Par Titin Moreira
« Huit ans ont passé, nous ne voulons plus de bluff, nous voulons l’expropriation », chantaient les ouvriers céramistes de Zanon, accompagnés d’un important soutien de fonctionnaires, d’enseignants, de travailleurs de la santé, d’organisations sociales et de partis de gauche, en marchant vers la Législature de Neuquén, où l’on allait traiter la loi sur l’expropriation de l’usine.
Le vent patagonique soufflait froid et fort, en tournant insupportable l’attente devant le congrès de la province. Les céramistes, qui huit ans plus tôt ont osé et ont occupé l’usine, l’ont mise à produire et ont fait que leur épopée reste imprimée dans les meilleures pages de l’histoire ouvrière de notre pays, chantaient avec fierté « aquí están, estos son, los obreros de Zanon »[1] jusqu’à en perdre la voix.
Les jours précédents, à Neuquén bouillonnaient les passions. Malgré le fait que le gouverneur s’état décidé pour l’expropriation, depuis le sein de son propre parti, le MPN, depuis l’opposition de droite et depuis la CGT elle-même, on entendait les plaintes car on cédait l’usine aux « gauchistes », aux « délinquants ». Ils n’ont épargné aucune calomnie pour discréditer la lutte céramiste exemplaire. La bureaucratie syndicale cégétiste et la chambre industrielle ont intervenu pour éviter que l’on vote l’expropriation. Ils n’ont pas réussi.
Mobilisation à la législature
Une grande colonne précédée d’un drapeau où il y avait écrit « Carlos Fuentealba présent »[2] était le symbole de cette mobilisation. Un front uni de ceux qui ont soutenu la lutte céramiste pour l’expropriation, de ceux qui luttent aussi pour punir à ceux qui ont assassiné l’enseignant à Arroyito. Et se souviennent que Carlos Fuentealba a été l’un des centaines d’enseignants que le 8 avril 2003 sont allés défendre Zanon face à la tentative d’expulsion. En montant par l’Avenue Argentine les ouvriers céramistes faisaient entendre leur voix : « nous ne les laissons pas de répit, qu’ils aillent se faire foutre… », au cas où quelqu’un envisagerait que parce que l’on les avait promis l’expropriation ils allait arrêter de lutter et de soutenir chaque lutte.
La longue et ennuyeuse session législative se déroulait. Une délégation de 50 camarades avait pu entrer à la Législature : une importante délégation des vétérans de Zanon accompagnées des « Madres de Plaza de Mayo » de Neuquén, de délégations de la CTA, de travailleurs de l’INDEC, du Métro de Buenos Aires, du « Astillero Rios Santiago », de Brukman, entre autres. En même temps, à l’extérieur on réalisait un acte où ont parlé toutes les organisations politiques solidaires. L’un des moments les plus émotifs a été quand les femmes, qui 9 ans plus tôt ont organisé la première commission de femmes de Zanon, sont montées à la tribune. La mère d’Alejandro Lopez (secrétaire général du SOECN), en montrant la première chemise de lutte de son fils, a raconté fière comment a commencé à soutenir les ouvriers de Zanon. Il y a eu des mots (comme ne pouvait être autrement) pour Daniel Ferrás, jeune ouvrier qui est mort à cause de la négligence patronale et qui a été l’étendard qui a réussi à unifier la force céramiste. Il y a eu des mots aussi pour « Boquita », Jorge Esperanza, récemment décédé et membre de la direction du SOENC. L’émotion était palpable. A minuit de cette longue journée du mercredi 12, avec un froid que les feux ne réussissaient pas à amoindrir, on a voté l’expropriation. Place à la joie. « Enfin » criait-on, « et dire que certains disaient qu’on n’allait jamais réussir ». On chantait, sautait, s’embrassait et quelques larmes coulai sur les joues tannées. Les plus anciens se souvenaient de la fin de la longue grève de 2001, celle de 34 jours ; de la commémoration de cette victoire-là après la tension accumulée. Et la comparaison n’était pas fausse. Cette grande victoire-là a marqué le chemin de ce que quelques mois plus tard serait l’occupation et la mise à produire de l’usine de carrelages et céramiques la plus importante du pays.
Lolín, l’une des plus appréciées des « Madres de Plaza de Mayo »[3] de la région, est montée à la tribune et avec ses mots d’encouragement, comme tant des fois par le passé, a apporté de la chaleur à cette nuit glaciale. Personne ne bougeait et c’était déjà une heure du matin. Lorsque l’on chantait « la classe ouvrière est une et sans frontières », a été le moment de présenter le brésilien Claudinor Brandão, dirigeant du SINTUSP, syndicat des travailleurs non-enseignants de l’Université de São Paulo, qui a revendiqué l’exemple de Zanon et de l’expropriation pour les milliers de personnes qui perdent leur emploie dans son pays. Ensuite ont parlé les dirigeants de Zanon, les plus connus et ceux qui ont pour tâche maintenir en fonctionnement une entreprise qui est la source du revenu de 470 familles, au milieu de la crise capitaliste actuelle. Et pour confirmer cette unité, sont montés à la tribune les prochains dirigeants du syndicat qui se présenteront aux élections dans deux semaines pour l’historique liste marron.
Tous les orateurs ont remercié le soutien de tous ceux qui étaient là, non seulement ce jour-là, mais pendant ces dix dernières années, depuis qu’ils ont gagné la Commission Interne. Il y a eu le temps aussi pour saluer les camarades présents de l’usine céramique Stefani, en conflit aujourd’hui.
Mais ils ne sont pas dupes. Conscients que l’expropriation n’est pas la fin et qu’en outre dans le traitement article par article on voudra les piéger (comme par exemple la « paix sociale » ou le remboursement des indemnités), ils ont voté se mobiliser à la législature le lendemain. Cette journée est la fin d’une longue période de l’histoire et le début d’une autre non moins combative et difficile. Comme répète Raul Godoy jusqu’à la fatigue, « Zanon n’est pas une île », et quel exemple plus concret pour l’illustrer que celui de l’usine de céramiques Stefani de Cutral Có, qui est en grève depuis plus d’un mois pour une provocation patronale. La lutte de Zanon et de son syndicat continue.
Un exemple national et international
[1] « Ils sont ici, ils sont ceux-ci, les ouvriers de Zanon ».
[2] Carlos Fuentealba c’est un enseignant qui a été assassiné par la police de Neuquén lors d’une manifestation en 2007.
[3] Le mouvement des mères de la place de Mai (en espagnol : Asociación Madres de la Plaza de Mayo) est une association des mères argentines dont les enfants ont « disparu », assassinés sous la dictature militaire des années 1976-1983.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire