Philippe Alcoy
Source: Courant Communiste Révolutionnaire du NPA
Durant la nuit du 17 au 18 septembre le rappeur et
militant antifasciste, proche de la coalition de partis
anticapitalistes, ANTARSYA, Pavlos Fyssas (allias “ Killah P. ”) était
assassiné de trois coups de couteau par un membre d’Aube Dorée (Chrysi
Avghi). L’émotion en Grèce et dans d’autres pays d’Europe, est très
grande. Depuis, des milliers de personnes se mobilisent dans les rues
d’Athènes et d’autres villes du pays. En effet, après s’être attaqué à
des travailleurs immigrés et des personnes LGBT, ce parti néofasciste
s’en prend désormais aux militants de la gauche radicale. Peu à peu Aube
Dorée révèle sa vraie nature fascisante.
Le « tournant anticommuniste » des attaques d’Aube Dorée
Pavlos Fyssas regardait un match de foot avec sa
compagne et des amis dans un bar à Amfiali dans le Pirée. Un échange
verbal avec des membres d’Aube Dorée (AD) aurait eu lieu. Des renforts
sont arrivés pour intimider Fyssas et ses amis, qui réussissent
cependant à s’enfuir du bar. Mais plus loin dans la rue ils sont
interceptés par une voiture, de laquelle descend un autre membre d’AD.
Il poignarde Fyssas qui meurt quelques minutes après. Selon des
témoignages, des officiers de police ont regardé la scène sans rien
faire. Malgré tout, le soir même, l’assassin de Fyssas, Yiorgos
Poupakias, est arrêté.
Dans leurs premières déclarations, les responsables de Chrysi Avghi
niaient toute relation avec le meurtrier, en dénonçant une « chasse aux
sorcières » de la part du gouvernement et des médias contre leur parti.
Mais rapidement, des évidences, comme des photos où l’on voyait
l’assassin de Fyssas avec des dirigeants connus du parti, ont été
publiées dans la presse et les réseaux sociaux. Par la suite on a appris
que Yiorgos Pupakias, qui avait perdu son travail de chauffeur routier
il y a deux ans, sa fille, son épouse et un cousin travaillaient tous
pour la section locale d’Aube Dorée. Plus encore, d’après les
déclarations d’un ancien militant d’Aube Dorée de la région, Fyssas
était visé par le groupe en raison de son engagement antifasciste : « Je
sais qu’ils [Aube Dorée] lui en voulaient parce qu’il avait des
chansons antifa. Dans certaines chansons, il injuriait les membres
d’Aube Dorée » [1].
Il s’agit clairement d’un crime politique qui se
produit juste quelques jours après qu’une bande d’AD ait attaqué
sauvagement, avec des barres de fer, des militants du Parti Communiste
Grec (KKE) qui réalisaient un collage. Neuf ont fini à l’hôpital avec
des blessures graves. Il faudrait mentionner également le procès qu’AD
avait lancé contre l’intellectuel trotskyste et dirigeant du Parti
ouvrier révolutionnaire (EEK) d’origine juive, Michel Matsas, pour
« incitation à la violence » lorsque, en 2009, ce parti appelait dans un
tract (!) à se mobiliser contre le groupe fasciste. Même si finalement
Matsas a été acquitté, ce procès a été une preuve de plus du caractère
réactionnaire de la Justice bourgeoise qui a donné suite aux accusations
de cette organisation réactionnaire et criminelle qu’est Chrysi Avghi !
Ce « tournant » d’AD, plus ouvertement
« anticommuniste » (dans le sens large du terme), au moins dans les
attaques physiques, serait une politique consciente de sa direction : « Aujourd’hui,
les néonazis visent un électorat de droite plus classique et ajoutent à
leur rhétorique un discours anticommuniste qui leur permet de se poser
en défenseurs des valeurs traditionnelles de la droite. Ce n’est pas un
hasard s’ils s’en sont pris à des syndicalistes communistes qui
collaient des affiches dans la banlieue athénienne de Pérama, il y a une
semaine, en suivant le même schéma que pour le meurtre de Pavlos
Fyssas, mardi 17 septembre, c’est-à-dire avec un déséquilibre des forces
évident. Ce sont de véritables expéditions punitives, car leurs
adversaires sont toujours moins nombreux et n’ont aucune chance » [2].
Comme on le voit, Aube Dorée n’est pas simplement un parti raciste,
xénophobe et homophobe, c’est avant tout un parti réactionnaire qui tout
en se prétendant « antisystème », défend clairement les intérêts du
patronat.
Cependant, les secteurs les plus concentrés du capital grec n’adoptent pas cette option fascisante que propose Chrysi Avghi
car elle s’avère très dangereuse. En effet, le fascisme, en tant
qu’instrument direct du grand capital pour briser le mouvement ouvrier
avec des méthodes de guerre civile, ne peut avancer et se renforcer que
sur la démoralisation, la confusion et la désorganisation des
travailleurs. Or, rien ne dit que le mouvement ouvrier soit démoralisé
en Grèce, comme les luttes en cours le démontrent. Un autre élément qui
montre la dangerosité pour la bourgeoisie grecque aujourd’hui
d’emprunter une voie fascisante c’est qu’après le meurtre de Fyssas, il y
a eu réaction et mobilisation populaire et les sondages eux-mêmes
montrent que la popularité d’AD a chuté de 1,5%.
Mais ce qui est sûr en tout cas c’est que l’existence
d’un parti ouvertement fascisant qui progresse électoralement, et
peut-être aussi en termes d’influence sur des secteurs de la
petit-bourgeoisie ruinée et même sur certains secteurs du prolétariat,
exerce une pression vers la droite sur l’échiquier politique. En même
temps, en cas d’échec du gouvernement actuel, la bourgeoisie pourrait
avoir une alternative ouvertement réactionnaire. Il n’est pas anodin que
certains secteurs au sein de Nouvelle Démocratie, proches de la droite,
évoquent un éventuel rapprochement avec Aube Dorée. Bien évidemment, en
cas d’approfondissement de la lutte de classe, la bourgeoisie pourrait
aussi adopter une option réformiste/front-populiste où SYRIZA jouerait
un rôle fondamental étant donné son programme de conciliation avec le
capitalisme grec et l’UE. Cette dernière option, ajoutée à la politique
des directions syndicales qui trahissent les luttes et appellent à des
actions sans perspectives, pourrait devenir un élément de démoralisation
important pour le mouvement ouvrier. C’est pour ces raisons qu’une
option révolutionnaire doit commencer à se mettre en place dès
maintenant.
Le gouvernement et le discours sur les « extrêmes »
« Aussi bien l’extrémisme que le populisme ne
parlent ‘au nom du peuple’ que pour détruire l’intérêt public. Tous les
deux parlent ‘au nom de la nation’ au détriment de l’intérêt national.
Tous les deux parlent ‘au nom de la société dans son ensemble’ pour la
soumettre à tout type de tyrans, généralement présentés comme des
‘sauveurs’ » [3].
Ces paroles ont été prononcées un jour avant l’assassinat de Pavlos
Fyssas par Antonis Samaras, premier ministre grec. Il s’agissait ici de
renvoyer dos à dos Aube Dorée et SYRIZA dans la lutte électoraliste que
son parti, Nouvelle Démocratie (ND), mène contre eux. Mais plus
largement c’est une tentative de légitimer la répression contre les
militants syndicaux et d’extrême-gauche, responsables, par leurs grèves
et manifestations, du blocage du bon déroulement des réformes
« indispensables pour la croissance du pays ».
Après le meurtre de Fyssas la presse bourgeoise a
essayé d’effacer tout aspect politique du crime en faisant entendre
qu’il s’agirait d’une dispute liée au football. Mais très rapidement
cette version a été écartée (en partie par les aveux du meurtrier
lui-même) et le gouvernement a dû déclarer hypocritement sa condamnation
de cet « acte de violence ». Cyniquement, tout en menaçant AD de la
déclarer hors la loi ou de suspendre le financement de l’Etat à ce
parti, Samaras développait de façon subtile sa rhétorique
« anti-extrêmes », en déclarant : « les différences politiques
doivent se résoudre à travers du dialogue démocratique et non avec des
désaccords enflammés ou de la violence, d’où qu’elle vienne... » [4].
En outre, alors que les dirigeants de l’Etat
prétendent condamner les crimes d’Aube Dorée, leur police attaque
brutalement les manifestants antifascistes dans les rues. Et cela avec
le soutien ouvert de militants d’AD qui n’hésitent pas à lancer des
pierres et tous types de projectiles contre les manifestants. Contre ces
actes, le comité des médecins de l’hôpital Tzaneio a publié un
communiqué dans lequel il dénonce la violence de la police envers les
manifestants : « hier, le 18 septembre 2013, au soir, après la
manifestation de protestation contre l’assassinat du jeune Pavlos Fyssas
par un membre d’Aube Dorée, le service des urgences du département de
chirurgie a reçu 31 manifestants, tous blessés par coups sur la tête.
Les blessés avaient reçu des coups de bâton, de casques, de boucliesr et
des coups de pied par les groupes DELTA et DIAS. Il y a également des
dénonciations faisant état de pierres qui étaient lancées du côté de la
police contre les manifestants, sur la tête, par des membres d’Aube
Dorée » [5] . On parle également d’un manifestant qui pourrait perdre la vision d’un œil.
Plus largement, la répression de la part du
gouvernement se généralise contre les luttes des travailleurs, en
envoyant les flics pour briser les grèves. Les discours xénophobes venus
aussi bien de ND que du PASOK préparent le terrain pour que des groupes
fascistes se sentent « légitimes » pour lancer leurs attaques. Mais
c’est avant tout la misère engendrée par les attaques contre les
conditions de vie et de travail des couches populaires qui pousse
certains secteurs désespérés du prolétariat et de la petit-bourgeoisie à
voir dans le discours d’Aube Dorée une solution.
Le retour des grèves et des mobilisations massives ?
Pourtant, cette accentuation des attaques de Chrysi Avghi
contre des militants de gauche radicale se produit aussi dans un
contexte où peu à peu les grèves et les mobilisations des masses
semblent revenir sur le devant de la scène. En effet, on avait déjà vu
comment l’annonce faite par le gouvernement de la fermeture subite de la
télévision publique (ERT) avait provoqué un mouvement massif de
solidarité avec les salariés [6].
La victoire, certes très partielle, de ce mouvement contre le plan du
gouvernement, est un encouragement pour la lutte d’autres salariés
menacés par les mesures d’austérité. C’est le cas notamment des
enseignants du secondaire qui, la semaine dernière, ont fait cinq jours
de grève (du 9 au 14 septembre) contre la suppression de postes et
mèneront, encore cette semaine, une grève de 48h (les 23 et 24
septembre).
Le syndicat des employés publics ADEDY a également
décrété une grève de 48h contre les suppressions de postes, mardi et
mercredi. Des discussions sont en cours avec la confédération syndicale
du privé (GSEE) pour appeler à une journée de grève générale mercredi.
D’autres secteurs de fonctionnaires pourraient aussi entrer en lutte,
comme les employés de l’administration des universités grecques dont
plus de 1 600 vont être « suspendus » cette année. Fruit du choc de
l’assassinat de Pavlos Fyssas, mercredi à 18h il y aura un rassemblement
à la place Syntagme à Athènes, à l’appel des syndicats.
Comme on le voit, une certaine pression s’exerce à
partir de la base des syndicats, notamment chez les fonctionnaires
directement visés par la suppression de 4 000 postes d’ici la fin de
l’année et 15 000 postes d’ici 2014, et pousse la bureaucratie à appeler
à des mouvements de grève. Dans ce cadre, les attaques d’AD contre des
militants révèlent au grand public le caractère réactionnaire de ce
parti. En ce sens, le meurtre de Fyssas, ajouté au sentiment
antifasciste d’une grande partie des masses, peut constituer un autre
élément mobilisateur contre les fascistes mais aussi contre les mesures
du gouvernement.
Front unique ouvrier et auto-organisation pour écraser l’extrême droite fascisante avant qu’elle ne se renforce !
La réapparition de groupes fascisants en Grèce
intervient au milieu d’une situation de misère et de dégradation
constante des conditions de vie et de travail de larges couches de la
population. Des secteurs populaires désespérés et démoralisés peuvent
voir dans les discours d’AD les seules solutions « crédibles ». Car Aube
Dorée n’a pas seulement une rhétorique xénophobe, homophobe et
« anticommuniste », elle se présente de façon démagogique aussi comme un
parti « antisystème ». Mais que cela ait un certain écho parmi les
travailleurs est aussi de la responsabilité des directions des
organisations du mouvement ouvrier, à commencer par les bureaucraties
syndicales, qui sont incapables d’offrir une alternative pour les
travailleurs, voire qui sont implicitement complices de l’application
des plans du gouvernement et de la Troïka.
Mais face à une situation qui se dégrade de jour en
jour et où les bandes fascistes se sentent de plus en plus à l’aise pour
s’en prendre aux militants politiques et syndicaux, le mouvement
ouvrier ne peut pas rester paralysé. Il faut que toutes les
organisations qui se revendiquent du mouvement ouvrier travaillent
ensemble pour développer des comités unitaires d’auto-défense dans les
usines, les lieux de travail, les lieux d’étude, les quartiers
populaires afin d’empêcher que des militants, des immigrés et des LGBT
se fassent agresser, voire tuer, par les sbires de Chrysi Avghi.
Il est fondamental que ces comités d’auto-défense se mettent en place
rapidement pour dissoudre les « milices » d’Aube Dorée et les expulser
des quartiers et lieux de travail. Car pour cela les couches populaires
ne peuvent et ne doivent faire aucune confiance à la police, à la
Justice ou à l’Etat bourgeois.
Des partis comme SYRIZA, par son audience médiatique
et la sympathie dont il bénéficie chez les masses, devraient jouer un
rôle très important en ce sens. Le KKE, qui compte avec une influence
non négligeable dans le mouvement syndical, et dont des militants ont
été victimes récemment d’attaques d’AD, a aussi une grande
responsabilité pour contribuer à la formation d’un front unique contre
les partis et groupes fascistes en Grèce. Mais il est à regretter que
jusqu’à présent ce n’ait pas été leur orientation. SYRIZA, via son
porte-parole Alexis Tsipras, semble, d’une part, soucieux de démontrer
que son parti n’est pas « extrémiste » et lance, d’autre part, des
appels aux « citoyens démocratiques » en général (dont des bourgeois) à
« isoler les fascistes ». Le KKE de sont côté a toujours développé une
politique auto-proclamatoire et de division de la classe ouvrière à
travers son courant syndical PAME. Ce parti répète inlassablement que la
solution à la crise pour les masses passe par le renforcement... du
KKE !
Effectivement, on ne peut pas séparer la lutte contre
la progression de courants fascisants des conditions matérielles qui
l’engendrent. C’est pour cela que les comités d’auto-défense des
différentes organisations du mouvement ouvrier devraient avancer aussi
des revendications sociales contre les attaques du gouvernement et de la
Troïka, tout en soutenant les luttes en cours. Aujourd’hui le soutien
massif à la lutte des professeurs et des fonctionnaires contre la
suppression des postes, à l’image de la solidarité populaire avec
l’ERT, est un élément déterminant dans la situation. Une victoire de ces
secteurs en lutte contre le gouvernement donnerait du moral et de la
confiance à la classe ouvrière dans son ensemble, ainsi qu’aux couches
populaires. Sur cette base, les secteurs les plus actifs du mouvement
contre l’austérité pourraient attirer les plus désespérés qui voient
dans le discours « réactionnaire radical » d’Aube Dorée la seule
solution plausible dans la situation actuelle. En même temps, le Front
Unique des organisations de la classe ouvrière fondé sur
l’auto-organisation est fondamental pour que les révolutionnaires
puissent intervenir et proposer des revendications transitoires face à
la crise. C’est une façon non seulement d’unifier la classe ouvrière et
les couches populaires, mais aussi de dégager un secteur révolutionnaire
et commencer à disputer la direction du mouvement des travailleurs à la
bureaucratie syndicale, aux directions réformistes liées à SYRIZA et
aux néostaliniens du KKE. C’est de cette manière que, face à la crise,
on pourra enfin voir se développer, pour et par les travailleurs, une
alternative révolutionnaire et socialiste.
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[1] Alencontre.org, “ Grèce : les révélations d’un ancien membre d’Aube Dorée ”, 20/9/2013.
[2] Le Monde, “ En Grèce, la violence d’Aube dorée "relève d’une tactique politique" ”, 19/9/2013.
[3] EnetEnglish.gr, “ Samaras : this is not the time for internal strife ”, 19/9/2013.
[4] Idem.
[5] Okeanews, “Un comité de médecins dénonce les dernières violences policières en Grèce”, 20/9/2013.
[6] Voir : Ph. Alcoy, “ Le gouvernement grec ferme la radio-télévision publique et déclenche la mobilisation populaire ” (http://www.ccr4.org/Le-gouvernement...) ; et Ph. Alcoy, “ Grèce : une première victoire mais il faut rester sur ses gardes ! ” (http://www.ccr4.org/Grece-une-premi...).
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