17.3.16

Pourquoi Poutine annonce le retrait des troupes russes de la Syrie ?


Philippe Alcoy

« Les objectifs fixés au ministère de la Défense et des forces armées russes en République arabe syrienne ont globalement été remplies », a considéré le président Vladimir Poutine lundi 14 mars. Il annonçait ainsi le « retrait du gros des forces armées russes » du pays. Cette déclaration a pris tout le monde par surprise, même les Etats-Unis dont le président Obama s’est entretenu tout de suite après, avec son homologue du Kremlin. Pourquoi ce tournant soudain de la part du gouvernement russe ?

Il est encore trop tôt pour dire quelles seront les conséquences à moyen terme de ce retrait. Il est encore trop tôt pour déterminer l’ampleur et les rythmes de ce retrait. Cependant, il est clair que Poutine est devenu un spécialiste des coups de théâtre politico-militaires. Il y a près de six mois en effet, le monde apprenait avec presque autant de surprise, le début des frappes aériennes russes en Syrie.

Cette annonce a lieu au milieu du cessez-le-feu commencé le 27 février dernier, et au moment même où les nouvelles négociations entre le gouvernement de Bachar Al-Assad et l’opposition commençaient à Genève. Aussi bien la trêve que les négociations ont largement bénéficiées du soutient des Etats-Unis mais aussi de la Russie. De cette façon, Poutine peut se retirer de la Syrie en se présentant maintenant comme un « bâtisseur de paix ».

Le gouvernement russe a toujours déclaré que son engagement en Syrie ne serait pas éternel et qu’il ne durerait que quelques mois. La complexité de cette guerre faisait douter de la possibilité de réalisation de ce plan, et le risque d’embourbement était bien réel. C’est peut-être cette brèche ouverte par les négociations de Genève et le cessez-le-feu qui ont permis à Poutine d’accélérer sa sortie du champ de bataille syrien. Même si on peut affirmer que la Russie continuera à exercer son influence sur le pays, y compris militaire en finançant et armant ses alliés sur place.

Quels étaient les objectifs russes en Syrie ?

L’intervention de l’armée russe en Syrie poursuivait plusieurs objectifs de différentes importances. Certains étaient liés directement à la crise syrienne, d’autres avaient des conséquences sur d’autres terrains de lutte militaires et géopolitiques.

Le premier objectif était bien évidemment celui de venir en aide à son allié local, le gouvernement syrien ; qui était en train de reculer face aux combattants de l’opposition ainsi que face aux forces armées de Daesh.

Précisément, un autre objectif de Poutine était de faire reculer l’Etat Islamique. Et cela non seulement parce que ses alliés locaux étaient en danger, mais parce que le renforcement de Daesh pouvait (et peut) avoir des conséquences sur le sol russe (notamment vis-à-vis des tensions en Tchétchénie mais aussi avec des populations musulmanes dans la fédération russe).

Un autre objectif de la Russie qui a été peut-être moins analysé, était celui de mener une démonstration de force militaire devant les yeux de toute la planète, notamment des puissances occidentales, avec lesquelles le gouvernement de Poutine se trouve en dispute sur divers terrains depuis le début de la crise ukrainienne.

Enfin, le plus important des objectifs russes en Syrie n’était pas directement lié à la guerre dans ce pays, mais à la position de la Russie dans la politique mondiale. En effet, la crise ukrainienne, la perte partielle de l’influence de la Russie sur l’Ukraine, la guerre dans la Donbass, les sanctions économiques contre Moscou, et l’annexion de la Crimée ont eu comme résultat l’isolement total de Poutine sur l’arène internationale. Une intervention forte en Syrie apparaissait ainsi comme un moyen pour Poutine de revenir au devant de la scène mondiale, et être traité d’égal à égal par les dirigeants des puissances impérialistes occidentales.

Quels sont les résultats de l’intervention russe ?

Il n’y a aucun doute que l’intervention de la Russie a été déterminante pour la survie du gouvernement d’Assad. Ses troupes étaient en pleine déroutes et démoralisées avant le début des frappes de l’aviation russe. Peu à peu les soldats loyalistes ont réussi à reprendre du terrain perdu face aux rebelles et à Daesh. Ce sont ces résultats sur le terrain de bataille qui ont permis à Bachar Al Assad d’être pris en considération dans les négociations de paix, et, que les Etats Unis acceptent la possibilité d’une transition politique sans que le départ d’Assad soit un préalable.

Certains estiment que le retrait russe traduirait le fait que Poutine considère aujourd’hui le pouvoir syrien suffisamment stable. D’autres pensent que le retrait de Poutine serait une manière d’obliger Assad à se plier à une issue négociée de la crise, étant donné que ces dernières semaines, le gouvernement syrien se montrait plus réticent quant au départ du président.

L’intervention des forces russes a permis également au régime de Damas de reprendre quelques villes et du territoire à Daesh. L’aviation russe a certes plus frappé des cibles de l’opposition, mais a réussi à toucher certaines positions stratégiques de l’Etat Islamique en Syrie.

Cependant, bien que la position du régime se soit nettement améliorée, ni les rebelles ni Daesh ont été anéantis, et restent un danger pour Assad en cas de reprise des combats. Ainsi, l’intervention russe a permis d’éviter la chute d’Assad mais ne lui a pas permis d’emporter la victoire dans la guerre, ou même de reprendre le contrôle sur l’ensemble du territoire syrien.

Quant à la démonstration de force militaire et de « modernisation » de l’armée russe, on peut affirmer que le pari de Poutine a été réussi. En effet, bien que l’exposition des troupes russes ait été moindre car elles menaient surtout des frappes aériennes. Les pertes en vies militaires ont été très peu élevées. L’utilisation de nouvelles armes et technologies militaires a même permis à l’industrie de l’armement russe de décrocher quelques contrats, notamment avec l’Iran.

L’armée russe est évidemment complice des pires atrocités du régime, et est accusée d’attaquer des infrastructures civiles comme des hôpitaux dans les zones contrôlées par l’opposition. Mais même d’un point de vue des victimes civiles, l’armée de Poutine a relativement réussi à limiter les dégâts. Selon Human Rights Watch et autres organisations humanitaires, les bombes russes ont tué 1700 civils. Mais ce chiffre est relativement faible si l’on le compare au fait qu’en 2015 plus de 3700 personnes sont mortes noyées en Méditerranée essayant d’atteindre les côtes européennes.

Cependant, la plus grande victoire de Poutine en Syrie est qu’il a réussi à revenir sur le devant de la scène internationale, obligeant toutes les puissances mondiales à négocier avec lui d’égal à égal. Et la Russie a obtenu une place propre sur la table de négociations. Rappelons que la France, malgré toutes ses manœuvres, et la manipulation de l’émotion après les attentats de novembre à Paris, n’a pas réussi à s’imposer comme acteur en propre dans les négociations.

Ce résultat permet ainsi à la Russie de limiter les dégâts de sa plus grande défaite politico-militaire depuis la chute de l’URSS : la perte de l’Ukraine pour sa zone d’influence.


Une victoire ?

Le retrait de l’armée russe est présenté dans les médias inféodés au Kremlin comme une « victoire ». Or, malgré les quelques résultats positifs pour le pouvoir russe, on peut dire que la manœuvre de Poutine révèle beaucoup de prudence de la part de Moscou. En quelque sorte, Poutine annonce le retrait russe au moment le plus opportun pour lui, même si ses objectifs ne sont que partiellement remplis.

En effet, même si la Russie aurait pu continuer son intervention quelques mois encore, l’état difficile de l’économie russe, résultat des faibles prix mondiaux du pétrole et les sanctions économiques internationales, devenait de plus en plus un obstacle. Le risque d’embourbement dans le conflit syrien aurait pu amener la Russie à un échec total.

Aussi, même si Poutine est revenu sur le devant de la scène mondiale, il n’a pas encore réussi à faire que l’UE lève les sanctions économiques qui pèsent sur la Russie. Il n’est pas impossible qu’il parvienne à le faire d’ici juillet quand un vote clé aura lieu sur le sujet, mais pour le moment, la Russie n’a même pas pu convaincre un gouvernement de l’UE à rompre l’unanimité exigée pour voter de telles sanctions.

On ne peut pas oublier non plus que l’intervention de la Russie en Syrie a eu comme conséquence la dégradation des relations turco-russes, alors même qu’elle comptait renforcer son partenariat avec la Turquie dans sa lutte contre les puissances occidentales, à travers la construction du pipeline TurkishStream.

On ne peut pas comprendre l’engagement de la Russie en Syrie sans prendre en considération sa position dans l’arène mondiale. L’échec de sa politique en Ukraine a été un coup dur pour le Kremlin, duquel il n’a réussi que partiellement à limiter les dégâts à travers son intervention en Syrie. Les objectifs de Poutine en Syrie, malgré la forme spectaculaire et parfois même audacieuse de son intervention, étaient et sont défensifs : préserver sa zone d’influence face au rapprochement de l’OTAN vers ses frontières. Devenir un « arbitre » dans le dossier syrien, est perçu par les dirigeants russes comme un moyen de négocier la préservation de ses intérêts avec les puissances occidentales. Les prochains mois permettront de juger de la justesse de cette politique.

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