Après
11 jours de manifestations l’ex-président devenu premier ministre
démissionne en Arménie. Cependant, la situation reste ouverte et le
risque de crise politique profonde fragilise cet allié de Moscou dans
une région plus qu’explosive.
Lundi 23 avril Serge Sargsyan, ancien président pendant dix ans
devenu premier ministre la semaine dernière, annonçait sa démission
face à la contestation massive dans les rues notamment de la capitale du
pays, Erevan.
En effet, en 2015 Sargsyan avait fait adopter une réforme
constitutionnelle faisant passer l’Arménie d’un régime présidentiel à un
régime parlementaire. Le rôle du président était ainsi devenu
cérémonial, le premier ministre concentrant désormais le pouvoir
effectif. Cette réforme entrait en vigueur cette année avec le terme du
deuxième mandat du président Sargsyan.
Cependant, malgré le fait que celui-ci ait promis de ne pas postuler
au poste de premier ministre à la fin de son mandat de président, la
semaine dernière son parti, le Parti Républicain, a largement voté pour
qu’il prenne le poste.
Cela a déclenché une large contestation, notamment parmi la jeunesse
qui voyait dans la nomination de Sargsyan une tentative de se perpétuer
au pouvoir. Le député d’opposition et ex-journaliste, Nikol Pashinyan, a
rapidement profité de ce mécontentement pour se mettre à la tête de la
contestation et apparaître comme le « leader de l’opposition » au
gouvernement et essayer de lui donner un ton pro-européen,
pro-occidental.
L’ex-premier ministre Sragsyan a d’ailleurs accepté une rencontre
télévisée en direct avec Pashinyan ce weekend, mais celle-ci a tournée
rapidement au fiasco. Au bout de quelques minutes le premier ministre a
quitté le plateau et plus tard dans la soirée Pashinyan et d’autres
opposants ont été arrêtés par la police. Tout indiquait que le
gouvernement avait opté pour la méthode dure et répressive, rappelant
les évènements de 2008. En effet, au cours de manifestations contre
l’élection de Sargsyan à la présidence, 10 personnes sont mortes dans
des affrontements avec la police.
Lundi, une foule de près de 100 000 personnes a envahi les rues de la
capitale d’un pays de près de 3 millions d’habitants. Parmi les
manifestants on pouvait voir une colonne de 200 militaires non armés
mais en uniforme manifester aux côtés de la foule. Dans la soirée,
Pashinyan et les autres opposants étaient libérés et quelques minutes
plus tard le premier ministre annonçait sa démission.
Une région explosive
La démission de Sargsyan a été pour beaucoup, même pour les
manifestants, une surprise. Certains estiment que la participation des
militaires à la manifestation a été déterminante pour éviter l’escalade
et que la crise politique s’approfondisse voire qu’elle dégénère. En
effet, l’Arménie est entourée de voisins avec lesquels elle entretient
de mauvais rapport, notamment la Turquie et l’Azerbaïdjan.
Avec ce dernier l’Arménie se trouve en conflit depuis trente ans à
propos de la région de Nagorno-Karabakh peuplée majoritairement par des
Arméniens et que l’Arménie revendique. Les frictions avec la Turquie
sont historiques, notamment depuis le génocide arménien, toujours non
reconnu par la Turquie, dont on a commémoré le 103e anniversaire cette
année.
Dans un tel contexte chaque crise interne en Arménie peut être
utilisée par ses voisins. Cela explique que Sargsyan et les classes
dominantes arméniennes, qui ont notamment observé une position ferme
vis-à-vis de l’Azerbaïdjan, aient essayé de calmer la situation
intérieure en poussant le premier ministre à démissionner avec un ton
très autocritique.
L’Arménie n’est pas l’Ukraine mais…
C’est dans ce contexte géopolitique que l’Arménie est devenue très
dépendante de la Russie, économiquement et notamment militairement. La
Russie dispose d’une base militaire dans le pays et 4 000 soldats russes
y stationnent. Le pays fait également partie de l’Union eurasiatique,
une zone commerciale composée d’anciennes républiques soviétiques, mise
en place et pilotée par la Russie depuis 2014.
Après avoir perdu l’Ukraine en 2014, il est évident que Poutine et
son gouvernement sont en train de suivre de très près la situation en
Arménie. C serait un coup très dur pour le Kremlin, presque
inconcevable, de perdre un allié stratégique dans cette région. Il est
donc probable également que la décision de démissionner du premier
ministre ait été prise en consultation directe avec Moscou.
Et cela d’autant plus que tout semble indiquer que les occidentaux ne
seraient pas impliqués directement dans ce mouvement. Comme il est
affirmé dans le site nord-américain d’analyse géopolitique Geopolitical Futures : « Dans
les révolutions de couleurs dans le passé, l’Ouest offrait un soutien
direct aux manifestations à travers des organismes comme les ONG.
Cependant, il n’y a pas d’indices qui indiqueraient que les États-Unis
ou un pays européen finance directement ou soutienne matériellement
d’une quelconque façon les manifestations arméniennes. En fait, aucun
gouvernement occidental n’a même pas fait de déclarations critiquant
Sargsyan ou son gouvernement. Quelques ONG financées par les occidentaux
sont allées jusqu’à signer une pétition en soutien aux manifestations,
mais cela peut difficilement signifier qu’une transformation politique
dramatique soit imminente ».
Cependant, il est possible que les occidentaux essayent de tirer
profit de cette crise, en essayant d’une façon ou d’une autre que
celle-ci dure dans le temps de façon à ce que la Russie soit obligée d’y
dépenser des moyens politiques et économiques, voire militaires, au
détriment notamment de son intervention en Syrie.
Quoi qu’il en soit, la situation politique reste ouverte. Le départ
de Sargsyan peut apparaître aux yeux des manifestants comme un
« changement cosmétique » si le même clan politico-oligarchique reste en
place. Plus important encore, la situation économique du pays est très
difficile pour les travailleurs et les classes populaires : d’énormes
inégalités subsistent, le chômage est de près de 20 %. 30% des Arméniens
vivent sous le seuil de la pauvreté, une grande partie de la population
dépend des devises envoyées depuis l’étranger par la diaspora et depuis
2008 quelque 300 000 arméniens ont quitté le pays, soit 10 % de la
population.
Malgré la tentative des courants libéraux de canaliser le mouvement,
il est possible que toutes ces contradictions politiques, économiques et
sociales installent la crise dans la durée.
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