Philippe Alcoy
La manifestation du 14 juin contre la Loi Travail a été massive, quoi
que disent la presse, la police et le gouvernement. Il n’y avait
peut-être pas 1,3 millions de personnes dans les rues hexagonales comme
affirme la CGT mais les jeunes et les travailleurs se sont mobilisés
massivement en tout cas. Le défilé parisien, où entre 600 et 700 cars se
sont rendus depuis la province, a été particulièrement marqué par des
colonnes ouvrières imposantes. Mais alors que la CGT, devenue la
principale opposition au gouvernement, exige que la rue soit entendue,
Hollande et Valls semblent n’entendre rien lâcher.
Pourtant la centrale de Montreuil a démontré qu’elle n’était pas
aussi faible que certains médias liés au patronat et au gouvernement le
voudraient. Ces dernières semaines elle a poussé à ce que les
raffineries et dépôts de pétrole soient en grève et bloqués ; pareil
dans les ports ; ensuite c’est à la SNCF qu’elle décidait (enfin)
d’appeler à un mouvement reconductible, chez les travailleurs de la
propreté aussi ; même dans les centrales nucléaires il y a eu des
mouvements. Le tout n’exprimait pas seulement les capacités de
mobilisation de la CGT et autres syndicats dits « contestataires » mais
surtout l’envie de résister et de se battre d’une grande partie de la
classe ouvrière. Et la manifestation du 14 s’inscrit aussi dans cette
dynamique.
Cependant, toute cette force et énergie semble être de plus en plus
canalisée vers l’objectif d’ouvrir un « dialogue » entre la CGT et le
gouvernement et non vers celui de lui imposer une défaite. Martinez
avait déjà déclaré que si Valls se décidait à le rencontrer, les grèves
pouvaient s’arrêter immédiatement. Peut-être ces déclarations relevaient
de la rhétorique pure mais elles semblaient exprimer cependant un désir
réel de la part de la centrale de Montreuil d’engager ce dialogue.
Depuis la communication avec le gouvernement a été rétablie et même un
rendez-vous avec la ministre du travail, Myriam El Khomri, a été fixé
pour vendredi prochain.
Ainsi, après la manifestation, la CGT a écrit dans un communiqué : « Fort
de cette nouvelle mobilisation, la délégation qui rencontrera la
Ministre du Travail vendredi 17 juin portera l’exigence du retrait ; les
points majeurs du blocage étant a minima les 5 articles qui constituent
l’ossature du texte ». Habile pirouette discursive permettant de
mettre en avant le retrait de la contre-réforme, qui répond largement à
l’état d’esprit des jeunes et des travailleurs mobilisés, tout en
laissant grande ouverte la porte de la négociation et de l’amendement de
la loi (même s’il s’agit des points centraux de la contre-réforme).
Aujourd’hui il semble peu probable que le gouvernement propose
quelque chose de significatif à la CGT lors du rendez-vous de vendredi.
Même s’il essaye de ne pas provoquer Martinez directement, rien
n’indique que le gouvernement fera un « geste » vis-à-vis de la CGT à
même de lui ouvrir la possibilité de proposer une fin de conflit à ses
adhérents et sympathisants. Les enjeux présents et futurs pour le PS et
le patronat sont trop importants et ils parient sur un affaiblissement
des grèves.
Aussi, Valls et Hollande espèrent que la version de la loi renvoyée
au parlement par le Sénat à la fin du mois soit suffisamment à droite
pour convaincre les « frondeurs » de voter cette fois-ci leur projet de
loi.
Tout cela, dans un contexte où l’on commence à voir quelques signes
d’essoufflement des grèves en cours, ne fait que pointer l’impuissance
de la stratégie de négociation. Cela pointe aussi l’importance de se
battre pour imposer une défaite au gouvernement et au patronat. C’est
précisément parce que Martinez avait adopté depuis le début une
stratégie visant l’ouverture de négociations avec le gouvernement que la
CGT a impulsé des luttes dispersées, les unes après les autres, même
s’il s’agissait de secteurs stratégiques qui en grève tous ensemble
auraient pu améliorer le rapport de force des opposants à cette
contre-réforme. Jamais un plan sérieux de construire un vrai « tous
ensemble » n’a été élaboré et cela a permis au gouvernement et au
patronat de gagner du temps.
Cependant, même si la situation est compliquée, rien n’est encore
joué. Les cheminots maintiennent en partie la grève. On ne peut pas
exclure non plus qu’après la mobilisation du 14, d’autres secteurs se
remettent en grève. Et aussi on ne peut pas oublier qu’en face ils ne
sont pas si fort non plus. Le camp gouvernemental reste fragile et
divisé et cela est un avantage pour les travailleurs et la jeunesse.
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