27.6.12

Après les élections du 17 juin en Grèce


Pour faire plier le gouvernement Samaras aux ordres de la Troïka, la solution ne passe pas par le Parlement. Il faut reprendre le chemin des luttes et souder les rangs du monde du travail et de la jeunesse !


 (Fotis Kouvélis (DIMAR), Antonis Samaras (ND) et Angelos Venizelos (PASOK)

Philippe Alcoy

C’est finalement le parti de centre-droit, Nouvelle Démocratie (ND), d’Antonis Samaras, qui a remporté les élections législatives du 17 juin dernier en Grèce. Une victoire très serrée, avec 29,6% des voix pour ND contre 26,8% pour SYRIZA, la « coalition de la gauche radicale » emmenée par Alexis Tsipras.


Un « étrange » gouvernement de coalition ND-PASOK-DIMAR


La loi électorale complètement antidémocratique échafaudée il y a quelques années par les sociaux-démocrates grecs du PASOK octroie un « bonus » de 50 sièges au parti arrivé en tête du scrutin. ND obtient donc 129 députés sur 300, contre 71 pour SYRIZA. Pour former son gouvernement aux ordres de la Troïka (UE-FMI-BCE) et atteindre une majorité de voix à l’Assemblée, Samaras a donc dû faire appel aux députés du PASOK (12% des voix, 33 députés) et à ceux de la Gauche Démocratique (DIMAR, rupture droitière de SYRIZA qui a obtenu 6% des voix, 17 députés et qui à l‘origine se disait opposée à l’austérité et aux mémorandums). « Pour ceux qui ne sont pas trop familiarisés avec la situation en Grèce, souligne un analyste, cela pourrait avoir l’air d’une coalition étrange, mais ce n’est pas le cas ; ces derniers mois ces trois partis ont formé un groupe informel centré autour de l’idée que la Grèce devait rester dans la zone euro à tout prix, tout en s’efforçant de réformer les mémorandums négociés avec la BCE et le FMI ». En ce sens, « les électeurs de ND et ses partenaires cherchaient de la stabilité, en craignant la sortie de la Grèce de la zone euro et ayant une forte aversion pour la rhétorique gauchiste de SYRIZA » [1].

Le scrutin du 6 mai avait fait apparaitre, sur le terrain électoral, l’expression concrète de l’effondrement du régime politique instauré après la chute de la dictature de colonels en 1974. Lors de ces élections anticipées, mettant un terme au gouvernement technocratiques de Lucas Papadémos, les piliers du bipartisme grec, ND et PASOK, n’avaient obtenu que 32% des suffrages exprimées. Aucune majorité stable n’avait pu se dégager du résultat électoral, entraînant un nouveau scrutin. Le 17 juin, les secteurs le plus conservateurs de la société ont fait bloc, notamment autour de ND. Les partis pro-austérité, piliers du bipartisme, ont finalement recueilli 42% des voix exprimées (48% si l’on ajoute maintenant les voix pour DIMAR). Ainsi, la bourgeoisie et la Troïka ont réussi à trouver, au milieu de la débâcle, un certain « équilibre », certes très instable. Combien de temps celui-ci va-t-il durer ? Cela va dépendre du développement de la crise économique internationale, de ses répercussions dans la zone euro, de l’évolution de la crise espagnole et italienne et surtout du rythme de la lutte de classes.

Tout ceci ne veut pas dire que la bourgeoisie grecque a déjà réussi à reconstituer une nouvelle forme stable de bipartisme appuyé, d’un côté, sur les partis pro-austérité et, de l’autre, SYRIZA. En effet, même si la coalition de la « gauche radicale » modérait de plus en plus son discours en se présentant comme une « gauche responsable » à mesure où les intentions de vote dans les sondages grimpaient, en vue du scrutin du 17 [2], la bourgeoisie nationale comme ses « partenaires » des marchés financiers ne privilégiaient en aucun cas la coalition de Tsipras comme une option « valable et crédible » (en tout cas pour le moment). Il faudrait ajouter à cela le taux d’abstention record de 38% qui est également un signe de la perte de légitimité du régime parmi les masses.

Le score des néo-nazis, une question inquiétante pour le mouvement ouvrier


L’un des éléments qui devraient attirer le plus l’attention des travailleurs et des révolutionnaires c’est le score de l’extrême-droite incarnée par les Grecs Indépendants (rupture souverainiste et xénophobe de ND) ainsi que Aube Dorée (Chryssi Avghi), un courant ouvertement néo-nazi. Même si les Grecs Indépendants ont perdu un peu de terrain passant de 10% des voix en mai à 7,5%, au bénéfice de ND, Chryssi Avghi s’est maintenu aux alentours de 7% des voix. C’est un résultat trop élevé pour un groupe semi-mafieux au discours explicitement raciste et xénophobe dont la cible privilégiée, pour le moment, sont les immigrés (avec ou sans papiers). Son groupe de 18 députés au Parlement lui permettra d’avoir une tribune idéale pour répandre son poison ultraréactionnaire qui cherche à diviser les exploités entre les (bons) nationaux et les « immigrés délinquants ». Aucun doute que la bourgeoisie n’hésitera pas une seconde, en cas de besoin, à utiliser les bandes fascistes d’Aube Dorée contre l’ensemble de mouvement ouvrier, et non seulement contre les travailleurs immigrés et certains militants de gauche comme c’est le cas actuellement.

Cette montée des idées d’extrême droite répond essentiellement à une situation de crise économique et sociale profonde, au milieu d’une crise capitaliste globale, qui ébranle la société grecque. Néanmoins, dans ce contexte, les partis du « centre » avec leurs discours de plus en plus xénophobes jouent un rôle néfaste en légitimant les idées les plus réactionnaires. Ainsi, les discours des candidats de Chryssi Avghi promettant, en cas de rentrer au Parlement, de « mener des raids dans les hôpitaux et jardins d’enfants et jeter les immigrés et leurs enfants dans la rue afin que les Grecs puissent prendre leur place » [3], vont dans le sens des discours que tiennent les partis institutionnels. En effet, concernant la question de l’immigration « il est difficile de distinguer entre la rhétorique dominante qui parle de ‘l’invasion des immigrés illégaux’ et le slogan ‘extrémiste’ de l’Aube Dorée : ‘les immigrés, dehors de la Grèce’. Dans ce contexte, Aube Dorée semble simplement vouloir garantir la ‘loi et de l’ordre’ dans les rues d’Athènes, ce que d’autres forces de droite souhaitent aussi. Ce n’est pas un hasard si Aube Dorée jouit d’une grande popularité parmi les forces de police. Lors d’une émission populaire de télé, au début du mois, Ilias Kasidiaris, un député d’Aube Dorée, a attaqué physiquement deux députées de gauche, et certains ont crû que cet acte allait dissuader ceux qui avaient voté pour l’Aube Dorée en mai de le faire à nouveau. Mais Kasidiaris a été réélu, et beaucoup ont loué son acte comme une attaque contre l’ordre politique corrompu » [4].

Mais Aube Dorée ne s’arrête pas aux discours et ne va pas se limiter au simple « jeu parlementaire ». D’ores et déjà, ses militants mènent des attaques, notamment contre les travailleurs immigrés. C’est pour cela qu’il est urgent que les organisations du mouvement ouvrier, syndicats, partis et mouvements antifascistes créent des organes d’auto-défense, auto-organisés, liant la lutte contre les agressions des bandes fascistes et les discours xénophobes à des revendications pour des mesures d’urgence et transitoires contre les effets de la crise et les plans d’austérité. Le terreau des fascistes, c’est la misère, conséquence de la crise du capitalisme. Pour les combattre, il faut que les travailleurs, grecs et étrangers, la jeunesse radicalisée et les militants révolutionnaires commencent par lutter contre les divisions, non moins réactionnaires, imposées au mouvement ouvrier par les bureaucraties syndicales et leurs complices réformistes, à travers la fragmentation syndicale dans les grèves entre les deux confédérations (ADEDY et GSEE) et le courant syndical du PC grec (PAME), qui refuse toute mobilisation commune avec des travailleurs qui ne soient pas sous son contrôle. Aussi bien dans les entreprises que dans les lieux d’étude et dans les quartiers populaires il faut imposer le front unique ouvrier. Ce n’est ni en appelant à l’aide la police de l’Etat bourgeois, ni en exigeant que la justice de cet Etat même « interdise » les groupes fascistes que le prolétariat s’en débarrassera. Encore une fois, il ne faut faire aucune confiance aux institutions de l’Etat des capitalistes pour lutter contre le fascisme. Seule l’unité des rangs des exploités et des opprimés et l’auto-défense permettront de combattre effectivement les bandes fascistes qui, en cas de dégradation ultérieure de la situation et de retour des travailleurs dans la rue, pourraient se mettre au service du grand capital.

SYRIZA, une « opposition responsable » ?


SYRIZA n’est pas arrivée en première position comme le prédisaient certains sondages. La formation de Tsipras sort tout de même « gagnante » de ces élections. En effet, son programme électoral était impossible à appliquer. Tout en se disant contre les mesures d’austérité et les mémorandums (quoiqu’au fil des jours SYRIZA avait évolué vers une position « négociatrice » avec la Troïka), Tsipras se prononçait pour le maintien de la Grèce dans la zone euro et dans l’UE, sans pour autant que la bourgeoisie grecque et le créanciers internationaux ne fassent le pari d’un gouvernement de front-populaire dirigé par SYRIZA pour calmer la situation. Une fraction de la direction de SYRIZA était elle-même consciente de cette contradiction insoutenable. Ainsi, quelques jours à peine avant les élections, Nikos Hanias, le candidat de SYRIZA à Corinthe, dans la Péloponnèse, a présenté sa démission car, disait-il, « si SYRIZA venait à gouverner ne serait-ce qu’une heure, ce serait catastrophique pour la Grèce et pour nos enfants » [5].

Dans ce contexte, une victoire de SYRIZA aurait sûrement prolongé la situation de blocage et empêché la formation d’un gouvernement, accentuant la situation d’instabilité, ce que les dirigeants de SYRIZA voulaient éviter aussi. En ce sens, Tsipras a déclaré « que l’absence de gouvernement en Grèce ne pouvait pas continuer. (…) Le pays doit avoir un gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche  » [6]. Ainsi, le fait que ND soit arrivée en première position et ait pu former un gouvernement avec ses partenaires laisse SYRIZA dans une situation « commode », comme principal représentant de l’opposition de gauche dans le Parlement [7], où le Parti Communiste (KKE) a fortement reculé en partie par sa politique sectaire et autoproclamatoire.

Mais alors que le nouveau gouvernement dirigé par ND s’inscrira dans la pleine continuité des attaques contre les conditions de vie des travailleurs et des couches populaires, Tsipras ne fait désormais plus mystère de ce qui pouvait déjà se deviner pendant la campagne. Il a bien l’intention de contrôler, contenir et canaliser les luttes et la colère qui s’expriment dans les entreprises et dans la rue sur le terrain institutionnel et parlementaire. Dès la proclamation des résultats, Tsipras déclarait ainsi « SYRIZA ne va pas appeler ses sympathisants à manifester dans les rues contre les mesures d’austérité (…) [Elle] va focaliser son énergie dans la création d’un ‘bouclier de protection pour ceux qui sont sur les marges. La solidarité et la résistance sont toutes deux importantes, mais en ce moment la solidarité, c’est le plus important. Notre rôle est d’être à l’intérieur et à l’extérieur du Parlement, soutenant les mesures positives et en condamnant celles qui seront négatives, tout en proposant des alternatives. La Grèce a besoin de leaders courageux et décidés, capables d’utiliser la colère du peuple… comme une arme pour négocier pour le bien du pays  » [8].

La situation, en Grèce, est loin d’être stabilisée cependant…


Loin d’utiliser ses sièges de députés comme une tribune pour les travailleurs et les couches populaires, on voit que SYRIZA prétend les utiliser comme un frein pour la mobilisation des masses. Au moment où les attaques de la Troïka et ses complices locaux vont continuer, il faut au contraire se préparer pour les combattre dans les rues, à travers les grèves, les occupations et les mobilisations dans les usines, les quartiers, les universités et les lycées. Il n’est pas exclu que dans le cas d’un approfondissement de la lutte de classes, le gouvernement actuel devienne de plus en plus bonapartiste voire que les capitalistes décident de faire sauter les mécanismes de la démocratie bourgeoise en augmentant la répression contre les exploités, sans hésiter à faire appel aux bandes de criminels fascistes. Dans cette perspective, la politique de canalisation des luttes dans le « jeu parlementaire » entreprise par Tsipras ne peut être que catastrophique pour le mouvement ouvrier. Contre une telle « opposition de gauche » qui se veut force de proposition d’un gouvernement réactionnaire aux ordres de la Troïka, il faut préparer la mobilisation de l’ensemble des travailleurs derrière un programme de mesures d’urgence et transitoires pour faire plier la Troïka et ses complices. C’est en ce sens aussi que la solidarité avec les travailleurs grecs et la jeunesse, en France, est décisive. Les avancées ou les reculs de la situation en Grèce aura une influence décisive sur notre capacité, ici, à résister contre la politique patronale et l’austérité que nous promet le gouvernement Hollande-Ayrault, le même qui impose des mémorandums brutaux au peuple grec avec Berlin et Bruxelles.

25/06/12

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[1] Kostis Karpozilos, « The Forces of “Stability” Win in Greece ; Social Disintegration Continues », 22/6/2012 (http://dissentmagazine.org/atw.php?id=786).
[2] Voir : « Les révolutionnaires face à SYRIZA » sur http://www.ccr4.org/Les-revolutionnaires-face-a-SYRIZA.
[3] The Guardian, “Golden Dawn threatens hospital raids against immigrants in Greece”, 12/6/2012.
[4] Kostis Karpozilos, article déjà cité.
[5] Greek Reporter, « SYRIZA Former Candidate : “If We Governed for Only One Hour, It Would be a Catastrophe” », 12/6/2012(http://greece.greekreporter.com/2012/06/12/syriza-former-candidate-if-we-governed-for-1-hour-only-this-would-be-a-catastrophe/).
[6] The Guardian, art. cit.
[7] La coalition de groupes « anticapitalistes », ANTARSYA, a obtenu 0,33% des voix. Un recul donc par rapport aux élections du 6 mai où celle-ci avait obtenu 1,19%. Malgré le fait de défendre des points qui allaient à l’encontre de ceux défendus par SYRIZA (comme la nationalisation des banques et des entreprises stratégiques sous contrôle ouvrier, l’annulation des mémorandums et la rupture avec l’UE et la zone euro, entre autres), ANTARSYA a sans doute subi la pression du « vote utile » en faveur de SYRIZA.
[8] Reuters, « Tsipras - Greek rage to force bailout changes  », 19/6/2012 (http://uk.reuters.com/article/2012/06/19/uk-greece-election-tsipras-idUKBRE85I17E20120619).

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