonie. Ce plan [de fermeture du site d’Aulnay] est
nécessaire. Si la thérapie est trop lente, le malade peut mourir »,
c’est pour cela que « nous travaillons pour obtenir les meilleures
conditions de départ pour les salariés concernés ». Evidemment, la direction de PSA n’a pas hésité à saluer « l’attitude responsable de l’intersyndicale CFE-CGC, CFTC, FO » [1].
Même si le SIA, « syndicat maison », ne participe pas de cette
« intersyndicale collabo », il a lui aussi dénoncé « les méthodes
violentes » des grévistes.
Ces syndicats jouent un rôle tout à fait
complémentaire à la répression que le patronat exerce au sein de
l’usine. En effet, on parle beaucoup des soi-disant pressions de la part
des grévistes sur les salariés non-grévistes. Cependant, rien n’est dit
sur le fait que la vraie pression sur les non-grévistes vient de la
part… de la direction elle-même qui veut empêcher que ceux-ci rejoignent
la grève ! Sinon, comment expliquer l’envoi de 200 cadres des quatre
coins du pays et de quelques ouvriers vers le site d’Aulnay, si ce n’est
pour renforcer la pression et la répression sur les salariés ? Et cela
sans compter les 30 % d’ouvriers en arrêt maladie qui refusent de faire
les jaunes et qui sont terrorisés par la milice de cadres qui tourne
dans les ateliers.
En tout cas, il est clair que l’objectif premier de
cette « intersyndicale collabo », en demandant la mutation de salariés
d’Aulnay à Poissy, est de séparer les grévistes des non-grévistes pour
empêcher que de nouveaux travailleurs rejoignent la lutte et que la
grève prenne de l’ampleur. Mais la mutation d’une partie des salariés
vers le site de Poissy pourrait avoir comme conséquence aussi de
faciliter l’accélération de la fermeture du site d’Aulnay. On a beau
tourner leur déclaration dans tous les sens, ces syndicats sont en train
de trahir (pour la énième fois..) ouvertement les intérêts des
travailleurs, en relayant les pires « conseils » à propos de
« l’attitude raisonnable » à avoir pour « limiter la casse et sauver des
emplois ». Ces traitres et briseurs de grève n’ont rien à faire dans le
mouvement ouvrier. La nécessité de l’auto-organisation des ouvrières et
ouvriers, de la coordination des équipes syndicales combatives, avec
une orientation lutte de classes et antibureaucratique devient de plus
en plus une urgence, notamment dans cette période de crise, de menaces
de licenciements et de luttes contre les fermetures d’entreprises mais
aussi contre la politique d’austérité du gouvernement.
« Front Unique » contre les grévistes et les équipes syndicales qui résistent au chantage patronal
Patrons, médias, gouvernement et bureaucrates
syndicaux, tous unis dans une violente campagne de diffamation et de
criminalisation des travailleurs… notamment quand ils luttent et
refusent de se plier au chantage et aux « conditions » imposées par le
patronat pour « sauver les emplois » ! L’édito virulent et chargé de
haine de classe publié dans Le Figaro du 1er février exprime à la
perfection l’état d’esprit actuel de la bourgeoisie vis-à-vis de l’avis
de tempête de lutte de classes qui s’annoncerait : « pour s’être
opposée à toute réorganisation, à tout plan de départs volontaires et
pour avoir systématiquement fait échouer les solutions de reprise, la
CGT [de Goodyear Amiens-Nord] a fini par condamner le site. (…) Au bout
du compte, ce sont les salariés, bernés par une poignée d’extrémistes,
qui vont payer l’addition (…) [Mais] s’il n’y avait qu’Amiens-Nord ! À
Aulnay, alors que se négocie l’avenir de 3000 salariés - avec comme
objectif que personne ne se retrouve à Pôle emploi - sous l’œil attentif
du gouvernement, quelques dizaines d’excités vandalisent l’usine et
terrorisent en toute impunité les non-grévistes. Dans l’usine de
Pierre-Bénite du groupe chimique Arkema, la CGT, encore elle, a fait
échouer un plan d’investissement de 70 millions d’euros en s’opposant à
une nouvelle organisation du travail. Dans la presse, la CGT, toujours
elle, scie consciencieusement, depuis des années, la branche sur
laquelle sont assis les journaux. Combien de temps encore tolérera-t-on
les outrances de ces pyromanes de l’industrie ? » [2].
De son côté le gouvernement, à travers « son aile
gauche », en l’occurrence Arnaud Montebourg, ministre du « Redressement
productif », demandait à la CGT de Goodyear Amiens-Nord de « mettre de
l’eau dans son vin » tout en estimant qu’il n’y a pas d’autre
alternative pour le site de PSA Aulnay que la fermeture. Plus
scandaleuses encore, on songera aux déclarations de Laurent Berger,
nouveau secrétaire général de la CFDT, pour qui la CGT Goodyear « porte
une part de responsabilité » dans l’annonce de la fermeture du site
d’Amiens. Quant à la grève à Aulnay, il dénonce « les méthodes
violentes » de la CGT, pour ensuite se vanter que sa section à Aulnay
n’avait pas appelé à la grève [3].
Mais la direction nationale de la CGT se trouve quant à elle dans une
position fort inconfortable car cette campagne réactionnaire de la
bourgeoisie et ses associés vise directement des équipes CGT nettement
plus combatives que la direction conciliatrice de Bernard Thibault et de
son successeur, Thierry Lepaon. Mais c’est aussi indirectement la
direction est aussi touchée. Elle doit alors composer entre sa tendance
« naturelle » à dénoncer tout en se distinguant des sections
« gauchistes » d’une part et, de l’autre, le risque de perdre prise sur
sa base en pleine ébullition. C’est ainsi qu’on peut comprendre sa
critique de Fiodor Rilov, « l’avocat rouge » des Goodyear, accusé de
« manipuler » les CGTistes d’Amiens-Nord [4],
et de concert son appel à une manifestation nationale contre les
accords de flexibilité que viennent de signer par le Medef, la CFDT, la
CFTC et la CFE-CGC… début mars (alors que l’accord est encore chaud, et
c’est maintenant qu’il faudrait préparer la riposte).
En plus de la criminalisation des grèves et des
luttes sociales en général cette opération bourgeoise vise aussi à
« naturaliser » l’idée qu’en période de crise il n’y aurait d’autre
alternative pour les salariés que d’accepter des « sacrifices »,
autrement dit la précarisation et la dégradation de leurs conditions de
travail et de vie. Le risque, en adoptant des positions « démagogiques
et dogmatiques » sur le « chantage à l’emploi », serait la fermeture
tout court des entreprises. Voilà ce qui se cache derrière le discours
des bureaucrates syndicaux quand ils chantent les merveilles de la
« flexisécurité ».
En effet, le passé très récent montre que tout cela
est un grand mensonge. On n’a qu’à rappeler que les salariés de
Continental à Clairoix avaient eux aussi accepté des « accords de
flexibilité » juste quelques mois avant la fermeture définitive de leur
site. On traverse la crise la plus importante depuis celle des années
1930, c’est-à-dire que pour les capitalistes la flexibilisation de la
main d’œuvre n’est pas suffisante et qu’ils essayeront d’imposer encore
plus de fermetures d’usines et des licenciements massifs dans la
prochaine période. Les capitalistes et les banquiers sont à la recherche
de nouvelles sources de profit. Pour eux, le problème n’est pas
simplement que les salariés en France sont « trop chers » mais, au nom
de la soi-disant « surcapacité de production », ils se préparent à
raboter l’emploi, pour presser encore plus les salariés restants et se
préparer, dans de meilleures conditions, à affronter leurs concurrents.
C’est ce qui s’est passé dans l’industrie automobile aux Etats-Unis
depuis le début de la crise, où le patronat a licencié en masse pour
rembaucher après, en ouvrant même de nouveaux sites parfois, mais avec
des conditions de travail et des contrats extrêmement défavorables pour
les ouvriers. C’est ce que les Varin et autres Ghosn s’apprêtent à faire
ici en France avec l’élimination de 18 700 postes de travail,
c’est-à-dire 17% de l’emploi direct du secteur auto dans le pays !
En ce sens, les plans de flexibilisation dans
l’industrie, mais pas seulement, n’est qu’un prélude à l’extension de ce
« modèle » à l’ensemble du monde du travail. Sans évidemment que cela
signifie que l’on va préserver des postes de travail ou maintenir des
sites de production. Accepter ce chantage n’est pas seulement semer des
illusions parmi les travailleurs et prôner la conciliation de classes,
c’est une trahison ouverte à l’encontre l’ensemble du mouvement ouvrier
hexagonal.
« La mort en bout de chaine »
Même en imaginant, ne serait-ce qu’une seconde, qu’il
y aurait une possibilité de conserver son emploi en acceptant la
« flexibilité », une question fondamentale pour les millions de
travailleuses et de travailleurs dans ce pays est celle des conditions
de travail et par conséquent de la vie. Et c’est précisément cette
question qui est complètement absente des débats dans les médias et dans
les milieux politiques pro-patronaux. Car ce que l’on nous propose
c’est soit d’aller au Pôle Emploi, soit d’accepter de travailler avec
des horaires à rallonge, des cadences infernales, des pressions accrues
pour « augmenter la productivité », des déplacements et mobilités
forcés, etc., en plus de partir à la retraite de plus en plus tard et
détruits au niveau de la santé. Or, si ce que l’on nous propose est
déplorable, les conditions de travail actuelles dans un grand nombre
d’usines sont déjà désastreuses. Dans la plupart des cas, c’est
carrément une condamnation à mort bien avant l’âge légal de départ en
retraite [5].
Les dizaines milliers de travailleurs et travailleuses qui luttent
contre la perte de leur poste de travail tiennent cependant à leur
boulot. Non pas parce qu’ils entretiennent des illusions vis-à-vis de
l’exploitation qui est la leur, mais parce que tous savent que la perte
d’emploi et le chômage sont synonyme d’une dégradation plus aiguë encore
des conditions de vie, de misère, menant souvent au désespoir, voire au
suicide. Ainsi, la lutte contre les licenciements, les fermetures
d’usines et les chantages patronaux prend également la dimension d’une
lutte pour la survie et la dignité ouvrière et populaire, la condition
sine qua non pour penser la contre-offensive dont notre classe a besoin.
Construisons la convergence des luttes pour gagner !
La bourgeoisie et son appareil politique et
répressif, à commencer par le ministre de l’intérieur Manuel Valls, se
rendent déjà compte des risques de la situation actuelle. Ce n’est pas
pour rien que l’on a demandé aux « services de renseignement » de la
police ces derniers jours de surveiller de près les usines en
difficulté, là où la « colère est palpable ». On évoque également les
risques d’une coordination des équipes syndicales les plus « radicales »
comme celles de PSA, Renault, Goodyear, Sanofi ou Candia. On parle
aussi d’éventuels risques d’affrontements avec la police à l’occasion du
rassemblement à Rueil-Malmaison le 12 février devant le siège de
Goodyear. Bref, la bourgeoisie se met en état d’alerte et en ordre de
bataille.
Il faut lui rendre la monnaie de sa pièce. Si la
bourgeoisie évoque les tendances à la convergence des luttes comme un
danger pour elle, en parlant des quelques initiatives qui ont déjà eu
lieu (meeting contre le licenciements et la convergence des luttes à
Science Po le 24 janvier, le rassemblement des Virgin sur les Champs
Elysées et le rassemblement des boites en lutte devant le ministère du
Travail le 29 janvier ou même le rassemblement devant PSA Aulnay mardi
dernier), il nous faut donc continuer dans cette voie et l’approfondir.
La prochaine échéance, en ce sens, est le
rassemblement du mardi 12, à laquelle il faudra venir nombreux, ceux qui
sont déjà en lutte comme ceux qui le seront demain, public comme privé,
instits et enseignants, en grève ce jour-là contre la politique
gouvernementale, comme la jeunesse et les étudiants. Ce serait une bonne
chose qu’à cette occasion des délégués de l’ensemble des entreprises en
présence se rencontrent pour avancer dans un cadre de coordination plus
solide et proposer un plan de lutte, des actions coordonnées, un
cortège commun lors de la manifestation du 5 mars.
Dans le contexte de crises capitaliste que nous
connaissons, les luttes des travailleurs contre les licenciements, les
fermetures d’usines, les attaques contre les conditions de vie et de
travail de la part des capitalistes, contre la politique austéritaire du
gouvernement peuvent devenir un « catalyseur » de l’ensemble des
souffrances que la société capitaliste impose aux couches populaires.
Développer et approfondir les tendances à la convergence des luttes
devient en ce sens fondamental pour que vraiment les capitalistes payent
leur crise.
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[1] Le Figaro, « La CGT au banc des accusés à Aulnay et à Amiens », 1/2/2013.
[2] Le Figaro, « Les pyromanes de l’industrie », 1/2/2013.
[3] Depuis, des militants de la CFDT, ultra-minoritaire sur le site de PSA Aulnay, ont rejoint la grève.
[4] Voir l’article d’Usine Nouvelle : http://www.usinenouvelle.com/articl....
[5] A ce sujet le documentaire du réalisateur Mourad Laffite « La mort au bout de chaine », sur les conditions déplorables de travail à l’usine de Goodyear Amiens-Nord, est très illustratif.
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