Sandor Kopácsi a écrit un très bon livre-témoignage sur son
expérience personnelle en tant que préfet de police de Budapest pendant de la
révolution hongroise de 1956, Au nom de
la classe ouvrière (1979). Au contraire de ce que beaucoup affirment
souvent, Kopácsi n’a pas vraiment « pris parti pour la révolution ». Il a
pris parti pour l’aile « réformatrice » de l’appareil stalinien,
dirigée par Imre Nagy. Cependant, son livre représente un excellent témoignage
depuis l’intérieur de l’appareil d’Etat et du parti. Et cela non seulement
pendant la révolution elle-même, où l’on peut voir la peur qui envahissait
beaucoup de dirigeants staliniens face à la mobilisation massive de la jeunesse
et de la classe ouvrière à Budapest en octobre-novembre 1956 ; le livre de
Kopácsi dresse également un tableau limpide de la période de la « terreur »
qui régnait en Hongrie avant la mort de Staline en 1953, y compris dans les
hautes sphères de l’appareil d’Etat. Ci-dessous je reproduis un extrait du
chapitre « Vous êtres innocents mais… », où Kopácsi montre la
violence de la persécution et la répression contre les « titistes » au
sein de l’appareil étatique après le « schisme » de 1948 entre
Staline et Tito. A partir de ces mots on peut imaginer la violence contre les
ouvriers et paysans ; il n’est pas étonnant que lors de la révolution des
travailleurs aient déversé leur haine contre les membres de la police politique.
Philippe Alcoy
« Quant à la fin de notre ministre Sandor Zöld, aux
paroles si douces et à la jeunesse si éclatante, elle fut la suivante. Il n’eût
pas été ministre de l’Intérieur s’il n’avait pas pu avoir vent de l’opération
qui se montait contre lui. Les horribles précédents de Raj et des autres
dirigeants démontraient clairement quelle souffrance physique et morale allait
être son lot, et probablement celui de sa famille. (…) En compagnie de sa jeune
femme, il alla tenir conseil sur un banc public, loin des micros dont sa
maison, comme celle de presque tous les dirigeants, était truffée.
Le couple ne trouva qu’une issue. En compagnie de leurs deux
jeunes enfants et de la belle-mère, ils se donnèrent la mort la nuit même. Le commando
d’arrestation ne trouva, à son grand dépit, que des cadavres. Zöld fut déclaré
espion au service du Deuxième bureau français.
Le colonel Szücs, de la Sécurité hongroise [police
politique] (…) fut pris de doute au sujet de cette hécatombe.
De son propre chef, il entreprit un voyage à Moscou en vue
de contacter personnellement le camarade Staline et déposer une plainte entre
les mains de ce grand dirigeant trompé par ses propres services (en l’occurrence
par le général Bielkine). La plainte fut acceptée en haut lieu.
A son retour à Budapest, le colonel Szücs fut proprement
massacré par un commando mixte soviéto-hongrois, pendant que son frère unique,
officier de la Sécurité comme lui, était battu à mort dans les caves situées
sous le siège de cet organisme.
Le général Bielkine fut décoré des plus hautes distinctions
soviétiques et hongroises. Son homologue de Budapest, le chef de la Sécurité
Gabor Peter, eut les mêmes décorations à un degré plus bas.
Matyas Rakosi, secrétaire général du parti communiste
hongrois, fut déclaré officiellement le meilleur « élève » du
camarade Staline parmi les dirigeants des démocraties populaires, et eut l’honneur
d’être placé à la droite du grand chef à l’occasion du banquet du
soixante-dixième anniversaire ».
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