Philippe Alcoy
Source: Courant Communiste Révolutionnaire du NPA
La prise d’otages spectaculaire d’In Amenas, dans
l’Est algérien, dans le complexe gazier géré conjointement par la
multinationale britannique BP et l’entreprise d’Etat Sonatrach a révélé
un élément jusqu’à présent un peu sous-estimé dans l’intervention
impérialiste de la France au Mali : le rôle clé de l’Algérie. C’est ce
que signalait en octobre dernier Serge Michailof, professeur à Sciences
Po, selon lequel « sans une participation active de l’Algérie, notre aventure militaire au Mali ne peut se terminer que sur un enlisement » [1].
Si, d’une part, la
presse évoquait ces derniers jours les réticences de certains analystes
algériens par rapport à l’intervention de l’Armée française au Mali,
craignant l’installation de bases militaires françaises au Sud de la
frontière algérienne, Alger concédait d’autre part l’ouverture de son
espace aérien aux avions de guerre français pour qu’ils aillent
bombarder le Nord-Mali et fermait sa frontière Sud pour empêcher tout
repli des islamistes. Depuis plusieurs mois, Alger plaidait pour une
« solution négociée », et semblait assez favorable à des concessions
d’autonomie au Nord-Mali, ce qui lui auraient permis d’augmenter son
influence sur la région de Kidal, située à sa frontière et réputée riche
en uranium. Mais l’attaque de la France a changé les données de la
situation. Elle pourrait en effet provoquer un retour des islamistes sur
le sol algérien, alors qu’au début des années 2000 ceux-ci avaient
justement fui vers le Nord-Mali. Cela faisait suite à la « sale guerre »
que l’armée a mené contre ces groupes dans les années 1990 en Algérie,
guerre qui avait été un moyen pour les généraux algériens de détourner
la poussée ouvrière, populaire et étudiante qu’avait connu le pays à la
fin des années 1980 et au début des années 1990.
Mais cette collaboration plus ouverte avec
l’impérialisme français a des raisons plus profondes. Après le
déclenchement des processus révolutionnaires dans les pays arabes il y a
deux ans, les classes dominantes algériennes craignent une contagion
qui pourrait ébranler leur pouvoir. C’est pour cela qu’elles cherchent à
s’appuyer sur les impérialistes, notamment français, pour conserver
leurs privilèges. Récemment, le gouvernement algérien est ainsi passé
d’une période de contrôle relatif des richesses pétrolières et gazières
(chasse gardée historique de la Sonatrach) et d’une imposition assez
forte sur les multinationales, à une étape « d’ouverture » aux capitaux
étrangers. Ainsi, « en septembre, l’Algérie a (…) décidé d’alléger la
fiscalité dans ce secteur crucial, afin d’encourager le retour des
compagnies étrangères (…). Pour continuer à satisfaire ses besoins
locaux et maintenir sa capacité à exporter, le pays souhaite se tourner
vers l’exploitation des gaz de schiste et entend faire appel aux
entreprises étrangères. Un accord aurait été signé dans ce sens avec la
France, le 20 décembre, permettant des recherches françaises sur le
territoire algérien » [2].
Pour les travailleurs et pour les masses d’Algérie
cette situation n’augure rien de bon. Henri Guaino, ancien conseiller de
Sarkozy, exprime à sa manière un des aspects de la position de
l’impérialisme vis-à-vis des dictateurs amis dans les pays arabes et par
rapport à de potentiels mouvements de masses dans le prolongement des
« printemps arabes » : « nous avons peut-être tous fait une erreur de
jugement, en jugeant trop vite les printemps arabes qui ont déstabilisé
[les pays de la région] (…) Ce qui se passe en Tunisie, en Egypte, en
Syrie contribue évidemment à alimenter les mouvements jihadistes, à
alimenter le désordre, déstructurer la lutte contre le terrorisme dans
toute cette région. Tout cela a ouvert grand la porte aux mouvements
islamistes ». Ainsi l’impérialisme français cherche-t-il, sous le
prétexte de « lutte contre le terrorisme », à renforcer le pouvoir des
« dictatures amies », comme celle de Bouteflika en Algérie, contre les
travailleurs, afin qu’elles permettent aux multinationales françaises de
générer de gros profits et afin qu’elles agissent comme un rempart de
stabilité réactionnaire dans une région en convulsion.
C’est pour cela que le mouvement ouvrier et populaire
en Algérie a un rôle fondamental à jouer contre l’intervention
impérialiste au Mali. Et cela non seulement par « simple » solidarité
avec nos frères de classe du Mali et contre la tentative de
l’impérialisme de renforcer sa domination sur leur pays, mais aussi pour
leur propre intérêt dans la lutte contre la bourgeoisie algérienne, les
généraux et la dictature de Bouteflika. Les masses algériennes, qui
connaissent sans doute mieux que quiconque la brutalité de
l’impérialisme français pour l’avoir subie elles-mêmes, doivent lutter
pour empêcher que leur pays devienne un point d’appui pour
l’intervention française au Mali, ce qui aurait des conséquences pour
les travailleurs de toute la région. En dénonçant et en se mobilisant
ouvertement contre la collaboration de Bouteflika avec Paris, les
travailleurs et travailleuses d’Algérie ainsi que la jeunesse pourraient
jouer un rôle très important pour la défaite de l’impérialisme français
au Mali, ce qui constituerait un premier pas pour se débarrasser de la
présence militaire française en Afrique et des multinationales qui
pillent méthodiquement le continent, une chape de plomb pour les
exploité-e-s et opprimé-e-s de toute la région !
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Notes
[1] Le Monde, « Fallait-il intervenir au Mali ? », 17/1/2013.
[2] Le Monde, « L’Algérie, tournée vers l’exportation de ses hydrocarbures », 14/1/2013.
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