Philippe Alcoy
Au lendemain des terribles attentats à Bruxelles, qui ont couté la
vie à plus de 30 personnes, l’émotion est grande, mais la sidération
est bien moins palpable que lors des attentats de Paris en novembre
dernier. Les Echos dans un édito
parlent même de « terrible routine » pour qualifier les rapides mesures
prises par le gouvernement français. En effet, ces nouveaux attentats
marquent non seulement l’échec du « tout sécuritaire » au niveau
européen mais surtout une limite aux tentatives de récupération de
l’émotion populaire par les différents gouvernements. Au contraire, les
attaques de Bruxelles pourraient avoir comme conséquence
l’approfondissement de la crise sociale et politique de l’UE et dans
différents pays du continent.
En effet, par leur caractère « nouveau » les attaques
sanglantes de novembre dernier à Paris et à Saint-Denis ont fortement
choqué non seulement la population en France mais à travers le continent
et au-delà. Par l’instrumentalisation de l’émotion provoquée par ces
attentats, le gouvernement Hollande-Valls en avait profité pour imposer
des mesures limitant les droits démocratiques fondamentaux en renforçant
l’appareil répressif et le contrôle des citoyens, à commencer par les
musulmans, les étrangers, les habitants des quartiers populaires, les
militants syndicaux et politiques. C’était le « tout sécuritaire » à
l’intérieur des frontières (bien gardées par ailleurs) et les
bombardements à l’extérieur (Syrie) au nom de la soi-disant « lutte
contre le terrorisme ».
Mais les attentats de Bruxelles, en plus d’avoir moins cet effet
tétanisant qui permet aux gouvernements de capitaliser l’émotion et le
choc, marquent l’échec de la politique du « tout sécuritaire », des
contrôles des frontières, de la limitation des libertés élémentaires. La
presse dominante et les gouvernants n’hésitent plus à parler d’une
« longue guerre contre le terrorisme ». Ils avouent qu’on devrait donc
« s’habituer » aux attentats. Comme s’il s’agissait d’une fatalité
inévitable. Comme si les politiques intérieures et extérieures des
puissances impérialistes européennes n’avaient rien à voir.
Au contraire, bien que les effets des « attaques de Bruxelles » ne
soient les mêmes que « les attaques de Paris », les différents
gouvernements européens vont essayer de profiter pour limiter encore
plus les droits démocratiques, pour renforcer les contrôles à la
frontière. Le racisme, la xénophobie et les courants politiques
nationalistes et d’extrême droite vont continuer à monter dans les
sondages, voire faire des bons scores électoraux dans différents pays
centraux du continent qui rentreront dans des périodes électorales
(France, Allemagne, etc.).
Les différents partis au pouvoir continueront d’appliquer des mesures
empruntées aux courants d’extrême droite pour leur couper l’herbe sous
le pied, alors qu’ils sont les premiers responsables de leur monté.
Cependant, cela ne veut pas dire que ces manœuvres électoralistes
marcheront. L’échec du « tout sécuritaire » et des politiques
antérieures peuvent créer de plus en plus de méfiance vis-à-vis des
partis au pouvoir au sein de la population et ainsi rendre plus
difficile d’appliquer leurs politiques. On peut voir cela déjà en France
avec le fiasco de la mesure phare du tandem Hollande-Vals suite aux
attentats de novembre, la déchéance de la nationalité.
Au niveau européen, il est très probable que l’islamophobie et le
renforcement de « l’Europe forteresse » continuent également. Mais cela
pourrait avoir des résultats paradoxaux pour les dirigeants européens.
En effet, en ce moment même l’UE est en train de passer un accord
honteux avec la Turquie du boucher Erdogan pour « rapatrier » en Turquie
les migrants arrivés dans les îles grecques. Le gouvernement turque est
non seulement en train de marchander le financement de cet accord mais
aussi essaye d’obtenir certaines mesures politiques, comme la
possibilité pour les ressortissants turcs de voyager en Europe sans visa
et l’ouverture des négociations d’élargissement de l’UE. La montée de
l’islamophobie et des partis nationalistes et d’extrême droite pourrait
bloquer ces points de négociation et mettre à mal l’accord de la honte
turco-européen.
C’est dans ce contexte de risque de renforcement des tendances
réactionnaires à travers le continent que le mouvement qui commence à se
structurer en France contre la Loi El Khomri, dite « Loi Travail »,
prend une importance particulière. En effet, si le mouvement de la
jeunesse, les travailleurs et les classes populaires imposent une
défaite au gouvernement Hollande-Valls cela pourrait permettre de
l’affaiblir et empêcher d’appliquer de nouvelles attaques et des mesures
contre les libertés démocratiques.
Un fort mouvement contre la loi El Khomri pourrait déboucher
également sur une remise en cause de l’ensemble de la politique
répressive que le gouvernement a mis en place depuis les attentats de
novembre. Ce n’est pas par hasard que dans plusieurs universités en
lutte les assemblées générales votent, outre le retrait sans condition
de la nouvelle loi, la levée de l’état d’urgence, le retrait de la
déchéance de la nationalité et le soutien aux migrants. Le mouvement
ouvrier pourrait aussi se rallier à ces revendications.
Ainsi, redoubler la lutte contre la Loi Travail c’est aussi une façon
de redonner confiance à la jeunesse, aux travailleurs et aux classes
populaires en leurs propres forces et méthodes de lutte ; leur redonner
de l’espoir en se battant pour maintenir les acquis du mouvement
ouvrier, fruits des luttes, la seule façon aussi de préparer les luttes
de demain. Voilà comment on pourra faire reculer efficacement le FN et
toutes les tendances réactionnaires, y compris celles de type islamiste,
dans les quartiers, les usines et les lieux de travail.
Etant donné l’importance de la France dans l’Europe et dans le monde,
un grand mouvement contre cette attaque rétrograde du gouvernement et
surtout une victoire contre Hollande-Valls serait un grand pas en avant
pour commencer à changer la conjoncture sociale et politique à une très
large échelle. Cela signifierait rompre avec le fatalisme de la montée
des tendances ultra-réactionnaires à travers le continent. Cela
permettrait d’améliorer le rapport de forces pour imposer la fin des
mesures xénophobes et les accords honteux entre gouvernements et surtout
l’ouverture des frontières et l’accueil décent de tous les migrants,
quel que soit leur statut. Cette solidarité internationaliste est
fondamentale pour détruire les discours réactionnaires et le pouvoir
d’attraction de courants comme Daesh.
En ce sens, la jeunesse et le mouvement ouvrier en France ont une
grande et grandiose responsabilité en ce moment, qui dépasse largement
les frontières nationales, qui dépasse largement le cadre de la lutte
contre la loi El Khomri. C’est en dernière instance une grande
responsabilité dans la lutte contre la barbarie engendrée par la
décomposition de la société capitaliste. Il est notamment fondamental de
construire un véritable plan de bataille, à commencer, la mobilisation
du 24, puis celle du 31 mars, qui doit être une grève générale qu’on se
doit d’exiger reconductible jusqu’au retrait total de la loi. Cela est
fondamental pour construire ce grand mouvement dont on a tant besoin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire