3.7.17

L’accord gazier milliardaire entre Total et l’Iran risque d’irriter les États-Unis


Total a signé un accord avec l’Iran pour l’exploitation du plus grand gisement de gaz au monde. Un projet de près de 5 milliards de dollars en partenariat avec le géant chinois China National Petroleum Corporation (CNPC) et la société publique iranienne Petropars. Un accord qui risque d’irriter les États-Unis, en pleine « croisade » anti-iranienne, et de créer de nouvelles frictions entre les puissances occidentales.
Philippe Alcoy

L’accord sur le nucléaire iranien signé par plusieurs puissances mondiales posait les bases pour la levée d’une grande partie des sanctions économiques qui pesaient sur le pays perse. Cela allait permettre à l’Iran d’attirer des capitaux internationaux qui apporteraient le renouvellement technique et des infrastructures nécessaires au pays, et pour les multinationales cela signifiait l’ouverture d’un marché de 85 millions de consommateurs, en plus de l’opportunité de réaliser de juteux profits.

Cependant, au-delà de certaines entreprises qui étaient déjà implantées avant les sanctions (comme Total elle-même, mais aussi PSA ou Renault), peu d’entreprises ont fait le pas de s’engager sur de gros investissement pour le moment.

Les raisons sont multiples, comme les lourdeurs bureaucratiques. Mais elles sont surtout liées à la situation politique. D’une part, la participation de l’Iran à la guerre en Syrie du côté de Bachar al-Assad, ce qui l’oppose aux alliés des puissances occidentaux, et d’autre part l’élection de Donald Trump qui a depuis longtemps déclaré son hostilité à l’accord sur le nucléaire iranien qui permet la levée des sanctions.

À cela il faut ajouter que le Sénat nord-américain a voté récemment de nouvelles sanctions contre l’Iran, que la Maison-Blanche est en train d’évaluer si elle rompt ou non l’accord sur le nucléaire, et que lors de sa visite au Moyen-Orient, Trump a encouragé le lancement d’une offensive anti-iranienne de la part de ses alliés proches comme l’Arabie saoudite et Israël (ce qui a d’ailleurs contribué à pousser l’Arabie saoudite à lancer une offensive contre le Qatar, en ouvrant une situation plus qu’inconfortable pour les États-Unis).

C’est pour cela que l’accord entre l’Iran et Total a autant d’impact. Celui-ci est très important pour Total, qui fait un premier investissement de 1,75 milliards d’euros et pourrait investir une somme égale dans une deuxième phase du projet. Ce partenariat permettra à la multinationale française d’exploiter ce gisement géant de gaz pendant les vingt prochaines années.

Contradictions du capitalisme iranien

 

Le gouvernement espère que l’accord avec Total contribuera à « briser la glace » et que d’autres entreprises européennes suivront l’exemple de la multinationale française. D’ailleurs, d’autres géants du secteur pétrolier, comme l’anglo-néerlandaise Shell ou l’italienne ENI, sont déjà en train d’explorer d’éventuels investissements.

En effet, l’Iran a besoin de ces investissements des capitaux occidentaux car ils sont indispensables pour lui apporter la technologie nécessaire pour pouvoir exploiter ses ressources naturelles. Par exemple, pendant toutes ces années d’embargo économique, Téhéran n’a pas pu exploiter le gisement de gaz naturel qu’il partage avec le Qatar, car il ne disposait pas des capacités techniques de le faire.Les infrastructures iraniennes sont également dans un très mauvais état. On estime que l’Iran a besoin de 200 milliards de dollars d’investissements pour les cinq prochaines années pour renouveler son secteur énergétique.

Cependant, cette ouverture envers les capitaux étrangers est également en train de produire des contradictions internes car des secteurs capitalistes locaux, liés notamment aux forces armées, se sont développés grâce à toutes ces années d’embargo. Aujourd’hui, ils craignent que la concurrence internationale leur fasse perdre leur statut économique et social.

Une dispute pour le marché iranien ? 

 

L’accord gazier de Total avec l’Iran tombe à un moment où les relations transatlantiques sont dans une situation très délicate. Les États-Unis sont en train d’utiliser de plus en plus ouvertement la diplomatie et les sanctions économiques contre des partenaires économiques « encombrants » de l’Union européenne, comme la Russie et l’Iran, pour entraver le développement des multinationales européennes concurrentes des multinationales étasuniennes.

Les entreprises européennes craignent les sanctions économiques et les amendes de la part des États-Unis et agissent avec beaucoup de précautions. Dans le cas de Total, le géant français ne voudrait pas faire un faux pas en Iran et voir affectés ses intérêts aux États-Unis. Mais, comme déclare le PDG de Total, Patrick Pouyanné, « nous devons vivre avec un certain degré d’incertitude (…) Cela vaut la peine de prendre un risque à 1 milliard de dollars parce que cela nous ouvre un vaste marché ». Et ce risque est d’autant plus « facile » à prendre qu’il peut compter sur l’aide d’Emmanuel Macron, qui a reçu vendredi dernier le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, ce qui a sans aucun doute accéléré les choses.

En effet, depuis l’accord sur le nucléaire iranien les capitalistes étasuniens voient que ce sont leurs concurrents européens qui profitent le plus de l’ouverture du marché, même si pour le moment de façon timide. La position dure de Trump à l’égard de l’accord sur le nucléaire n’exprime peut-être pas une volonté d’y mettre fin, mais une tentative d’améliorer le rapport de forces à la faveur du capital nord-américain.

Ainsi, l’Iran et son accord avec Total risquent de devenir encore une nouvelle source de conflits et de frictions inter-impérialistes dans le Moyen-Orient.

Quant aux répercussions dans la région, l’accord gazier est un point d’appui pour l’Iran dans sa dispute réactionnaire avec l’Arabie saoudite pour « l’hégémonie » régionale. Autrement dit, une dispute pour savoir qui sera le principal interlocuteur et « partenaire » des puissances impérialistes. Dans la crise ouverte avec le Qatar, sous-produit de cette lutte dans la péninsule, l’accord Total-Iran pourrait renforcer l’opposition à l’Arabie saoudite au sein du soi-disant « pôle sunnite ».

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