17.10.11

Hongrie : le travail obligatoire imposé aux Rroms est une attaque contre tous les travailleurs !


Il y a quelques jours en France on découvrait, à travers des reportages réalisés par des chaînes de télévision françaises, le travail obligatoire imposé à la population Rrom au chômage dans le village hongrois de Gyöngyöspata (à 70Km au Nord-est de Budapest ; 2800 habitants). Il s’agit effectivement du même village, dirigé par un maire appartenant au parti fascisant Jobbik, qui il y a quelques mois était devenu tristement célèbre pour des défilés de milices proto-fascistes et la fuite en urgence de près de 300 femmes et enfants rroms vers Budapest devant la tenue imminente d’un « camp d’entrainement » organisé par l’une d’entre elles, Vederö (liée au Jobbik).




 

Ce dispositif de travail obligatoire, qui s’applique officiellement à tous les chômeurs, dans les faits ne s’impose qu’aux travailleurs Rroms. En effet, pour continuer à toucher leurs allocations les travailleurs au chômage doivent réaliser des travaux d’intérêt public comme travailler sur des sites de construction, nettoyer les rues ou entretenir les parcs et forêts. Les conditions de travail sont très dures. Comme en témoigne le dirigeant du « Mouvement des droits civiques hongrois », Sandor Szöke : « avant d’arriver sur le lieu de travail, les personnes doivent parcourir environ 7,5 km. Elles enchaînent dix heures de travail sur la journée. Elles nettoient un terrain boisé en vue de la construction de résidences pour la classe aisée. Les outils semblent tout droit sortis du XIXème siècle : on travaille à la faucille ! Il n’y a rien à disposition : pas d’eau, pas de toilettes, pas d’abri contre le soleil, pas de protection contre les guêpes... C’est humiliant. Le dirigeant du chantier, du parti d’extrême-droite Jobbik, n’a pas hésité à brusquer une dame de 58 ans à demi-paralysée pour qu’elle aille plus vite. La paye est de 180 euros bruts mensuels, pour un travail qui aurait pu être fini en une après-midi par des tracteurs  » (La Tribune de Genève, « La Hongrie met en place des camps de travail obligatoire », 1/10/2011).


Cette mesure raciste et anti-ouvrière s’appuie sur les préjugés les plus rétrogrades d’une partie de la population de Gyöngyöspata, mais qui sont répandus dans toute la Hongrie (et ailleurs en Europe), selon lesquels les Rroms seraient « par nature » des « fainéants », des « voleurs » et des « fauteurs de trouble ». En effet, « un représentant officiel du Jobbik à Gyöngyöspata aurait affirmé que la population non rom soutenait cette mesure, étant donné que les vols avaient diminué  » (Euractiv.com, « La Hongrie met les Roms au travail », 21/9/2011). Cependant, en même temps une commerçante de Gyöngyöspata déclarait : « on n’a jamais eu vraiment de problèmes avec les Roms. [Certains] disent qu’il y a eu des vols de poules dans leur quartier, mais ça s’arrête la (…) Le problème, c’est l’emploi. Depuis vingt et un ans, la sucrerie a été privatisée, puis fermée. Il n’y a plus de travail pour les Hongrois, alors pour les Roms… » (L’Humanité, « La marche des milices hongroises sur Gyöngyöspata », 4/10/2011).

Même si pour l’instant cette mesure affecte principalement la population Rrom, elle ne tardera pas à toucher l’ensemble des travailleurs au chômage de Hongrie. Gyöngyöspata n’est qu’une « expérience de laboratoire » prête à s’appliquer sur tout le territoire. Le premier ministre Viktor Orban, de la droite nationaliste-populiste (Fidezs), l’a dit lui-même il y a quelques mois : « La Hongrie ne versera plus ‘d’indemnités à des gens capables de travailler, alors qu’il y a tant de travail à faire’  » (Idem). Cela veut clairement dire que derrière ce nationalisme nauséabond, qui vise à « punir » et humilier la population Rrom, se cache une attaque profonde contre l’ensemble du prolétariat de Hongrie. C’est pour cela que le mouvement des travailleurs de Hongrie, qu’ils soient hongrois ou rroms, doit se mettre à la tête de la lutte contre ces mesures réactionnaires.

La crise économique et un gouvernement de plus en plus bonapartiste 

 

Pour bien comprendre la situation, il ne faut pas perdre de vue que cette attaque contre les travailleuses et travailleurs au chômage s’inscrit dans le cadre d’un plan d’austérité très dur mis en place par un gouvernement de droite nationaliste de plus en plus autoritaire.

En effet, la Hongrie est l’un des pays d’Europe les plus touchés par la crise économique mondiale. En 2009 le PIB a chuté de 6% et le taux de chômage officiel est passé de 7% en 2008 à près de 11% actuellement. L’impact de la crise a été tel qu’en 2008 la Hongrie a dû demander « l’aide » du FMI et de l’UE qui lui ont concédé un prêt de 20 milliards d’euros à condition d’appliquer des « réductions drastiques de dépenses étatiques ». Autrement dit, en échange de dures attaques contre les conditions de vie et de travail des travailleurs et des couches populaires.

En avril 2010, après huit ans de gouvernement d’un parti socialiste (MSZDP) complètement discrédité et haï par la population à cause des différents affaires de corruption [1], des scandales politiques [2] et des premières mesures d’austérité prises après l’accord avec le FMI et l’UE, la droite populiste, le Fidesz de V. Orban, gagnait les élections avec une écrasante majorité de 2/3 au parlement (263 sièges sur un total de 386). En même temps, le parti xénophobe et proto-fasciste Jobbik entrait pour la première fois au parlement avec 47 sièges (obtenant huit fois plus de voix qu’aux élections de 2006).

Avec une telle majorité V. Orban avait les mains libres pour gouverner tout seul, imposer n’importe quelle loi, y compris modifier la constitution à sa guise. Même si pendant la campagne Viktor Orban avait fait de la démagogie en promettant de baisser les impôts, de renégocier les conditions du prêt du FMI et de l’UE, de relancer l’investissement de l’Etat, etc., dès les premiers jours de son gouvernement il a abandonné ce discours pour devenir l’apôtre de la « rupture », du « renouveau de l’Etat » et de « l’austérité » pour « relancer l’économie ». Ainsi, en juillet 2010 le ministre de l’économie György Matolcsy déclarait : « Le gouvernement hongrois poursuivra la politique des réformes structurelles dans les domaines qualifiés comme important par nos partenaires tels que ceux du système fiscal, de la santé publique et du transport en commun (…) Le but du gouvernement est que la Hongrie devienne le plus rapidement possible un des pays les plus compétitifs et stables de l’Europe centrale  » (LesEchos.fr, « Le gouvernement hongrois se pliera aux exigences de réformes du FMI et l’UE », 18/7/2010).


Comme on peut le constater, la « rupture » et le « renouveau » ne voulaient pas dire autre chose que, d’une part, des attaques contre les travailleurs et, d’autre part, de la « compétitivité » et de la « stabilité » pour les capitalistes. C’est précisément dans ce cadre que le gouvernement a entrepris un tournant de plus en plus bonapartiste. Tout d’abord il a commencé par créer une ambiance « d’unité nationale » qui allait même au-delà des frontières hongroises. En effet, une des rares « promesses électorales » tenue immédiatement a été la facilitation de l’obtention de la nationalité hongroise et l’octroi du droit de vote pour les « Hongrois de souche » vivant dans les pays limitrophes. Cela a créé des tensions notamment avec la Slovaquie où vit une importante minorité Hongroise dans le Sud du pays, proche de la frontière avec la Hongrie ; mais aussi avec la Roumanie où récemment un nouveau parti disant « défendre les intérêts de la minorité hongroise » a été créé sous la tutelle de V. Orban. C’était une façon pour lui de se forger une certaine « base électorale » chez les « Hongrois de l’extérieur ».

Ensuite, profitant de son écrasante majorité au parlement, Orban s’est occupé d’éliminer ou de neutraliser toute opposition au sein de l’appareil d’Etat. Par exemple, « en réaction à l’invalidation par la Cour constitutionnelle d’une mesure budgétaire phare du premier ministre fin octobre, les députés ont purement et simplement interdit à la Cour de se prononcer sur tous les textes concernant le budget, les taxes et les impôts, sauf si ces derniers touchent à l’exécution de traités internationaux ou aux droits fondamentaux. Petit à petit, Viktor Orban s’emploie à placer des fidèles à tous les postes clés de l’Etat : présidence de la République, présidence de la Cour des comptes, procureur général… » (LeMonde.fr, « Une Hongrie en pleine dérive autoritaire prend la tête de l’Europe », 31/12/2010). Fin décembre 2010, le parlement votait une loi imposant le contrôle par le gouvernement sur la presse : dorénavant un « Conseil des Médias » composé de cinq membres, tous du Fidesz de V. Orban, peut imposer des amendes allant jusqu’à 90 000 euros pour la presse écrite ou en ligne, et 720 000 euros pour les chaînes de télévision, si elles ne respectent pas « l’équilibre politique » ou « entravent la dignité humaine »… des notions qui ne sont évidemment pas définies par cette loi.

Mais l’ « œuvre majeure » qui exprime ce tournant du régime politique en Hongrie est l’adoption en avril dernier d’une nouvelle constitution entièrement écrite par le Fidesz. Dans celle-ci on trouve des références à Dieu, à la famille traditionnelle [3] et aux racines chrétiennes de la « Hongrie millénaire », ainsi que des ambiguïtés quant à la possibilité d’interdire l’avortement [4] ou de ne pas sanctionner les discriminations envers des homosexuels et les minorités nationales comme les Rroms. Mais également, d’une part, on y octroie le pouvoir au « conseil monétaire de la banque centrale, qui sera composé de membres proches de Viktor Orban, (…) le droit de dissoudre le Parlement si le budget n’est pas adopté conformément aux normes du nouveau texte constitutionnel. Ainsi, même s’il se trouve dans l’opposition après les élections législatives de 2014, Viktor Orban pourra, via le conseil monétaire, dissoudre le Parlement  » (RFI.fr, « La Hongrie adopte une nouvelle Constitution ultra-conservatrice », 18/4/2011) ; et d’autre part, on limite le pouvoir de la Cour Constitutionnelle en ne lui permettant d’annuler les lois votées au parlement concernant le budget, la fiscalité ou les douanes que si elles violent le droit à la vie, la dignité humaine ou certaines libertés individuelles.

De cette façon le gouvernement de Viktor Orban s’assure une très large liberté pour imposer tous types d’attaques contre les travailleurs et les couches populaires, et pour « arbitrer » entre les différentes classes et fractions de classe [5], sans être gêné par les quelques mécanismes de soi-disant « contre-pouvoir » qu’offre le cadre légal de l’Etat bourgeois. C’est d’ailleurs ce que reconnait le journal conservateur allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung qui considère que « malgré ses défauts, cette Constitution fournit à Viktor Orbán "les bases d’un gouvernement plus efficace"  » (Presseurop.eu, « La Constitution qui inquiète l’Europe », 19/4/2011).

Contre les politiques racistes ! Contre les plans d’austérité !

 


C’est dans ce contexte d’une plus grande concentration du pouvoir dans les mains de la droite populiste et particulièrement de V. Orban, qu’ont commencé à être appliquées des mesures d’austérité très dures contre les travailleurs. Par exemple, dans le cadre du plan d’austérité dit « Plan Széll Kalman », présenté par le gouvernement en mars dernier, en plus des coupes dans le budget de la santé et du gel des salaires des fonctionnaires, on annonçait qu’à partir de janvier 2012 « les allocations chômage ne [seraient] versées plus que 3 mois contre 9 actuellement (…) Le premier mois de chômage sera indemnisé à hauteur de 90% du salaire net, puis les second et troisième à hauteur de 80% et 70%. Une décision que le ministre [de l’économie] a justifié par le fait que ces allocations "n’incitent pas à revenir sur le marché du travail". Concrètement, une personne employée au salaire net de 80.000 HUF (300 euros) mise au chômage ne touchera plus que 56.000 HUF (210 euros) au troisième et dernier mois de ses allocations, après quoi elle devra se contenter de 28.500 forint (100 euros) de revenu pour survivre » (Hu-lala.org, « Les allocations chômage réduites de 9 à 3 mois », 14/4/2011). D’autres mesures ont aussi été annoncées comme la fin des « retraites anticipées » avec effet rétroactif. Autrement dit, on pourra remettre au travail des personnes ayant déjà pris leur retraite anticipée quelques années auparavant. Cette mesure pourrait toucher entre 100 000 et 150 000 personnes.

En juillet le gouvernement a présenté également un projet de réforme du Code du Travail où l’on donne la possibilité au patron « de licencier plus tôt ses employés placés sous la période de protection. Ainsi, ils pourraient obtenir l’annonce de leur licenciement durant cette période. Cela concerne notamment les femmes enceintes ou en congé maternité, les employés en congé maladie de longue durée, ceux soignant un parent à domicile  ». Aussi, « le gouvernement souhaite introduire le licenciement immédiat à la place du licenciement exceptionnel en vigueur jusqu’ici. Cela entraînerait l’annulation du droit de défense de l’employé, contre les objections relatives à son travail et son comportement avant la résiliation du contrat de travail. De plus, même si le tribunal constate que le contrat de travail a été résilié illégalement, l’employeur ne serait plus obligé de verser les salaires restants car la relation de travail aurait cessé au moment de la déclaration de l’employeur, sans que le jugement du tribunal devienne exécutoire » (Le Journal Francophone de Budapest, « Adieu aux droits des employés ! », 5/9/2011).

On comprend alors que les mesures racistes contre les chômeurs Rroms prises par le maire Jobbik du petit village de Gyöngyöspata rentrent tout à fait dans la dynamique réactionnaire imprimée en Hongrie par le gouvernement de l’ex « dissident » anti-communiste devenu national-populiste, Viktor Orban. D’ailleurs, comme on le disait précédemment, il compte déjà reprendre l’idée du maire Jobbik du travail obligatoire pour les chômeurs et l’appliquer à tout le pays. Un projet qui, selon le gouvernement lui-même, affectera entre 300 000 et 400 000 travailleurs (dont 100 000 travailleurs Rroms).

Cette attaque n’est donc pas seulement dirigée contre les Rroms mais contre tous les travailleurs en Hongrie. Il est alors indispensable qu’en premier lieu le mouvement ouvrier de Hongrie se mette à la tête de la lutte contre ces attaques racistes du gouvernement Hongrois et de ses complices néo-fascistes du Jobbik, mais aussi contre tous les « plans d’austérité » dictés par le FMI et les impérialistes de l’UE. En ce sens, la manifestation du samedi 1er octobre, qui a rassemblé 50 000 personnes à Budapest, est un premier pas. Et cela malgré la politique traitresse des bureaucraties syndicales qui demandent simplement à ce que le gouvernement soit plus « ouvert au dialogue », sans appeler ni organiser une grève générale, seule capable de tordre le bras au gouvernement.

Mais en ces temps de crise capitaliste mondiale, la lutte contre les plans d’austérité imposés aux travailleurs et aux couches populaires des pays comme la Grèce ou la Hongrie n’est pas seulement l’affaire des masses de ces pays. C’est aussi l’affaire de tous les travailleurs du continent. En France par exemple, il y a quelques mois seulement Laurent Wauquiez déclarait que les personnes bénéficiant du RSA devraient être obligées d’effectuer 5 heures de travail gratuites par semaine, ce qui a été repris dans un rapport remis à N. Sarkozy il y a quelques jours par Marc-Philippe Daubresse. Parallèlement, la dégradation des conditions de vie et de travail dans les pays de l’arrière-cour de l’UE touche aussi les travailleurs des pays impérialistes d’Europe qui sont victimes des fermetures d’usines pour cause de délocalisation vers ces pays où la main d’œuvre est plus exploitée. Par conséquent, face aux « plans d’austérité » des capitalistes et de leurs gouvernements il n’y a pas de raccourcis possibles : seule la lutte des travailleurs, de la jeunesse et des couches opprimées de la société et la solidarité internationaliste des travailleurs de l’Europe pourront les arrêter et poser les bases d’une issue révolutionnaire et socialiste à la crise !
12/10/2011.

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[1] « Le dernier scandale en date remonte au 19 mai 2010. Des représentants du Fidesz ont diffusé une vidéo à la municipalité du 11e arrondissement de Budapest montrant Janos Wieszt, ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie de la capitale, recevoir une enveloppe de 2 millions de forints (environ 7.400 euros), en 2007. Ce dernier a admis figurer dans la vidéo mais prétend ne pas avoir compris que c’était un pot-de-vin » (Regard-est.com, La « Révolution des deux tiers » en Hongrie à l’épreuve de la réalité », 15/6/2010).
[2] En septembre 2006, un mois après son élection, l’ex-premier ministre Ferenc Gyurcsány apparaissait sur une vidéo avouant que son parti avait « menti du matin au soir » lors de la campagne électorale. Cela avait déclenché des émeutes dans le pays.
[3] On peut y lire par exemple : « La Constitution protège l’institution du mariage, considéré comme l’union conjugale entre un homme et une femme, et l’institution de la famille ».
[4] Il y est également écrit « La vie du fœtus sera protégée depuis la conception ».
[5] Il y a quelques semaines, le gouvernement a décidé de décharger une partie de la dette des foyers hongrois endettés en devises étrangères, en particulier en franc suisse, sur le secteur bancaire (notamment sur les banques autrichiennes). Selon cette nouvelle loi, les Hongrois endettés en devises (environ 15 milliards d’euros au total) bénéficieront d’un taux de change « préférentiel » pour rembourser l’argent emprunté : 180 Forints (HUF) au lieu de 234 pour un franc suisse (CHF) et 250 HUF au lieu de 280 pour un euro. La loi a été votée à cause de la valorisation vertigineuse du franc suisse (25% en 6 mois) et la perte estimée pour les banques serait proche de 1,5 milliards d’euros. Cependant, cette mesure ne favorise que la petite partie des débiteurs aisés possédant une épargne à la hauteur de sa dette puisqu’une fois faite la demande de remboursement à taux préférentiel, le débiteur n’a que 60 jours pour payer la totalité de sa dette.

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