Jair
Bolsonaro a clairement encouragé les crimes contre l’Amazonie. Mais
qu’en est-il de la responsabilité des gouvernements précédents et de
leur connivence avec l’agrobusiness ?
La hausse des prix des commodities et des produits
agroalimentaires dans les années 2000 ont éveillé l’appétit du secteur
de l’agrobusiness et minier au Brésil. Le secteur a vécu « des années de
folie » avec des taux de profit exorbitants. Cela a conduit à une
expansion de la « frontière agricole » à l’intérieur du pays au
détriment des zones naturelles protégées, notamment de l’Amazonie. Les
exigences sur une plus grande « flexibilisation » des lois protégeant
l’environnement mais aussi la force de travail à la campagne de la
bourgeoisie agricole et des grands propriétaires terriens vis-à-vis des
différents gouvernements se sont faites de plus en plus fortes.
La victoire de Jair Bolsonaro à l’élection présidentielle de 2018 a
représenté une énorme fenêtre d’opportunité pour ce secteur de la
bourgeoisie brésilienne, profondément fusionnée avec les multinationales
impérialistes. En effet, Bolsonaro a gagné les élections avec un
programme ouvertement néolibéral et pro latifundiaires ; il prônait (et
prône encore) la marchandisation de l’Amazonie en niant les risques pour
l’environnement, en bafouant les droits des peuples autochtones
(indigènes, quilombolas descendants d’esclaves) mais aussi des paysans sans-terre.
Ces discours ont encouragé les propriétaires terriens, affamés de
nouvelles terres pour la culture du soja (entre autres), qui ont mis le
feu à des vastes zones de l’Amazonie, ce qui est devenu un scandale
mondial.
Cette situation témoigne du « sentiment d’impunité » et de totale
« légitimité » pour détruire la nature en fonction des intérêts
économiques de ce secteur de la bourgeoisie brésilienne. Cependant, la
force sociale de l’agrobusiness ne nait pas avec le gouvernement
réactionnaire de Bolsonaro. Au contraire, c’est pendant les années de
gouvernement du Parti des Travailleurs (PT) de Lula Da Silva que la
bourgeoisie agraire et latifundiaire a pris de plus en plus d’influence
dans la vie économique et politique du pays. Et cela n’était pas un
résultat de « l’évolution naturelle » de l’économie mais celui d’une
politique consciente et active du PT au pouvoir.
L’agrobusiness et les secteurs de la petite-bourgeoisie qu’elle
influence dans les régions du sud et centre-ouest du pays ont été la
base sociale déterminante du coup d’Etat institutionnel contre Dilma
Rousseff et plus tard la principale base électorale de Bolsonaro. Mais
cela n’a pas toujours été le cas. Eraí Maggi, dit « le roi du soja », à
la tête de l’une des multinationales les plus importantes du Brésil et
actuellement fervent soutien de Bolsonaro, était un partisan de la
réélection de Dilma Rousseff en 2014. Cette année-là, dans les pages de
l’un des principaux journaux du pays, il étayait toute sa gratitude à l’égard des gouvernements du PT : « l’agrobusiness
avait des réticences quand le PT est arrivé au pouvoir. On craignait
que le PT mette fin à tout ; on craignait d’être expropriés, de perdre
des fermes, des terres, tout. Et c’est tout le contraire qui s’est
produit. Le gouvernement [...] a garanti le droit de (possession) des
terres. Et quand on a eu cette garantie, les investissements sont
arrivés ».
En effet, en termes de chiffres, en 2003, quand le PT a formé pour la
première fois un gouvernement, les latifundiaires concentraient 214,8
millions d’hectares de terres. Quand Lula est parti et a passé la main à
Dilma en 2010, ces même latifundiaires détenaient 318 millions
d’hectares. Pendant les années de gouvernement du PT, différentes
politiques ont favorisé le développement de ce secteur comme un
financement moins cher, des constructions d’infrastructures importantes
mais aussi le vote de lois comme le « nouveau Code Forestier » de 2012
qui permettait aux latifundiaires d’élargir la frontière agricole sur
des terres jadis protégées.
Cette fusion du PT avec l’agrobusiness a eu des conséquences aussi
sur les droits des peuples autochtones. Ainsi, le gouvernement de Dilma a
été celui qui a le moins démarqué de terres protégées pour les
populations indigènes depuis la fin de la dictature en 1985 : moins d’un
million d’hectares contre 41 millions d’hectares du président de
centre-droit des années 1990 Fernando Henrique Cardoso (même si ces
terres étaient de peu de valeur et très peu peuplées et disputées).
Tout cela a favorisé l’expansion de l’agrobusiness et son poids dans
l’économie nationale. Alors que dans les années 1980-1990 la part de ce
secteur dans le PIB national a oscillé entre 12% et 6%, en 2017 la part
de l’agrobusiness dans le PIB brésilien était de 23,5%. Cela a marqué
également une désindustrialisation partielle du pays et une progressive
transformation de l’économie nationale, devenue de plus en plus
dépendante des exportations agricoles et des matières premières.
La politique du PT au pouvoir a donc consisté en une vraie fusion
avec des secteurs du grand capital national, lui-même très lié au grand
capital impérialiste à travers les voies de financement, la technologie
nécessaire à l’exploitation agricole, etc. Comme l’expliquent nos
camarades du Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs du Brésil dans
un article de mars dernier : « la
gauche brésilienne a hérité du stalinisme une idée de « progrès » et de
« retard », une image fonctionnelle à une politique consistant en
chercher des alliés, et même des sujets (de transformation sociale),
parmi la bourgeoisie urbaine et « civilisée » (c’est-à-dire celle de São
Paulo et de Rio). Avec cette bourgeoisie on cherchait un développement
capitaliste et démocratique pour après penser à la révolution sociale.
Plus qu’une « capitulation » face à des bourgeois, il s’agissait d’un projet de pays.
Ce projet de pays a été activement développé par le PT quand il était
au pouvoir. Lula, Dilma et les gouverneurs du PT ont fait beaucoup plus
que céder à l’agrobusiness, à l’industrie minière prédatrice de Vale et
Samarco, aux députés évangéliques et militaires. Les gouvernements du PT
ont renforcé économiquement et politiquement ces secteurs ».
En effet, la politique du PT a non seulement renforcé la base sociale
réactionnaire qui a mené le coup d’Etat institutionnel et emprisonné
arbitrairement Lula, mais celle qui est devenu la force qui a conduit
l’ultraréactionnaire Bolsonaro au pouvoir. Cette même bourgeoisie qui
est en train de brûler l’Amazonie avec comme seul objectif de grossir
ses profits à tout prix, y compris la destruction de la nature.
Aujourd’hui que des millions de personnes dans le monde dénoncent
avec raison les politiques réactionnaires de Bolsonaro, responsable des
incendies criminels en Amazonie, pour les travailleurs et la jeunesse
brésilienne il s’agit de ne pas oublier les responsabilités de ceux qui
aujourd’hui se présentent comme leurs « amis ». Le PT et ses alliés sont
aussi responsables de la catastrophe actuelle. Mais, par leur politique
de conciliation de classes dans les syndicats et organisations sociales
qu’ils dirigent bureaucratiquement, ils sont aussi complices des
attaques sociales de Bolsonaro. La protection de l’environnement aussi
pose la nécessité, pour les travailleurs et la jeunesse, de construire
un parti révolutionnaire et de classe, indépendant des différentes
fractions de la bourgeoisie nationale et de l’impérialisme.
RP.
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