Les travailleurs migrants se lèvent au Qatar et le gouvernement s’inquiète au milieu d’une situation économique tendue.
Vendredi dernier des images ont circulé sur les réseaux sociaux
montrant autour d’une centaine de travailleurs migrants bloquant une
artère importante de la zone industrielle à Doha, capitale qatarie. Les
salariés, originaires du Bangladesh, d’Inde, du Sri Lanka ou encore du
Pakistan, réclament leurs salaires impayés.
Il s’agit d’images très rares dans un pays où la main d’œuvre
étrangère, environ 2 millions de personnes, représente autour de 95% du
total de la force de travail mais dont les conditions de travail et de
vie sont des plus déplorables : pratiquement sans aucun droit,
totalement dépendantes de leurs patrons pour leurs permis de séjour,
exposées à des conditions de travail et de vie dégradantes et
dangereuses, certaines de ces personnes sont même dans des conditions de
semi-esclavage. Cependant, cette fois, la pandémie de Covid-19 à
laquelle ces ouvriers ont été très exposés et les effets économiques des
mesures de confinement, c’en fut trop pour eux. Et ils ont décidé de
lever la tête et de se battre pour leurs droits.
Le gouvernement a très rapidement réagi. Avec un ton rarement conciliant, le ministre du travail qatari a déclaré qu’« en
réaction au règlement tardif des salaires, un petit nombre de
travailleurs expatriés ont organisé une manifestation pacifique dans la
région de Msheireb le 22 mai (...) Suite à une enquête immédiate (le
ministère) a pris des mesures pour garantir que tous les salaires seront
payés rapidement dans les prochains jours ». Selon la presse, des sanctions ont été également prises contre les entreprises qui n’ont pas payé les salaires.
Après les
travailleurs migrants au #Liban,
rares images d'une manifestations des travailleurs migrants au
#Qatar
exigeant le payement de leurs salaires! Les travailleurs du Golfe se
lèvent pour leur dignité! Ce n'est qu'un début!! pic.twitter.com/yHqBoyjJ30
—
Philippe Alcoy (@PhilippeAlcoy) May
24, 2020
En effet, le Qatar se trouve en pleine phase de construction de
plusieurs stades et d’infrastructures pour la Coupe du Monde de 2022 ;
et il se trouve sous les regards du monde entier puisque plusieurs
dénonciations ont été lancées pointant les mauvais traitements envers
les travailleurs. Le gouvernement indien estime qu’entre 2012 et 2018, 1
678 de ses citoyens travaillant au Qatar, y sont morts ; le Népal dit y
avoir perdu 1 025 des siens entre 2012 et 2017. Tout le monde sait que
ces salariés sont exposés effectivement à des conditions de travail très
dures, sous le soleil, parfois les températures atteignant 45 degrés !
Mais il y a une raison plus structurelle qui explique la promptitude
de la part des autorités qataries à agir. Comme l’ensemble de ses
voisins de la région du Golfe, le Qatar est un Etat basé sur un
« modèle » de surexploitation de la main d’œuvre étrangère. Cependant,
cela est en même temps l’un des points faibles du système car cela rend
le pays complètement dépendant de cette main d’œuvre étrangère. On
estime que 90% de la population qatarie est composée de ces
travailleurs. En ce sens, une très dure répression et contrôle sur ces
ouvriers et ouvrières migrants devient fondamentale pour prévenir toute
contestation afin de préserver les privilèges des classes dominantes,
des roitelets du pétrole et toutes ces castes parasitaires qui
gouvernent les pays du Golfe.
Cependant, quand les travailleurs décident de se battre, défiant la
répression, tout l’édifice est ébranlé. Les options s’ouvrent alors pour
le régime. Une très forte répression, dans une situation économique
très tendue, pourrait ouvrir une situation inouïe avec des milliers de
travailleurs risquant de s’arrêter en solidarité. Le gouvernement a donc
choisi la voie du dialogue, en tout cas pour l’instant.
Quoi qu’il en soit, la lutte de ces travailleurs est en train de
révéler une profonde vérité : les capitalistes, qu’ils soient des
princes ou pas, puisent leurs privilèges du travail des ouvriers et
ouvrières. C’est également ce que sont en train de dévoiler les travailleurs migrants du service de ramassage d’ordures au Liban
en lutte depuis fin avril pour leurs salaires (ils sont arrivés à un
accord temporaire avec l’entreprise). Mais c’est aussi ce que la lutte
des travailleurs agricoles étrangers pour leurs droits est en train de
révéler en Italie, où la semaine dernière des milliers de grévistes ont
arrêté les campagnes du pays.
Avec la chute du prix du brut, la crise sanitaire et la crise
économique mondiale, la situation sociale dans les pays du Golfe va être
soumise à une dure épreuve. Les 35 millions de travailleurs et
travailleuses étrangers, surexploités, dispersés dans la région
pourraient devenir un facteur important de contestation des régimes
réactionnaires instaurés dans ces pays depuis des décennies avec le
soutien et la complicité des puissances impérialistes. Mais les
différentes contestations de ces travailleurs, même si elles restent
petites et ponctuelles pour le moment, pourraient encourager des
secteurs importants des populations nationales qui vont, elles aussi,
subir le poids de la crise économique et de l’austérité. L’unité et la
solidarité avec les travailleurs migrants sera fondamentale si les
travailleurs « nationaux » de ces pays ne veulent pas se trouver à la
remorque de factions réactionnaires des classes dominantes qui
déclencheront ensuite leurs attaques contre eux. Une leçon qui est aussi
valable pour les travailleurs dans les pays impérialistes d’Europe.
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