Entre
13 et 18 morts en deux jours, dans un pays dévasté par l’invasion
américaine et la corruption des classes dominantes. Le spectre d’une
révolte généralisée plane sur l’Irak.
Depuis mardi, l’Irak est secoué par des manifestations exigeant
du travail, une amélioration des services publics, notamment de l’eau
et de l’électricité, et dénonçant la corruption endémique de la classe
dirigeante. Des slogans exigeant la « chute du régime » ont été scandés
par les manifestants. Alors que depuis plusieurs années le pays a connu
des mouvements sociaux dénonçant la misère laissée par des années
d’occupation militaire nord-américaine et les politiques des
gouvernements marionnettes, les mobilisations actuelles ont surgi
spontanément. Il s’agit essentiellement de jeunes chômeurs dont de
récents diplômés qui n’arrivent pas à trouver un emploi. En effet, en
Irak 25 % des jeunes sont au chômage. Et alors qu’il s’agit d’un pays
dont la population est majoritairement jeune, cette donnée n’est pas
anodine.
Concernant la corruption, bien que celle-ci soit intrinsèque au
fonctionnement du système capitaliste, l’Irak est l’un des pays dont le
taux de corruption est le plus élevé au monde. Selon des études
officielles, depuis 2004, près de 450 milliards de dollars de fonds
publics ont été détournés par des politiciens et hommes d’affaires.
C’est pour cela que la question a pris une grande importance dans la
mobilisation.
Du côté du gouvernement la réponse a été brutale dès les premiers
moments de la contestation : alors qu’au début la mobilisation se
cantonnait à la capitale irakienne, Bagdad, la répression à balles
réelles qui a fait au moins un mort le premier jour, a provoqué une
réaction immédiate élargissant la lutte à l’ensemble du territoire, au
nord et au sud. Le gouvernement du premier ministre Adel Abdel Mahdi a
poursuivi sa réponse brutale et le nombre de morts s’élève jusqu’à
présent entre 13 et 18 selon les sources. Le gouvernement a également
décrété un couvre-feu mais cela n’a pas pour autant arrêté les
manifestants. Selon des témoignages, internet était pratiquement coupé
dans le pays, le gouvernement essayant de bloquer ce moyen de
communication et d’organisation privilégié par les jeunes mobilisés.
Invasion militaire et ingérence étrangère
La misère et les souffrances du peuple irakien ne datent certes pas
d’hier, mais on peut dire que l’invasion militaire des forces
impérialistes en 2003 les a accentuées et transformé la vie de millions
de personnes en un calvaire. Et cela sans compter les morts, les
destructions. Et pourtant les Américains avaient justifié leur agression
sous prétexte « d’instaurer la démocratie » dans le pays. Le fait est
que l’intervention impérialiste a été un échec cuisant et elle a conduit
à une désintégration de l’État irakien avec le surgissement de Daesh et
de diverses milices ethnico-confessionnelles, plongeant de fait le pays
dans une guerre civile fratricide, totalement réactionnaire.
L’autre conséquence de l’intervention nord-américaine a été le
renforcement du rôle de l’Iran dans le pays et dans la région.
Paradoxalement, les États-Unis et leurs alliés sont devenus dépendants
de Téhéran pour maintenir un minimum de stabilité sociale et politique
en Irak, ou du moins pour éviter une débâcle encore plus grande. À la
suite de la chute de Saddam Hussein, le pouvoir a basculé entre les
mains des factions chiites et les gouvernements et forces politiques qui
ont surgi sont devenus dépendants de l’Iran.
Ainsi, parmi la population irakienne existe non seulement un fort
sentiment anti-américain mais de plus en plus on rejette l’ingérence
iranienne dans le pays. Ce n’est pas un hasard que les manifestations
aient éclaté suite au limogeage du chef du bureau antiterroriste,
Abdul-Wahab al-Saadi, qui est perçu comme un « héros » dans la lutte
contre Daesh et se plaçant au-delà des divisions confessionnelles.
Certains manifestants portaient même des portraits d’al-Saadi, ce qui
représente une opportunité pour que certains courants bourgeois tentent
capitaliser le mouvement.
Pour beaucoup, al-Saadi représenterait une alternative face à un
régime totalement au service des intérêts de puissances étrangères. En
effet, aussi bien l’Iran que les autres puissances de la région et les
impérialistes tentent d’exercer leur influence sur ce pays stratégique
dans la région, aux dépens de travailleurs et de la jeunesse. C’est pour
cela que les manifestations sont très rapidement devenues une remise en
cause de tout le régime. La réponse brutale du régime exprime une très
grande inquiétude, car il n’a rien à offrir aux jeunes ; et il est clair
que tout le monde craint un embrasement généralisé. Le spectre du
« printemps arabe » est aussi dans toutes les têtes.
Évidemment, rien ne se passera comme en 2011, beaucoup de choses ont
changé, des guerres ont ravagé la région, des régimes
contre-révolutionnaires s’y sont installés (comme en Égypte). Cependant,
les contradictions sociales, économiques et politiques n’ont fait que
s’accentuer et s’aggraver. C’est précisément cela qui pose les
conditions objectives pour un embrasement généralisé, non seulement en
Irak mais dans toute la région. Il reste à voir comment se poursuivra le
mouvement et s’il aura des conséquences sur d’autres pays, à commencer
par l’Iran.
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